Je suis né avec un sexe atrophié.
Un micropénis, si vous voulez.
C'est une condition relativement courante, provoquée par un manque hormonal pendant la grossesse de la mère.
Si je tire sur ma verge, elle a une taille, au repos, de cinq centimètres.
Elle n'est pas plus épaisse que celle d'un petit garçon.
J'ai deux petites couilles, pas plus grosses que des olives à cocktail.
Quand je bande, j'arrive difficilement à dix centimètres.
Prenez une règle, vous allez mieux apprécier.
J'ai subi des traitements pour améliorer ma déveine mais ça n'a rien donné.
Sinon, tout fonctionne normalement.
Je suis capable d'uriner.
Je suis capable de bander.
Je suis capable de me masturber et d'éprouver autant de plaisir qu'un autre.
Le handicap, c'est juste la taille.
Alors, comment me montrer nu devant une petite amie sans provoquer un rire immédiat?
Sans que cela se sache?
Je passe mon adolescence à prendre des précautions.
Pas de sport.
Pas de vestiaires.
Pas de cabines d'essayage.
Pour les filles, comme pour moi, l'action reste au-dessus de la ceinture.
Sinon, rien !
Alors, dès que j'ai un moment de libre, je préfère me réfugier dans l'Autoplus de mon père.
En combinaison de travail, à soulever des pneus, je fais suffisamment de culture physique.
Je passe pour un homme.
Un vrai.
Forcément, mes parents le savent.
Ils sont chagrinés pour moi.
Ils comprennent ce que mon handicap représente dans notre société.
Ma mère me dit qu'il ne faut pas trop s'en faire.
Elle m'assure, qu'un jour, je rencontrerais celle qui acceptera.
Qui m'appréciera.
Mon père n'en parle pas trop.
Chez lui, c'est un peu tabou, tout ça.
C'est mon secret.
Notre secret.
On verra.
Et puis, un jour, je fais la connaissance d'Aline.
J'ai vingt-sept ans.
Question filles, cela fait un moment que j'ai laissé tomber.
Je suis un célibataire endurci.
Le dimanche, c'est toujours un jour de déprime.
De frustration sexuelle.
J'ai pris l'habitude d'aller loin, dans la ville voisine, me cacher dans un Sex-shop qui a des cabines privées.
Je m'y soûle de pornographie.
Du cul et encore du cul.
Avec les années, j'ai fait le tour du sujet.
Du classique, au grand guignol.
De l'élégant, au grotesque.
Je sors, à chaque fois, plus frustré qu'avant.
De voir ces hommes, avec des queues immenses, qui baisent avec facilité, n'aide en rien.
Mais, je mate.
Je me goinfre de baise.
Encore et encore…
Je suis un mateur.
Un voyeur.
Un être abject.
Un personnage dégoûtant avec une petite queue de minable.
Je ressors de ces après-midi de voyeurisme plein de honte et de venin.
Je ne vois pas d'issue à ma triste condition.
Je monte dans ma voiture que j'ai garée au dernier sous-sol d'un parking payant.
J'ai toujours peur de rencontrer quelqu'un que je connais.
Je fonce sur la Nationale.
Je ne veux pas rentrer chez moi, dans la solitude de mon petit deux pièces.
Je roule.
Je roule.
J'ai des idées noires.
À quoi bon vivre?
Pourquoi ne pas foncer?
Le pied au plancher, en ignorant le feu rouge.
Pour voir, ce qui pourrait arriver…
Je ne suis pas lâche, à ce point.
Par contre, je suis à la limite de la panne sèche.
Ces moteurs V8 pompent le sans-plomb comme c'est pas permis.
Je prends une départementale, un peu au hasard.
Je tombe sur un poste à essence.
Un truc d'indépendant.
Deux pompes devant un garage délabré.
Je m'arrête pour faire le plein.
Je sors de la Mustang pour me servir en super mais, à ma grande surprise, une jeune femme s'occupe de la pompe.
— Je vous fais le plein? me demande-t-elle, en soufflant la mèche blonde qui lui tombe devant le nez.
— Oui, s'il vous plaît.
Aline…
Une salopette crasseuse. Une casquette inversée.
Un pull de laine troué.
Une traînée de cambouis sur le visage.
Mais, ce regard…
Ces yeux bleus profonds.
Ces cheveux blonds.
Ils sont graisseux et plaqués sur les côtés.
Je suis à plus d'un mètre d'elle et, je peux vous dire, elle sent mauvais.
La sueur.
La graisse.
La peau mal lavée.
Mais, c'est le coup de foudre.
C'est elle…
Je l'ai trouvée.
La femme de ma vie.
Bon, cela ne va pas se passer comme au cinéma.
Si je la vois comme une déesse, elle ne me voit pas du tout.
J'ai beau faire semblant d'être cool.
Sympa.
Décontracté.
Elle m'ignore.
Elle encaisse mon billet, sans répondre à toutes mes questions débiles.
Puis, je lui dis que je repasserai.
Et, je repasse.
D'abord, tous les dimanches, avant d'aller dans mon cinéma privé.
Puis, deux fois par semaine.
Puis, sans arrêt.
Je tourne autour d'elle comme un chat en chaleur.
Elle me tolère.
Elle ne me chasse pas mais elle ne m'encourage pas non plus.
C'est jamais la foule au garage, alors on a le temps de bavarder.
Il y a un distributeur de boissons.
Je lui achète des cocas.
Elle aime les boissons sucrées.
Le garage appartient à un vieux soiffard qui passe son temps au café du village.
Aline fait le minimum en échange de la caravane, au fond du terrain vague, et de quelques pièces pour manger.
J'apprends, par bribes, qu'elle est paumée.
Une orpheline de l'Assistance Publique.
Ses parents sont morts quand elle avait dix ans.
Elle est placée dans des foyers.
Puis, dans des familles.
À quatorze ans, elle fugue pour de bon et personne ne l'a jamais retrouvée.
Une fille disparue.
Elle n'a pas de papiers.
Elle sait se débrouiller.
Sans aller à l'école.
Sans autorité parentale.
Toujours dans la zone.
Mais, elle n'est pas bête.
Elle sait lire.
Elle sait plein de trucs.
Elle me fait pitié et, en même temps, j'admire son courage à continuer.
Un jour, avant de rentrer chez moi, je lui donne un gros paquet d'argent.
— Tu crois que, si tu me donnes du fric, je vais te sucer?
— Non, c'est pas comme ça… Je veux t'aider, Aline. Sincèrement…
— Pourquoi?
— Pour te rendre la vie plus facile… Parce que… Parce que je suis ton ami.
— T'es mon ami ou tu veux me baiser?
— Sincèrement, je veux être ton ami… J'aime quand je suis avec toi… Tu vois, quand je suis ici… Eh bien… Je suis heureux.
— T'es pas heureux d'habitude? Avec ton pognon, t'as les moyens de l'être.
— Ben non, tu vois… Le bonheur, c'est pas d'avoir de l'argent. C'est être avec quelqu'un qui comprend… Quelqu'un comme toi.
Et du coup, elle me suit.
Elle ramasse ses deux-trois bricoles.
Elle laisse le vieux tomber.
Elle part sans même lui laisser un mot.
Elle vient habiter chez moi.
Aline est un caméléon.
Elle se transforme pour se fondre à son environnement.
À l'époque, je ne suis que salarié.
Mon deux pièces est dans un immeuble modeste, pas loin du centre commercial.
C'est pratique, parce qu'on peut y aller à pied.
Aline s'installe chez moi, sans états d'âme.
Elle se lave.
Elle se coiffe.
Elle se bichonne de tous les côtés.
Avec l'argent que je lui laisse tous les jours, elle s'achète des fringues.
Entre nous, c'est comme si nous étions des camarades.
Des bons amis…
Si je reste discret autour d'elle, elle n'a aucune pudeur à la maison.
Je la vois souvent circuler en petite culotte.
Ou juste avec ses collants, et rien par-dessous.
Je lui laisse la chambre, avec le grand lit.
Comme je pars travailler de bonne heure, je prends le canapé.
Je ne veux pas brusquer les choses.
Aline est magnifique.
La plus belle femme que j'ai jamais rencontrée.
À partir de là, dès que je peux, je suis avec elle.
Et tout le monde pense que j'ai enfin trouvé.
Que nous formons un couple.
Un vrai couple.
Quand on se balade, elle veut bien me tenir la main mais, bon…
Jamais trop longtemps.
Un soir, croyant que c'est le bon moment pour aller plus loin, je l'embrasse pour de bon.
Un peu surprise, elle se laisse faire, à la manière d'une gamine dans une surprise partie.
Les bras le long du corps, sans bouger, avec une petite langue molle et inexpérimentée.
Après quinze secondes, Aline me repousse d'un coup.
Elle me fixe avec étonnement.
Elle met les petits doigts de sa main droite à hauteur de sa bouche et rigole de moi.
Ensuite, elle va se coucher en fermant la porte.
Je n'insiste pas.
Par contre, Aline adore recevoir des cadeaux.
Le pendentif en or.
Le bracelet avec les charmes.
Des chaînettes pour ses chevilles.
Elle change aussi complètement de look.
Elle se maquille.
Elle ne porte que des talons hauts.
Des sandales ou des bottes.
Elle adore les collants, en général translucides, qu'elle porte avec des jupettes ou des shorts très serrés.
Elle laisse volontiers son ventre dénudé pour exposer son nombril parfait.
Aline peut tout se permettre.
Une véritable beauté.
Quand on va quelque part, les têtes se tournent.
Les types bavent.
Leurs copines la jalousent.
Et moi, je suis fier comme un coq d'être à ses côtés.
À porter les sacs en plastique de ses achats.
À débarrasser la table du fast-food avant qu'elle ne s'y installe.
Aline ne manque jamais de caprices.
Je fais tout pour les exaucer.
Pour voir son sourire éclatant.
Pour me plonger dans ses yeux si bleus.
Pour être son petit ami.
De l'avoir tout le temps avec moi, je deviens fou furieux de désir.
J'ai atteint un niveau de frustration sexuelle inégalée.
Je veux lui faire l'amour.
Tout lui faire.
Caresser ses jambes.
Poser des baisers sur son ventre plat.
Mordiller le lobe de ses petites oreilles décollées.
Après plusieurs mois de cohabitation, je me sens prêt.
Plein de courage, j'achète un bouquet de roses rouges.
Une bouteille de champagne.
Une bougie parfumée.
Des préservatifs.
Je vais me déclarer!
Je rentre du travail avec mes offrandes sous le bras.
Je m'attends à trouver Aline, comme d'habitude, étalée sur le canapé devant la télévision ou se prélassant sur son grand lit à lire un roman à l'eau de rose.
Elle n'est pas là.
Elle est partie.
Elle a emmené toutes ses affaires avec elle.
Il ne reste que quelques vieux bouquins et des draps défaits.
Pas un mot.
Pas une explication.
À l'époque, il n'y a pas de téléphones portables.
Je ne sais pas comment la joindre.
Alors, je pars, comme un fou, à sa recherche.
Je parcours le centre commercial dans tous les sens.
Je tourne en rond dans le centre-ville.
Rien.
La première nuit, sans elle, je la passe dans son lit à sentir son odeur sur les draps.
Le lendemain matin, je découvre qu'elle a oublié une petite culotte.
Une culotte souillée…
Je ne cesse de me la coller sous le nez pour me masturber.
La femme de ma vie m'a quitté pour de bon.
Je suis brisé.
Personne ne m'a jamais vu si triste.
Au boulot, les collègues ont pitié.
Ils tentent de me faire rigoler en racontant des blagues ou en faisant des pitreries.
Rien ne me tire de ma peine.
Le dimanche, je retourne au poste d'essence où nous nous sommes rencontrés.
Il est fermé.
À l'abandon.
Des herbes hautes.
Le périmètre est grillagé avec un panneau, à vendre.
Les jours passent.
Les semaines.
Un mois.
Deux.
Mon chagrin s'estompe un peu si bien que je parviens à remonter la pente.
Je fais le ménage à fond chez moi.
Je nettoie toute trace de sa présence.
De rage, je jette sa petite culotte dans une benne à ordures de la ville.
Geste que je regrette, amèrement, le lendemain.
Lentement, je me fais une raison.
Aline est trop sauvage pour moi.
Trop belle.
Trop intouchable.
Une princesse…
Non, une déesse!
Je ne suis pas digne de prier dans son temple.
Je reste à l'extérieur.
Comme un pauvre handicapé.
Un mendiant.
Durant la crise, mon père se rapproche de moi.
Il cherche à m'aider comme il peut.
Il me fait comprendre qu'il y en a d'autres.
Et puis, pour la première fois, il me suggère qu'il existe des femmes professionnelles.
Il est même prêt à arranger ça.
Mais, merde, tu ne comprends pas, papa.
Je ne veux pas d'une pute.
Je veux Aline !
Ses yeux pétillants.
Son sourire aguicheur.
Ses allures.
Tout ce que je ne reverrais plus jamais.
Alors, je reprends ma routine honteuse.
Je cherche, au fond du Sex-shop, des films avec des femmes très jeunes, très blondes, avec de grands yeux bleus.
Des femmes qui lui ressemblent.
Et dans l'obscurité de la cabine vidéo fermée à clé, juste éclairé du vieil écran cathodique, je masturbe mes quelques centimètres de honte pour éjaculer les trois gouttes de mon fantasme.