Le lendemain au travail, Clara ne prend pas sa pause de midi comme d'habitude.
Elle a envoyé un texto à Joëlle pour lui dire d'aller déjeuner sans elle.
L'heure venue, Joëlle, trop curieuse du pourquoi, passe la voir à son poste.
Clara pianote sur son clavier d'ordinateur en chantonnant.
— T'as l'air vraiment guillerette, toi… Qu'est-ce qui s'est passé?
Clara se tourne vers son amie.
— Dans quelques jours, tu auras les détails… Pour l'instant, ne m'en veux pas. J'ai un truc important et compliqué que je dois boucler.
— Entendu, madame le mystère de la pyramide. T'épuise pas à la tâche…
— Toi aussi.
Joëlle ricane en s'éloignant.
Le travail qui accapare Clara est le calendrier familial, sa première grande idée pour organiser son couple.
Les paroles de la veille ne doivent pas s'envoler.
Elle organise l'année de cinquante-deux semaines.
Puisque celle-ci est entamée, elle remonte en arrière.
Elle donne à Yves la toute première.
Clara jubile de son astuce.
Elle n'aura pas les enfants après le jour de l'an.
Cette année, Clara se voit faire la fête.
Beaucoup de gens…
De l'ivresse.
De la folie.
Une nuit d'amour fou avec son amant.
Ils se trouvent un coin à l'écart.
Il la prend debout contre un mur.
Il la couvre de baisers fiévreux…
C'est très excitant de penser à tout ça.
D'avoir de nouvelles perspectives personnelles…
D'y avoir le droit.
Pour le calendrier, chacun a sa couleur…
Yves, le bleu.
Clara, le rose.
La base générale est facile à programmer avec les nouveaux logiciels dans le cloud.
Ceci fait, elle doit le remplir en commençant par les emplois du temps scolaires des enfants.
Elle ajoute les zones de vacances.
Elle passe ensuite aux activités extra-scolaires.
Béatrice fait du piano le mercredi.
Nicolas a un cours de judo.
Clara ajoute maintenant son emploi du temps professionnel.
Elle commence à neuf heures et termine à dix-sept heures.
Yves pourra ajouter son emploi du temps s'il le souhaite.
Les événements spontanés, elle les inscrira plus tard, dès qu'elle aura l'information.
Ensuite, Clara programme les aide-mémoire et les alertes.
Rappel d'emmener les enfants à l'école à temps.
Rappel de faire des courses le mercredi et le samedi.
Rappel de ne pas oublier les affaires de sport selon les jours…
Préparer les goûters.
Faire le linge le jeudi et le dimanche.
Sortir les poubelles…
Les tâches semblent infinies.
L'iPhone de Yves va carillonner toute la journée.
Une véritable symphonie ménagère...
Elle en rit.
Clara y passe toute son heure de midi.
Satisfaite, elle appuie sur le bouton partager.
Dès qu'il sera abonné, Yves aura une copie sur son portable qui se mettra à jour automatiquement après chaque changement.
Clara est ravie.
Sa nouvelle vie débute enfin.
Le soir venu, Yves a droit à un dîner conséquent.
Dès son retour, il note la joie de vivre de sa femme.
Par osmose, il devient conciliant.
Rigolant de ses blagues un peu forcées, les enfants sont hilares à table.
Yves prend son temps pour les coucher.
Il lit une histoire de pirates à Nicolas.
Il parle de son futur portable à Béatrice.
Ils débattent du pour ou du contre des forfaits actuels.
Clara termine de ranger lorsqu'il revient dans l'espace du rez-de-chaussée.
— Quand est-ce qu'on en parle aux enfants? demande Yves, sans préciser le sujet.
Clara est sur la même longueur d'ondes que lui.
— On ne dit rien… Je pense que ce n'est pas la peine. On s'attaque aux événements au fur et à mesure qu'ils se présentent. Le plus important c'est que les règles entre nous soient claires. T'as vu le calendrier commun?
— Oui, je suis abonné… J'aime bien le titre. Notre couple 2.0... Ça me parle. Je n'ai pas encore étudié les détails.
— Tu comprends bien que tu commences dimanche à zéro heures.
— Mon avantage, c'est que j'ai une assistante au bureau. Je vais le partager avec elle et lui expliquer.
— Laurence?
— Non, Nathalie… Tu sais, mon assistante personnelle.
— Tout de suite à faire bosser les femmes… J'ai pas d'assistant moi.
— Eh bien, avec tout ton temps libre, tu peux en profiter pour monter dans la hiérarchie chez Credifix. Plus de responsabilités, c'est plus d'argent… Plus de pouvoir… Qui sait, dans quelques années, tu auras peut-être un homme à tout faire?
— C'est pas bête ce que tu dis… Je vais pouvoir travailler plus tard.
— Mais, pas tout le temps… Une semaine à la fois.
— Je vois que tu as tout compris, mon chéri.
Yves médite un point pendant que Clara passe l'éponge dans l'évier.
— Ce n'est pas gênant si les partenaires s'occupent des enfants? demande Yves. Par exemple, si Laurence va chercher les enfants à l'école et les emmène chez elle...
— C'est autorisé.
— Si je suis en déplacement et qu'ils sont avec elle?
— Oui, mais pas ici si j'y suis… Je ne la veux pas dans mes pattes.
— Je vois un ou deux cas qui pourraient poser des problèmes…
— Le truc Yves, c'est que c'est ta responsabilité… Responsabilité, c'est le mot clé pour un parent. Tes enfants, tu dois les protéger autant que moi… Je ne veux pas qu'ils aient des mauvaises expériences. Qu'ils attendent sous la pluie parce que personne ne vient les chercher après l'étude du soir.
— C'est clair… Mais je vais acheter un portable à Béatrice. Je viens de lui en parler… Je veux pouvoir lui dire si j'ai cinq minutes de retard.
— Elle doit être ravie… Je te conseille de prendre un forfait limité en données.
— Il y a un programme de contrôle pour les enfants… Avec des barrières, aussi. Nicolas, c'est trop tôt. Je crois…
— Il est tellement tête en l'air qu'il en perdrait un tous les mois… Attends la sixième.
Satisfaite de son rangement, Clara range l'éponge.
Elle accroche le torchon.
Yves approche.
Il la serre contre lui.
Clara passe les bras autour de son cou.
Leurs lèvres se rencontrent.
Clara insère sa langue contre la sienne.
Elle avance son bassin.
Yves se frotte à elle.
Clara l'embrasse passionnément jusqu'à ce qu'elle le sente bander.
— Je veux que tu me baises dans le canapé.
Yves sourit devant sa candeur.
— On ne l'a jamais fait.
— C'est un tort. Je veux qu'on baise partout… Je veux marquer mon domicile, si tu vois ce que je veux dire.
Yves rigole à l'idée.
Il remonte une main sous son soutien-gorge.
Il caresse son mamelon.
Clara réagit d'un grognement.
— Qu'est-ce qui t'excite, comme ça? demande Yves entre deux baisers. Moi… Ou l'idée des mecs que tu vas séduire.
— Je ne sais pas… C'est tout en même temps... Mais ce qui m'excite le plus, je crois, c'est simplement la liberté retrouvée.
Yves l'entraîne vers le canapé.
Clara regarde sa montre.
Les enfants doivent être endormis.
Yves allume la cheminée à gaz.
Les lumières du salon deviennent tamisées.
Clara se déshabille.
Ôtant son soutien-gorge, elle soutient ses gros seins.
Yves approche pour les caresser.
Il colle sa bouche à un mamelon tandis qu'elle glisse une main dans le bas de son pantalon.
Le samedi soir, Yves ne rentre pas.
Il a laissé un message qu'il passe la soirée chez Laurence.
De le savoir avec elle, Clara est folle de rage.
Elle avait envie de lui faire l'amour.
L'expérience sur le canapé du salon lui avait laissé un goût d'inachevé.
Clara s'interroge…
Yves ne parvient plus à la faire jouir.
Elle sait depuis quand…
La naissance de Béatrice a tout bouleversé en elle.
Au début, elle mettait ça sur le compte des hormones.
Un changement physiologique…
Mais, avec le temps, elle devinait qu'une faille les séparait.
Yves éjaculait plus vite, sans prendre le temps de s'occuper d'elle.
Elle acceptait l'amour par devoir.
Un premier bébé n'était pas assez…
Yves voulait plus d'enfants.
Le sexe avait dorénavant un but…
Le plaisir partagé était passé au second plan.
Après la naissance de Nicolas, la situation s'était aggravée.
Des semaines passaient sans qu'ils fassent l'amour.
Clara reprenait sa routine de se masturber dans la salle de bains.
Fantasmer…
Baiser Yves sur le canapé lui avait donné l'espoir que l'amour pouvait reprendre comme avant.
Comme à l'époque où ils s'étaient rencontrés et qu'ils baisaient presque sans arrêt dans sa petite chambre du centre-ville.
Devant la télévision, entourée des enfants, Clara est subitement prise de doutes.
A-t-elle parlé trop vite?
A-t-elle véritablement réfléchi à la question?
Yves, en ce moment, en train de pénétrer Laurence sur son canapé…
Comme s'il lisait dans ses pensées, Nicolas lui demande:
— Il est où papa?
Clara hésite.
Est-ce qu'un garçon de neuf ans peut comprendre?
— Papa est au travail.
Son mensonge est sorti de sa bouche plus rapidement que sa pensée.
Elle s'en veut.
Une forme de lâcheté maternelle…
L'envie de couver.
L'envie de cacher la réalité.
Pourquoi ne pas dire la vérité à son petit garçon?
— Papa est avec une autre femme.
— Qu'est-ce qu'ils font?
— Je pense que papa est couché sur elle. Il a mis son zizi dur entre ses jambes…
— Dans son trou?
— Oui.
— Il est pas assez dur son zizi.
— Ça t'arrive aussi d'avoir un zizi dur quand t'es excité ou que tu vois quelque chose qui te plait.
— Il veut faire un bébé?
— On peut le faire juste pour s'amuser.
— Pourquoi qu'il le fait pas avec toi, alors?
— Bonne question…
Clara coupe la scène imaginaire.
Elle a terriblement envie de baiser.
Depuis qu'elle sait que Yves la trompe, c'est comme si sa pile sexuelle avait été remplacée.
D'ailleurs, après le film, elle compte se masturber dans son lit.
Elle s'est acheté un nouveau jouet d'une efficacité redoutable.
Un orgasme ne changera pourtant rien à la situation.
Yves s'éclate…
Elle pas.
Demain, elle sera dégagée des tâches ménagères pendant une semaine mais elle n'aura pas résolu la question de son propre plaisir.
Elle a besoin d'un homme…
Nicolas se love contre elle.
Elle le tient près.
Il aime poser la tête contre sa belle poitrine.
L'endroit de la terre où un petit garçon se sent le mieux.
C'est naturel.
Le premier plaisir de Clara en se réveillant le lendemain matin est de ne pas se lever.
Yves dort lourdement à ses côtés.
Il est rentré tard.
Elle l'a entendu vers deux heures du matin.
Il s'est déshabillé rapidement.
Il s'est glissé nu sous la couette.
Clara a senti l'odeur de la femme avec qui il était.
Clara soupire de frustration.
Elle pourrait rester plus longtemps au lit mais elle préfère se lever.
Elle se soulage dans la salle de bain.
Elle enfile sa tenue d'intérieur.
Dans la cuisine, elle se prépare un café.
Elle savoure le silence de la maison endormie.
Une semaine de liberté…
À Yves de s'occuper de tout.
En est-il capable?
Clara sourit de la perspective.
Elle a envie de le voir transpirer.
Elle veut qu'il se rende compte des efforts que cela représente.
Onze ans que Clara se colle tout le boulot avec les enfants…
La première année, c'était amusant.
Un petit bébé attire toutes les sympathies.
Avec deux petits, tout le temps dans les pattes, c'est nettement moins rigolo…
Clara chasse le passé de ses pensées.
Elle se tourne vers l'avenir.
Une soirée est prévue avec Joëlle et ses deux amies.
Cela fait des années que sa collègue lui demande de se joindre à elles.
À partir de maintenant, tous les quinze jours, le petit groupe de célibataires pourra compter sur Clara.
Elle sait ce qu'elles font.
Elles s'installent dans un bar du centre-ville pour discuter de sujets extravagants en attendant de se faire draguer.
Un mercredi soir ne semble pas idéal mais Joëlle jure que les autres jours de la semaine sont moins favorables.
Le vendredi et le samedi, il y a trop de concurrence et c'est bondé.
Lundi et mardi, c'est complètement mort.
Mercredi et jeudi sont favorables.
Le mercredi est fixé parce que Sophie, une des copines du groupe, a un cours du soir d'histoire de l'art, le jeudi.
Pendant que le percolateur chantonne, Clara remplit un emploi du temps imaginaire.
La vie en couple lui a fait abandonner ses passe-temps.
L'équitation était la passion de sa jeunesse.
Peut-elle s'y remettre?
Elle n'a pas envie de faire de la poterie ou d'apprendre l'italien.
Ça c'est vraiment pour les cas désespérés...
Elle a besoin d'une aventure…
Une grande aventure…
Un homme.
Elle pourrait être moderne et s'inscrire sur un site de rencontres.
S'inventer un profil…
Estimer les candidats.
Choisir.
Aller vers eux pour ensuite se laisser séduire.
Ou bien flotter…
Se laisser porter comme quand elle faisait la planche dans la piscine de Fontenelle quand elle était enfant.
Flotter sur le dos jusqu'à ce qu'elle heurte un autre baigneur, au hasard.