De retour à la plage de son bungalow, Jean baisse la voile en approchant du bord.
Il saute de l'embarcation et remonte le dériveur sur le sable.
Satisfait de sa longue sortie, il retourne vers l'habitation avec la bouteille de rhum à la main.
Arrivé sur la terrasse, il ôte son maillot humide.
Il enfile une chemise de coton et un short léger.
Revigoré, il fait quelques mouvements de karaté dans le vide.
Il s'arrête de bouger lorsqu'il entend des grognements.
Figé sur place, Jean tend l'oreille.
Pas de doute, une femme gémit sexuellement.
Intrigué, Jean avance en catimini vers la chambre à coucher.
Plus proche du son, il reconnait la voix de sa femme en train de faire l'amour avec quelqu'un…
― Oui… Oui… Là… Baise-moi… Baise-moi, soupire-t-elle.
Jean avance pour espionner.
Grâce au miroir face au lit, il voit Marine, jambes ouvertes, avec son gode rose tournoyant autour de sa chatte.
Il sourit de la voir ainsi.
Il recule silencieusement pour la laisser terminer.
Dans le salon, il se sert un Vermouth blanc avec des glaçons.
Il voit la bouteille de rhum d'Harry, restée sur le balcon.
Il va la chercher puis cherche à la cacher.
Il la dissimule en haut d'un placard.
Il s'installe ensuite sur le grand canapé.
Il savoure sa boisson en regardant au loin, tout en écoutant le plaisir de Marine qui augmente en crescendo.
Marine approche de l'orgasme.
Un puissant cri de plaisir emplit la maison.
Puis, tout redevient calme.
Jean médite sur son destin.
L'instant lui semble précieux.
Tout ce dont il rêvait, il le possède...
Charme.
Santé.
Fortune.
Une femme exceptionnelle.
Des enfants merveilleux.
Et la liberté de faire tout ce dont il a envie.
Explorer tous les recoins de la terre.
Peut-être aller dans l'espace, un jour.
Après quelques bruits émanant de la chambre, Marine entre dans le salon.
Elle est surprise de voir Jean, paisible sur le canapé, en train de boire son verre.
― T'es là depuis longtemps? s'inquiète-t-elle.
― Suffisamment pour savoir ce que tu faisais…
― Désolée… J'avais trop envie… Et tu étais parti… D'ailleurs, t'étais où? Je t'ai cherché comme une malade, partout…
― T'as pas demandé à Mathéo?
― Lui aussi, il n'était pas là… J'ai eu un peu peur, aussi… Toute seule comme ça…
― Tu t'inquiètes pour rien, ma chérie.
― T'étais où, bon sang?
― J'ai fait un peu de voile… Mathéo m'a déniché un dériveur… J'ai presque fait tout le tour de l'île… Et toi? C'était comment la visite?
Marine se verse un grand verre d'eau.
― Justement… C'était…
Elle s'installe sur le canapé à côté de Jean.
― Alors, verdict… Arnaque ou pas?
― C'était affreux! Tu vois, je croyais que Stefano allait nous montrer un truc genre… La morgue dans un film… Beaucoup d'acier brossé… La viande bien rangée dans des tiroirs réfrigérés.
― Et là… C'était quoi?
Marine boit une gorgée d'eau avant de reprendre son récit:
― L'horreur! Imagine une grande paillote fermée avec un sol dégueulasse de terre battue… Des mouches… Des mouches partout… Absolument partout… Une odeur infecte… Une chaleur épouvantable… Des types à demi-nus… Stefano m'a montré les différentes étapes… D'abord vider le corps… Puis, l'équarrissage… J'ai presque tourné de l'œil… Je suis à peine restée quelques minutes…
― L'américaine a tenu bon?
― Polly? Tu rigoles… Elle n'a même pas osé entrer… Moi, j'y ai mis les pieds juste pour crâner…
― Et les corps? Tu les as vus?
Marine hoche la tête avant d'avaler le reste de son eau.
Bouleversée, elle précise:
― C'était monstrueux, Jean… J'ai vu un corps de petite fille… De l'âge de Daria… Pendue par les pieds comme du gibier… C'est là que je suis partie en courant… J'ai vomi derrière un buisson… Polly me tenait les cheveux.
― Et t'es rentrée, après?
― Oui… Le bus m'a déposé… J'avais besoin de t'en parler… Mais, t'étais pas là… J'étais toute seule. J'étais paniquée… J'avais cette image horrible en tête… L'odeur de la fumée encore dans le nez… Les bassines avec les entrailles couvertes de mouches… J'en pouvais plus.
― T'avais pas l'air si angoissée quand je suis rentré.
― Je me suis allongée… Je me suis endormie… J'ai fait un rêve… Un cauchemar érotique… Comme j'en fais jamais… C'était tellement réel… J'étais dans ma jeunesse… J'étais avec ce prof de lycée que j'aimais tant… Qui me donnait toujours des bonnes notes… Nous étions dans ma petite chambre d'adolescente… Chez mes parents à Nantes… Il mettait le nez dans mes affaires. Il ouvrait mes tiroirs. Il reniflait mes culottes… Et moi, j'étais nue sur le lit… Attachée… Écartelée… Incapable de bouger… Je n'avais peur que d'une chose… Qu'il vienne me violer… Qu'il abuse de moi… Pourtant, j'étais excitée… Je soulevais ma vulve comme pour l'y inviter… Comme une possédée…
― Et, tu t'es réveillée.
― Non… Ça a continué… Sans dire un mot, sans me regarder une seule fois, le prof a quitté ma chambre… Puis, j'étais ailleurs… Dans la même position mais verticale… Dans un grand musée… J'étais une œuvre d'art… Exposée… Une femme crucifiée, mais vivante… Des hommes en redingotes avec des chapeaux melons défilaient pour me caresser la chatte… Une chatte mouillée… J'avais mes règles… Les hommes repartaient avec mon sang sur le bout de leurs doigts gantés de blanc… J'étais mortifiée… Horrifiée… Et pourtant, j'ai orgasmé… Dans mon rêve… Je jouissais comme une sauvageonne!
― Alors, tu t'es réveillée… Je parie que t'avais envie de pisser.
― Oui… C'est ça… Mais, de retour dans le lit, j'avais juste besoin de jouir pour de vrai… Pour me calmer... Pour purger ma pensée des sensations du cauchemar… Mais, pourquoi? Pourquoi rêver de ça après avoir vu ces corps découpés… Cette petite fille!
Marine se cache le visage.
― Je ne suis pas psy mais… Je vois bien la transposition… Ta peur d'être persécutée… Offerte au public… Ton métier… Désir de l'exposition… Mais, de façon artistique… Pourquoi Magritte?
― Quoi?
― Le peintre… Les hommes aux chapeaux melons dans ton rêve… Ton père fumait la pipe?
Marine grimace.
― Oui.
Jean caresse sa barbe de trois jours. Il analyse mentalement.
― Je vois… Curieux comment tout se mélange… Le réel et le subjectif… J'ai envie de relire du Shakespeare… Je crois que je pourrais y trouver une autre clé.
En disant le mot, Jean voit la clé du coffre du pirate, posée sur la table en bois devant lui.
― Toi et tes études littéraires, soupire Marine, en se redressant.
― Deux années à Oxford, tout de même, déclare Jean, fièrement.
― Shakespeare… Shakespeare… Je ne vois pas le rapport avec mon histoire.
― Moi, non plus… Pas encore…
― Pourquoi tu penses à ça, alors?
― Moi aussi, j'ai vu une scène étrange…
― Quoi?
― Je te raconterai au dîner… En attendant, je vais me préparer… J'ai pas mal sué…
Marine le retient par le bras.
― Jean… Je veux qu'on arrête! Je veux rentrer à la maison… Ces gens sont fous… Complètement cinglés… C'est pas bien ce qu'on fait! Pas bien du tout! Ça va nous damner! Nous damner à jamais!
― T'étais tellement enthousiaste, hier soir.
― Je ne savais pas que c'était vrai… Je pensais que c'était un jeu de l'esprit…. Un jeu de stimulation intellectuelle pour gens friqués… Mais maintenant… Je sais que cette île est vraie. Ces putains de cannibales vivent comme ça depuis les premiers naufragés, au dix-huitième siècle… Ils sont tous cinglés!
― Tu ne veux pas rester?
― Je veux prendre l'hydravion du soir… Je veux voir les filles. M'assurer qu'elles vont bien… Depuis cet après-midi, je pense sans arrêt à elles… Et à tout ce qui pourrait leur arriver.
― Il ne va rien leur arriver… Tu sais que Julie veille sur elles comme une mère.
― Je ne sais plus… J'ai peur, Jean… J'ai très peur, maintenant.
Jean prend Marine dans ses bras.
― La peur attaque ton âme. Ne la laisse pas gagner… Surtout qu'elle est irrationnelle. La peur est l'ennemi invisible qui nous fait flancher… Une peur est toujours irrationnelle parce qu'elle pousse à imaginer ce qui n'est pas vrai.
― Comment la chasser de ma tête?
Marine quitte son étreinte.
― Par le présent… Ne regarde que l'instant… Là où nous sommes… Ce bungalow… La plage… La mer… Quel luxe… Tout va bien, ma chérie. Je suis avec toi. Pas d'ennemis, ici… Pas de crainte à avoir. Tout est dans ta tête… Alors, il suffit de la vider.
Marine n'est pas convaincue.
― Je sais..., ajoute Jean. Tu vas t'allonger sur le lit… Je vais te faire un massage… Ça va te détendre et après, plutôt que de fantasmer… Ce qui est très mauvais pour l'âme, crois-moi… Après, je vais te faire l'amour… Pas avec un jouet en caoutchouc mais avec mon sexe d'homme… Rien que du réel! Parce que c'est dans le réel que nous devons rester.
― Je n'arrive pas à oublier… Cette viande humaine…
― Et après, ma chérie… Nous dînerons en tête à tête, sans y penser, comme si nous étions au Grand Hôtel du Cap… Ensuite, une promenade au clair de lune… Peut-être, un bain de minuit… Unis… Nous restons côte à côte… Plus question de se séparer… Je te veux à mes côtés, sans arrêt… Pour toute la vie.
Jean l'enlace de nouveau.
Marine s'accroche à lui.
― Je suis à tes côtés, mon amour, murmure Jean. Je suis là… Appuie-toi contre moi… Et moi, sur toi… Ensemble, nous sommes forts. Ensemble, nous ne craignons rien.
Marine ferme les yeux.
Elle se sent un peu rassurée.
― J'ai tout de même une petite question… Tu aimais qui là, pendant que tu te masturbais?
― Johnny Depp.
Tous deux éclatent de rire.