Le bus avance lentement le long d'une route de terre en mauvais état.
Marine regarde par la fenêtre en croisant les bras.
Jean a bien envie d'expliquer sa conduite mais, finalement, se retient.
Ils approchent du village.
L'endroit ressemble à un piteux bidonville fait de brics et de brocs.
Jean et Marine découvrent la misère des insulaires.
Arrivé sur la place centrale du village, le véhicule s'arrête.
Le chauffeur coupe le moteur.
Miranda profite de l'arrêt du véhicule pour proposer des coupes de champagne.
Dissimulés derrière leurs vitres teintées, les passagers acceptent volontiers un rafraîchissement tandis que les villageois vaquent à leurs occupations.
Lorsque tout le monde est servi, Miranda se dresse à l'avant du bus comme avant.
― Voici le village principal de Calibanie… La plupart des gens que vous voyez sont des descendants des esclaves et des naufragés, échoués sur notre île il y a des siècles... Ils vivent de peu parce que les ressources sont très limitées. La vie est très difficile à Calibanie. Nous sommes très heureux que, par votre visite, vous contribuiez, par vos généreux moyens, à améliorer leurs conditions de vie… Et aussi… À équilibrer la population... Cette pondération est vitale pour une vie paisible. L'île ne peut soutenir, harmonieusement, qu'un nombre limité d'habitants. Je laisse maintenant la place à notre chef Stefano qui va vous parler de votre dîner de ce soir.
Subitement très alerte, Marine se redresse sur son siège.
Le bel homme, assis jusque là au premier rang, prend la place de Miranda.
Il est habillé d'une veste blanche professionnelle.
Son nom est brodé sur sa pochette.
Stefano.
Il se coiffe de sa toque de cuisinier avant de déclarer, en usant d'un accent comique:
― Bonjour, mesdames et messieurs… Je me présente… Je suis Stefano Carneti. Je suis originaire de Milan… J'ai étudié les arts culinaires très jeune dans ma ville natale et aussi à Paris… J'ai été marmiton au Crillon et, pour un moment, sous-chef à la Tour d'Argent… Je suis dorénavant établi à l'année sur Calibanie… Rien que pour vous… Pour vous faire découvrir et apprécier une expérience culinaire hors du commun qui… J'en suis convaincu… Portera tous vos sens vers de nouveaux horizons… Mais, allons droit au but… Combien d'entre vous ont déjà mangé de la chair humaine?
Tous se dévisagent, un peu choqués tout de même.
Seul Harry Hathaway lève la main.
― Alors, c'est une première pour la grande majorité d'entre vous… Je vous explique… Chez l'homme, il y a en gros quatre saveurs de base… Selon les sexes et les âges… L'homme et la femme, adultes… Et les enfants, garçons et filles… Vous ferez exactement six dîners… Six festins exceptionnels, riches en subtilités gustatives… Vous apprendrez comment les saveurs sont liées à l'âge du gibier… Subtil mélange hormonal qui influe sur la texture de la chair… Ainsi, dans l'ordre… Vous dégusterez d'abord un homme adulte sur deux repas, très variés dans leurs préparations… Uniques, à chaque fois… Ensuite, une femme adulte, également sur les deux repas suivants… Une merveille, vous verrez… Surtout le second soir, avec les pièces de choix…
Stefano se tourne légèrement pour admirer furtivement la poitrine généreuse de Miranda.
― Et enfin… Summum de votre voyage culinaire, deux délicieux enfants prépubères… Un petit garçon et une petite fille… Chacun sur un repas, du fait de la moindre quantité de viande. Mais… Comme l'agneau pour le mouton… Une tendresse des chairs… Un fondant, incomparable…
Nerveuse, Marine avale sa flûte de champagne d'un trait.
Ayant oublié la scène du promontoire, elle tend la main vers Jean qui la lui serre affectueusement.
Après avoir marqué une pause, le Chef reprend:
― Aujourd'hui, nous allons commencer par le met de base. Première étape de votre apprentissage gastronomique… Vous allez choisir un homme d'âge adulte de ce village… Un homme que, dès la nuit tombée, vous dégusterez...
Jean grimace, une expression entre anticipation et angoisse.
Marine retire sa main.
Elle serre les cuisses et appuie dans le creux de ses jambes comme si elle avait envie d'uriner.
Les écrans, qui équipent chacune des places assises, s'allument subitement.
Sur le toit du véhicule, un système de caméras, à trois-cent-soixante degrés, s'élève lentement.
Stefano s'empare de la la tablette tactile que lui tend Miranda.
― Très bien… Nous allons faire, ensemble, notre choix, reprend le Chef. Je vais juste faire une première sélection… Voyons voir...
Concentré sur son écran, Stefano examine les visages des hommes que la caméra repère à tour de rôle.
Jean commente en direction de Marine:
― C'est assez high-tech leur machin… Pour un coin sans technologie, je suis bluffé.
Marine l'ignore.
Tremblante, elle ferme les yeux.
Elle pâlit.
― Ça va, ma chérie? demande Jean, inquiet.
― Je ne pensais pas que ça irait si loin…
― Qu'est-ce que tu veux dire?
― Si j'achète un steak haché au supermarché, je ne sélectionne pas la vache, tout de même.
― Ouais, mais tu sais pas toujours ce que tu bouffes… Là, au moins, on sait que c'est du frais!
― T'es vraiment con! C'est pas ça… Tu ne vois pas? C'est un meurtre, là…
Elle prononce le mot meurtre à voix basse.
Jean se penche vers elle pour lui souffler:
― C'est pas comme ça qu'il faut penser… Crois-moi, je réalise très bien ce qu'on fait… C'est pourquoi il faudra toujours garder le secret… Mais, je pense aussi que si c'est la culture locale depuis des siècles… Alors, c'est OK… C'est permis, ici…
Marine accepte.
Elle ouvre les yeux.
Elle souffle un peu.
― Tu crois que ça va aller? s'inquiète Jean. Tu es toute pâle.
Marine se tourne vers son mari.
Elle se penche très près de lui pour confesser:
― Je ne comprends pas pourquoi je suis si excitée…
Elle appuie des mains sur son entrejambe comme avant.
Elle se pince la lèvre avant d'ajouter:
― J'ai une envie folle de me…
Jean sourit en complice.
― T'as ouvert la cage de l'être primitif qui sommeillait en toi… Moi aussi, c'est pareil… Depuis que je suis sur cette putain d'île, je n'arrête pas de bander.
Marine se redresse un peu, à la recherche d'un peu de dignité.
Elle ferme les yeux.
Miranda approche avec sa bouteille de champagne.
Jean tend son verre vide.
La jeune femme le lui remplit.
Ils échangent un regard incendiaire.
Stefano lève la tête de son écran.
― Voilà, nos quatre candidats… Leurs visages vont apparaître sur vos écrans. Choisissez maintenant celui qui vous semble le plus appétissant… Nous avancerons par élimination. Vous êtes prêts?
Tous font signe que oui, sauf Moesha qui semble bouder et Marine, figée dans son malaise.
― Ils ont tous un peu la même gueule, commente Jean à sa femme. Pas bien épais… On prend le plus grassouillet? Le troisième… Peut-être, un diabétique... Ce serait bien…
Marine garde les yeux fermés.
Elle ne veut pas répondre comme si ouvrir la bouche la pousserait à vomir.
― Le moins moche, alors? insiste Jean. Là, je dirais que c'est le numéro deux…
Marine grimace de l'entendre parler.
― Allons, ma chérie… C'est marrant… Choisis celui qui te fait plaisir.
― Je préfère encore le hasard, murmure Marine.
Toujours les yeux fermés, elle fait tourner son index et appuie sur une zone de l'écran.
Elle tombe sur le deuxième candidat.
Jean voit son choix.
Il sélectionne le même individu.
Juste devant eux, Dikembe se penche pour voter pour sa femme qui refuse de participer.
Sur les écrans, les points des votes apparaissent.
Deux participants sont éliminés.
― Très bien, s'enthousiasme Stefano. Nous n'avons plus que deux candidats en lice… Continuons le choix… C'est le deuxième tour… Comme aux élections en France!
Le chef échange un clin d'œil entendu avec Jean.
― Est-ce qu'il y a des critères physiques à prendre en considération? demande Dikembe, spontanément.
― Non, pas vraiment… Vous pouvez choisir à la tête du client, sourit Stefano.
Jean fixe les deux visages sur son écran.
― Putain… J'arrive pas à me décider, proclame Jean.
― Allons-y… Dernier tour, encourage le Chef. C'est le moment crucial… Qui allez vous déguster, ce soir? Lequel vous semble le plus appétissant?
Marine ouvre les yeux.
Elle laisse échapper un soupir étouffé comme si elle venait de jouir mais faisait tout pour le refouler.
Tous les passagers se tournent vers elle.
Jean l'observe, à la fois choqué et ravi.
Gêné et fier.
Remise de ce moment, Marine retrouve son aplomb.
Elle vote en pleine conscience en appuyant sur l'écran.
*
Dans la chambre de leur bungalow, Jean et Marine font l'amour au milieu du grand lit défait.
Marine a replié les genoux bien haut pour se laisser pilonner.
L'orgasme monte vite.
Jean accélère.
Il se cabre à l'instant où Marine relâche un cri de libération.
La jouissance est puissante.
Elle dure longtemps.
Le moment passé, Jean ôte sa queue de la chatte trempée de sa femme.
Le couple s'enlace tendrement.
Ils s'embrassent passionnément encore un bon moment.
― Merci, mon amour… C'était énorme, complimente Marine, échevelée.
― On remet ça?
― Encore? Je ne t'ai jamais vu comme ça…
― J'ai une pêche phénoménale… Je crève la dalle et pourtant… J'ai une énergie de dingue.
― Va nager… L'eau froide va te calmer.
― C'est toi que je veux, mon amour… Je te veux tout le temps. Je ne pense qu'à tes seins… Ta bouche… Ton cul… Ta chatte… Tu me laisses te nettoyer?
Marine apprécie son engouement mais le repousse légèrement.
― Non… Arrête, maintenant… Faut que je me repose un peu… Je suis complètement vannée. Et puis, je veux garder ton sperme en moi… C'est très bon pour la santé… Pour mon teint de star… Il paraît qu'après, je photographie mieux…
Marine rigole de son propre commentaire.
Jean bondit hors du lit.
Il inspecte son sexe, encore à demi-bandé.
Il essuie le gland sur un coin de drap avant d'enfiler un bas de survêtement léger.
― Je vais aller courir sur la plage, déclare-t-il. Putain… Sans écrans et tout ce merdier, c'est fou ce que le temps est différent… Je revis ici… Va falloir qu'on revienne tous les ans.
Marine se couvre du drap soyeux.
― Ça me fait plaisir de te voir si heureux… Tu sais, tu m'as beaucoup manqué l'année dernière.
― Je m'en rends compte… Vendre la boîte m'a complètement vidé. J'étais lessivé... C'est seulement maintenant que je remonte la tête de l'eau… Que je vois plus loin…
― Faudrait vivre comme ici, pour toujours… Au paradis.
― Sauf qu'on ne peut pas amener les filles à Calibanie… No pets and no kids allowed, ils m'ont dit… Et puis, nous devons penser à leur avenir… Nous occuper d'elles.
Marine cale un oreiller sous sa tête.
― Je ne parle pas de cette île mais d'un lieu dans le genre… Isolé… Complètement à nous… Pour leur éviter le grand cirque… Grandes écoles, boulots de dingues, mariages, enfants, tromperies, divorces, fric, dettes, crédits, baraques, bagnoles, accidents, dépressions, boulimie, chirurgie, alcool, drogues, détox, mal de vivre, psychanalyse…
― Dis comme ça… Évidemment...
― Pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à bâtir un monde meilleur? Avec tout ce qu'on sait… Toute notre technologie.
― Tu connais ma théorie… Trop de gens, ça veut dire trop de cons… La connerie, c'est le cancer humain. Nous les mecs, nous ne pensons qu'à la taille de notre chapeau, le nombre de plumes plantées dans notre coiffe de grand chef… Vous les femmes, c'est… Pareil… Vous comparez tout… Vous comptez vos likes sur Insta…
― Tu crois que les plumes ne m'intéressent pas? réplique Marine. J'étais nommée, il y a cinq ans, ce qui est déjà super… Mais j'aurais bien aimé la gagner, leur petite statuette… Mon totem glorieux à moi… Je ne l'aurais pas planqué dans un placard, crois-moi.
― Mais, c'est ça qu'est dingue… Regarde-nous, tous les deux… Nous avons tout… Absolument tout… Et on en redemande encore… Où est-ce que ça s'arrête tout ça?
― Tu crois que les filles seront jamais normales?
― Qu'est-ce que tu veux dire?
― Avec tout ce fric devant leur nez… Comment trouver un peu d'équilibre? De sérénité…
― C'est à nous de les guider… Leur montrer le bon exemple… Nous devons être exemplaires!
― Avec toutes ces merdes qu'on raconte sur nous, tout le temps... Attends de voir, qu'elles soient ados… C'est comme si on allait les pousser dans un bain de déchets toxiques… Sans bouées, sans planches de salut… Elles vont se noyer.
― On y passe tous, tu sais… Eh, tu connais mon père… Lui, carrément… Il me forçait la tête sous le bouillon... Je te dis pas ce que j'en ai avalé…
― Je sais… T'en as chié... Mais moi, c'est différent... Je me suis faite toute seule… Tu sais d'où je viens... À quinze ans, j'habitais un pavillon de lotissement. Ma mère me disait, qu'en attendant la bague au doigt, je ferais une bonne dactylo… Et, pour commencer, que je pouvais m'habituer à sucer le patron… Aujourd'hui, mes filles habitent une villa à Beverly Hills de six cent mètres carrés avec pas une, mais deux piscines… Elles vont à l'école en Bentley... Avec des cartables Louis Vuitton... Je ne sais pas gérer, Jean… Je devine la piste glissante… Beurrée au savon noir… En même temps, je suis aussi égoïste qu'une autre… Si j'en ai les moyens… Alors, pourquoi me priver?
Jean soupire, rattrapé par la réalité.
― Je ne sais pas… Je suis comme toi... Je ne vois pas de solution, non plus… On verra bien… Le moment venu.
Marine ferme les yeux.
Elle cherche un début de méditation.
Sentant que la conversation va en rester là, Jean quitte la chambre par la terrasse.