Quinze minutes plus tard, Clara est chez elle.
Elle pousse la porte d'entrée en essayant de faire le moins de bruit possible.
Elle découvre les traces de la soirée des enfants.
Paquets de chips vides devant la télé.
Des miettes partout…
Ils ont chacun avalé deux canettes de coca.
La fête.
Clara va voir.
Nicolas dort paisiblement avec un pied qui dépasse de la couette.
Dans la petite chambre un peu plus loin, Béatrice est endormie.
Sa lumière est restée allumée.
Clara se faufile à l'intérieur.
Elle l'éteint.
Qu'ils profitent de leur grasse matinée.
Une demi-heure après, Clara sort de la douche.
Elle a enfilé des leggings de sport et son vieux sweat gris de la fac de Caen.
Ses sous-vêtements sont avec le linge sale.
La robe ira au pressing.
Elle prépare un café.
Dans sa micro-cuisine, elle boit d'un godet fumant.
Elle prend son portable.
Elle regarde le selfie pris dans la voiture.
La photo est presque irréelle.
Tant d'amour…
Clara est encore toute bouleversée.
Elle a envie de faire un petit coucou coquin à Richard.
Elle lance l'appli de messagerie.
De sa main libre, elle soulève le devant de son sweat.
Elle ne porte pas de soutien-gorge.
Elle prend une photo tout en simulant de ses lèvres, un baiser.
Richard verra un sein et le bout de l'autre.
Elle tape le texte : merci pour une soirée XXX…
Elle l'envoie.
Satisfaite, Clara regarde par la fenêtre.
Elle sait qu'elle ne va pas arrêter de penser à lui.
Toute la journée…
Toute la nuit prochaine.
Tout le lundi.
Elle ne va pas cesser d'y penser parce que c'est la force de l'amour.
Rien n'est plus intense dans ce monde que la sexualité.
Elle est heureuse comme une femme qui, après une traversée du désert, découvre une oasis de sexe.
Est-elle nymphomane?
Clara n'aime pas les étiquettes.
Surtout ne pas culpabiliser…
Aimer l'amour physique, Clara l'a toujours perçu comme une qualité.
À la fac, elle ne comprenait pas les filles qui ne sortaient jamais.
Ou bien, si elles sortaient, elles rentraient bien sagement sans que rien ne se passe.
Quelle perte de temps d'une bonne soirée…
Baiser à une fête, ce n'est pas toujours le pied.
Le niveau d'alcool peut diminuer l'expérience.
Rien à voir avec ce qu'elle a fait avec Richard…
Bon sang, il est si jeune et tellement expérimenté.
Elle ne peut pas s'empêcher d'y repenser…
Pour s'occuper, elle range le salon.
Vers dix heures, les enfants se lèvent.
Nicolas a onze ans.
Il est encore un petit garçon.
Le monde des adultes ne l'intéresse pas.
Un bon dimanche pour lui, c'est un gros bol de Chocapic et des dessins animés à la télévision.
Béatrice a treize ans.
Elle commence à passer d'un âge à l'autre.
Elle s'intéresse de plus en plus à ce que font les grands.
Surtout, à ce que font ses parents…
Elle entre dans la cuisine.
Elle embrasse Clara.
Elle se prépare un pain grillé.
Beurre et confiture.
Un grand verre de lait froid saupoudré de Nesquik.
Elle demande avec un léger ton de reproche:
— Où t'étais?
— Je t'ai dit… J'étais invitée chez mon amie Joëlle… Tu la connais.
— Toute la nuit?
Une rougeur monte au visage de Clara.
Elle culpabilise devant sa fille de treize ans.
Béatrice est mignonne.
Elle est plus du côté de sa mère mais avec la couleur de cheveux de son père.
Elle est menue.
Pubère, depuis peu…
Toute maigre et élancée.
Une jeune fille qui, dans quelques années, connaîtra aussi l'amour.
Clara l'envie…
La chance de tout recommencer.
Est-ce qu'elle aura un amant l'année prochaine?
Un homme adulte?
Clara frémit en se souvenant du passé.
Dénoncée par son frère après deux étés d'idylle, elle avait eu droit à une vingtaine de séances chez un psychiatre.
Pour travailler tout ça dans ta tête, comme disait sa mère.
Tous ceux qui étaient au courant pensaient qu'elle était traumatisée.
Un beau fruit gâté…
Le mot viol avait même été prononcé.
Si ça avait été quelqu'un d'autre que son oncle, elle ne sait pas ce qui se serait passé…
Un appel à la gendarmerie?
Un procès?
Elle n'arrivait pas à leur dire qu'elle était amoureuse de lui.
Mais non, ce n'était pas possible…
On ne peut pas être amoureuse d'un violeur.
Est-ce qu'il y avait de la manipulation?
Forcément…
L'oncle Jonathan l'avait séduite grâce à une technique avancée.
Charmer… Leurrer.
Tromper sur ses intentions.
Lui n'avait pas de remords.
Il l'avait dit clairement à ses parents.
— Il y a des filles qui sont prêtes à baiser et d'autres non… L'âge, ça ne veut rien dire.
Selon lui, avec ses gros seins et ses airs aguicheurs, Clara faisait partie du premier groupe.
Il ne se sentait pas coupable.
Clara n'avait pas eu le droit à la parole.
Le jugement était un huis clos entre les adultes concernés.
Sentence…
L'oncle Jonathan n'avait plus le droit de mettre les pieds à Fontenelle.
Il devait distribuer ses parts de la SCI familiale aux associés.
Il devait laisser Clara en paix.
Il avait accepté en grognant.
Célibataire endurci, il était allé voir ailleurs.
Financièrement à l'aise puisqu'il possédait une boîte de location de matériel de manutention, il n'avait pas arrêté ses comportements.
Clara ne le voyait jamais mais elle savait qu'il fréquentait des jeunes filles.
Caen ne manquait pas d'étudiantes un peu perdues…
Au final, sa mère Isabelle était claire sur le sujet…
Clara avait été manipulée par un homme qui ne pouvait pas l'aimer.
Ses sentiments à elle, peu importe…
Une adolescente ne pouvait pas en avoir.
Elle devait retrouver le chemin de la normalité.
Patienter…
Jusqu'à son mariage.
Clara soupire en observant sa fille manger.
Qui n'est pas manipulé dans la vie?
Elle pense à Yves.
Ses efforts pour la séduire…
Les promesses creuses.
Les fausses déclarations.
Manipulée, encore une fois…
Le jeu de la séduction.
Pour avoir une femme, il faut lui promettre la lune.
Le grand quelque chose…
Grand amour, grande maison ou grande famille…
Pas avec Richard…
Là du coup, la relation est pure.
Un garçon qui veut baiser.
Une femme adulte qui a besoin de baiser.
Autant s'y donner, sans longs discours.
— Tu m'as entendue rentrer? demande Clara.
— Je me suis réveillée dans la nuit… J'avais peur.
— Depuis quand tu as peur?
— Depuis quand tu ne rentres pas?
— Si tu veux tout savoir, j'étais avec quelqu'un.
— Que tu viens juste de rencontrer? demande Béatrice avec suspicion.
— Ça peut arriver, non?
— Tu vas le revoir?
— J'espère bien.
— Comment est-ce qu'il s'appelle?
— Richard.
— Qu'est-ce qu'il fait?
— Je ne sais pas… Je ne lui ai pas demandé.
— Vous avez parlé de quoi?
Clara sourit de l'ironie.
— On dit que l'intimité, ça ne se partage pas avec ceux qui ne sont pas concernés, mademoiselle grosse curieuse.
— Je vais le dire à papa.
— Parce que lui, il a le droit de… D'être heureux avec Laurence… Et pas moi? C'est comme ça que tu vois les choses?
— Fallait pas vous séparer.
— Je ne l'ai pas cherché, ma chérie… C'est ton papa qui m'a trompé.
— Pourquoi? Tu ne lui plaisais plus?
— C'est pas à moi qu'il faut demander ça… C'est à lui.
— Je ne veux jamais me marier!
— Personnellement, je pense que dans un monde où les filles vont à l'école… Elles font des études supérieures… Elles ont une carrière… Je dis que t'as raison. Ce n'est pas la peine de se marier.
— Tu ne veux pas des petits-enfants?
— Ce n'est pas à moi de décider. Et puis, ça n'a rien à voir…
— Tu voulais des enfants quand tu t'es mariée?
— Oui… Eh, c'est quoi toutes ces questions existentielles de si bon matin?
— Papa veut qu'on aille vivre chez lui… Il dit que…
— Que quoi?
— Qu'on a besoin d'un environnement équilibré.
Clara fulmine.
— Avec Laurence? Tu sais qu'elle a vingt ans de moins que lui… Il y a moins d'années entre toi et elle, qu'entre elle et lui… Tu vois ça?
— Papa dit que ce n'est pas une question d'âge.
Clara sourit.
Elle retrouve son calme.
Elle pense à Richard.
— Ton papa, je vais te dire, ma petite chérie… Il dit tout ce qui va dans le sens de ce qui l'arrange… Il est vendeur d'immobilier, n'oublie pas… Mais c'est même pas le plus important. La seule question qui se pose est de savoir ce que toi, tu veux. Avec qui veux-tu vivre toute la semaine?
— Papa m'a dit qu'il me donnerait un nouveau portable. Un iPhone…
Clara serre des dents.
Il y a des hommes qu'on a envie d'étrangler.
— C'est toujours donnant-donnant avec lui. Je t'ai dit, c'est un commercial… Mais, c'est quoi tes sentiments?
— Je crois que je voudrais essayer.
La réponse de Béatrice fend le cœur de Clara.
Pourquoi ne pas préférer rester avec sa mère?
Qu'est-ce qu'elle lui a fait?
En même temps, pensée terrible, Clara voit bien que si elle n'avait pas ses enfants tout le temps dans les pattes, elle pourrait baiser autant qu'elle veut avec Richard.
Clara se lève pour se resservir en café.
— On en reparle, d'accord? Qu'est-ce que vous voulez faire aujourd'hui? Une promenade sur la côte?
— Il pleut.
Clara baille.
Elle a envie d'aller s'allonger.
— On va y réfléchir…
La messagerie du portable tinte.
Clara regarde le message de Joëlle.
Une photo volée, prise pendant que Richard la prenait en levrette au petit matin.
Le texte : passé une bonne soirée?
Réponse de Clara: fantastique. million de mercis. désolée pour l'opéra.
Elle ajoute l'emoji: 😱.
Joëlle répond: 😈💖.