Clara se réveille plus tard que d'habitude.
En culotte et sweatshirt gris, elle boit sa première tasse de café.
L'expérience de la veille lui semble irréelle.
Comment peut-on passer de la banalité de la vie à des moments aussi intenses de passion?
Il s'agit bien de passion…
Elle ne pense qu'à Richard.
Sans arrêt…
Elle regrette d'avoir perdu le contrôle après la cigarette de cannabis mais elle se reprendra la prochaine fois.
Assise dans la cuisine à fumer une cigarette de liberté, Clara a déjà envie de baiser.
A-t-elle jamais été à ce point passionnée?
Le sexe de l'adolescent qui entre en elle…
Elle ne désire plus que ça.
Elle ferait tout pour Richard.
Il suffit qu'il lui demande…
Après deux grands godets de café, Clara a l'esprit plein de projets.
Il ne s'agit pas que d'une aventure avec Richard.
Il s'agit d'un réveil…
L'adolescent est entré dans sa vie pour lui donner une bonne claque.
Ses yeux sont à présent ouverts.
Elle voit tout ce qui ne va pas dans sa vie.
À commencer par elle-même…
Clara s'est laissée aller ces dernières années.
Elle n'a pas pris soin de sa santé.
Trop de paresse…
Elle achète au supermarché ce qui lui tombe sous la main.
Clara veut commencer par changer de régime et perdre du poids.
Terminé avec la bouffe industrielle…
Elle n'a pas besoin de tout ce sucre…
Tout ce sel.
Elle décide de tout jeter.
Vider tous les placards de la petite cuisine jusqu'à ce qu'il ne reste que des aliments sains.
Elle compte aussi sevrer les enfants des produits laitiers.
Très remontée, Clara s'y attaque immédiatement.
Elle commence par un coin.
Elle jette dans un grand sac poubelle tout ce qui lui semble malsain même si le paquet n'est pas entamé.
Tout en travaillant, elle pense à son corps.
Elle ne veut plus être une femme classique.
Elle veut devenir la femme naturelle qu'elle a toujours imaginé.
Forte…
Intelligente.
Créative.
Elle refuse le rôle réducteur de la mère de famille.
Elle refuse d'être consommatrice de toutes ces modes féminines inventées par des homosexuels frustrés.
Elle n'a rien contre leur sexualité mais ce sont encore des hommes qui imposent leurs idées torturées.
Ils font des femmes des objets pour assouvir leurs orgueils et pour satisfaire leurs vénalités.
Tout en écoutant de la musique rock, Clara danse et chantonne en rangeant.
Elle adore être en petite culotte.
Pendant son adolescence, elle vivait comme ça.
Lorsqu'elle rentrait de l'école, elle ne gardait que sa culotte pour faire ses devoirs ou traîner sur son lit.
Son frère n'arrêtait pas de râler en la voyant s'exhiber.
Sa mère, de la houspiller…
Après une bonne heure de travail, Clara passe dans sa salle de bain.
Elle ne veut plus de ses produits de beauté.
Fini le maquillage…
Fini les crèmes hors de prix.
Elle va se laver avec de l'eau et un peu de savon à ph neutre.
Une brosse à dent souple et un dentifrice qui préserve l'émail…
Le reste, elle le balance.
Elle ne va plus se raser sous les bras.
Elle veut un pubis épais.
La mode d'épiler les femmes pour en faire des poupées Barbie lui semble malsaine.
Les poils sont beaux et doux…
Ils invitent à l'exploration.
Les poils sur le pubis sont un signe de libération sexuelle à l'opposé de l'enfermement dans un fantasme masculin.
À Fontenelle, elle prendra de nouveau ses bains de soleil nue, même devant les enfants.
Nous partageons tous la même nature alors pourquoi se cacher.
Il ne s'agit pas de provoquer mais de se sentir libre pendant le court laps de temps que représente une vie humaine.
Le travail de Clara dans la salle de bains remplit un deuxième sac poubelle.
Elle les regroupe devant la porte d'entrée avant de les descendre plus tard.
Clara est prise de frénésie.
Plus elle vide ses placards, plus son esprit est excité.
La vraie Clara qui déchire la camisole qui la tenait prisonnière.
Elle s'attaque à sa garde-robe.
Elle bourre les sacs de vieux habits.
Mode irréfléchie…
Mode inadaptée.
Elle décide de n'avoir que deux styles.
Un style conservateur pour aller travailler.
Jupe.
Veste.
Chemisiers neutres en coton.
Chaussures confortables.
Pas de maquillage.
Le reste du temps, elle portera des robes simples…
Unies l'hiver, imprimées l'été.
Elle jette tous ses pantalons.
Ses jeans, en particulier…
Elle veut que Richard ait accès à sa vulve à tout moment.
Est-ce que la nouvelle Clara lui plaira?
Sûrement…
Après tout, il la désire nue, ouverte et offerte.
Il ne veut que baiser…
Et puis, elle ne le fait pas pour lui.
Elle le fait pour elle-même.
Elle a perdu trop de temps dans sa vie.
Clara doit aussi retrouver les activités qui lui font plaisir.
La lecture.
Les promenades.
L'équitation...
Clara n'est pas montée sur un cheval depuis l'époque de ses fiançailles.
Elle a terriblement envie de s'y remettre.
Retrouver les grandes joies de son adolescence.
Les fêtes entre copains…
Les chevaux.
L'ambiance du club hippique.
Clara doit arrêter de perdre son temps avec des activités stériles de femme au foyer.
Dorénavant, elle fera les courses moins souvent.
Elle ne regardera plus la télévision.
D'ailleurs, elle va s'en débarrasser immédiatement…
Le samedi de folie transforme son environnement.
Clara a déposé dans la cave tous les objets électroniques inusités, de la télévision au vieil ordinateur.
Cuisine.
Salle de bains.
Chambre.
Salon.
Son environnement personnel est épuré.
Clara se sent à la fois épuisée et très légère.
Elle n'a même pas regardé ses messages sur son portable.
Elle n'a même pas envie de savoir ce que font les autres.
La journée tourne autour d'elle et cela lui fait du bien.
Demain, c'est dimanche…
Elle ira voir le club d'équitation où elle allait dans sa jeunesse.
Existe-t-il encore?
Elle s'imagine sur un cheval sur la plage avec Richard à ses côtés.
Sans parler.
Juste sentir le vent.
La mer.
La nature.
L'amour.
La vie.
Le dimanche matin, Clara se lève très tôt.
Pas de nouvelles de Richard…
Elle aurait aimé s'éveiller contre lui.
Pourtant, une vie en couple n'est pas intéressante.
C'est elle qui détruit l'amour…
Le quotidien est l'ennemi des sentiments.
Pour s'aimer passionnément, il faut vivre séparés.
Lorsqu'on se retrouve, l'amour est d'autant plus fort.
Heureusement, il lui reste toujours la pensée…
Le fantasme.
Après s'être masturbée et préparée, Clara prend sa voiture jusqu'à Ouistreham.
Elle boit son café de sa grande tasse isotherme.
Sur la côte, elle achète un croissant frais dans une boulangerie.
Elle marche le long de la plage dans le vent.
Elle réalise qu'elle a beaucoup d'autres choses à changer.
Elle ne veut plus de son appartement.
Trop loin de tout…
Un ensemble triste et gris.
Elle veut retourner habiter dans le centre-ville, là où elle était heureuse.
Des gens qui se promènent.
Des petits commerces…
Des visages.
Des sourires.
Des rencontres.
Les enfants iront à l'école à pied.
Ils auront forcément moins de mètres carrés.
Moins de jouets…
Moins de distractions.
Ils auront le temps de lire.
De se cultiver.
D'apprendre à monter à cheval.
Le club hippique de sa jeunesse n'existe plus ce qui l'attriste un moment.
Clara retourne à Caen.
Elle passe une partie de la journée de dimanche à se promener dans le centre.
Elle s'arrête devant les agences immobilières.
Elle regarde les annonces pour des trois pièces.
Elle cherche des panneaux à louer dans les rues qui l'intéressent.
Elle note les numéros.
Elle rentre chez elle.
En passant la porte de son appartement sombre, elle se demande si tout ce qu'elle a fait n'est pas un délire.
Peut-on se libérer ainsi en un weekend?
Pourquoi ce doute terrible qui l'assaille?
Une angoisse existentielle…
Clara allume dans le salon.
Les convictions demandent du courage.
Ce courage individuel, le couple le diminue…
Tout devient un compromis.
Le conformisme est puissant.
Acheter-ci.
Acheter-ça.
Consommer.
Épargner.
Investir.
Prendre un crédit.
Toujours plus…
Plus et plus…
Faire grandir sa famille comme on fait grandir une entreprise.
Mais, non…
Clara se reprend.
Ce n'est pas cela vivre.
C'est le lavage de cerveau…
La publicité incessante qui finit par diluer toute pensée propre.
Trouver son bonheur, c'est justement résister.
Combattre pour se libérer…
Et puis, idée finale, comme un dernier clou dans le cercueil de sa vie passée, Clara décide qu'il serait temps de divorcer.
Lorsque les enfants reviennent en fin de journée, Clara est sereine.
Béatrice et Nicolas passent la porte avec l'agitation habituelle.
Elle les embrasse tendrement.
Elle leur demande si tout s'est bien passé.
Clairement, les deux jours ont été difficiles.
L'ambiance morose chez Yves les a affectés.
D'après eux, leur père est renfrogné et distant, suite au départ de Laurence.
Il parle à peine.
Clara l'imagine entrant dans une phase de dépression.
Ils ont mal mangé.
Deux fois le McDo…
Ils n'ont fait que regarder la télévision.
C'est d'ailleurs Nicolas qui le remarque en premier:
— Où est la télé?
— On va en parler, répond Clara. Je voudrais d'abord que vous vous installiez. On commence par se laver les mains. Ensuite, on vide son sac. On met le linge sale dans le panier. On range le linge propre, pas utilisé, dans sa commode ou son placard. On vérifie s'il y a encore des devoirs à faire ou des choses à préparer pour l'école. Ensuite, après tout ça, vous viendrez dans le salon, j'ai à vous parler…
— De quoi? demande Béatrice sur la défensive.
— Je vous le dirais tout à l'heure.
Les enfants partent vers leurs chambres en grognant.
— D'abord, se laver les mains…
En attendant, Clara va se servir un verre de vin blanc.
Elle prend un calepin et son stylo.
Elle s'installe dans le grand fauteuil en face du canapé.
Elle pense à la baise du vendredi soir avec Richard.
Elle est traversée de légers frissons.
Est-ce que ce sera comme ça, maintenant?
Tous les vendredis, chez elle?
Avec ou sans les enfants…
Béatrice arrive la première dans le salon.
Elle affiche un petit air suspicieux.
Elle regarde autour d'elle.
Elle remarque les changements mais ne dit rien pour le moment.
Nicolas arrive ensuite en traînant les pieds.
Ils s'installent tous les deux sur le canapé.
— Bien…
Clara regarde son portable pour l'heure.
— Nous allons parler tous les trois, quarante-cinq minutes maximum… Je pensais qu'on devrait faire comme pour le Conseil des Ministres. Toutes les semaines à la même heure… Pour nous, ce sera tous les dimanches autour de dix-huit heures. D'accord?
Pas de réponse.
Les enfants sont à la fois fatigués et énervés.
Elle pense déjà que ce serait peut-être mieux en milieu de semaine.
Le mercredi?
Clara poursuit:
— Cela va être votre chance de me parler de vos griefs… De mettre en avant vos exigences, si vous en avez. Et puis, cela nous permet aussi de planifier la semaine… Aujourd'hui, écoutez-moi bien. Je vais vous donner mon discours de politique générale. C'est-à-dire, ce que je compte faire pendant les mois à venir. Cela vous concerne… Alors, écoutez bien.
Clara avale une gorgée de vin avant de poursuivre:
— Voilà… Je veux changer des choses dans ma vie personnelle. Je sais ce que vous pensez… Pourquoi changer? Je sais aussi que, quand on est enfant, on n'aime pas le changement… Mais parfois, il faut le faire surtout si c'est pour améliorer sa vie. Pour se sentir mieux… La première décision que j'ai prise est qu'on va déménager. Nous allons vivre le plus près du centre-ville possible. Je veux que vous alliez à Pasteur à pied. On fera un cercle sur la carte et on cherchera dans le périmètre. Et puis, deuxième point… Comme les services en commun à Caen sont excellents, je vais me débarrasser de ma voiture. Je préfère prendre le tram et le bus. Nous prendrons le train si nous allons sur la côte ou à Paris. C'est très facile... C'est moins cher et c'est écologique. Bien, alors… Troisième point. Je vais divorcer avec votre père.
La réaction est immédiate.
Béatrice se couvre le visage de ses mains comme si elle était témoin d'un accident sanglant.
Nicolas se décompose.
— Je veux vous parler franchement, embraye Clara. Je ne suis pas heureuse de la situation. Je vais vous raconter comment ça s'est passé… Il y a deux ans, votre père m'a trompé. Il n'a pas été fidèle. Sans me prévenir, il est allé vers une autre femme. Laurence… Que vous connaissez. À ce moment-là, on a décidé de rester ensemble… Rester dans la maison de Mathieu… Nous nous sommes mis d'accord. Yves pouvait continuer de voir Laurence, à condition que je puisse voir des messieurs… C'est ce qu'on appelle de nos jours, un mariage ouvert… Cela n'a pas fonctionné. La cause principale, c'est que cela crée des nouvelles tensions au quotidien. Comme j'étais seule à l'époque… Votre père y a gagné. Moi, je suis restée sa femme de second plan… J'ai continué à m'occuper de la maison à plein temps et ce n'était pas juste. Après six mois, je n'en pouvais plus de savoir qu'il avait la bonne vie… Nous sommes venus habiter ici… Avec Yves, nous sommes restés mariés parce qu'on ne voulait pas que vous supportiez le poids d'un divorce à un âge encore jeune… Honnêtement, je pensais, à l'époque, que cela pourrait fonctionner… Mais rien ne s'est amélioré. J'ai continué à porter notre couple. Votre père a continué à vivre comme bon lui semblait… Comme vous le savez, Laurence l'a quitté depuis peu... Votre père s'est mis dans la tête que je vais revenir à Mathieu mais je vous le dis franchement… Je n'ai plus de sentiments pour lui. Tout ce qu'il fait m'indiffère... Je veux une séparation plus nette. Une situation plus claire entre nous. Un divorce.
Béatrice n'en peut plus de se cacher la face.
Elle se lève d'un bond et part en courant vers sa chambre.
Clara arrête de parler.
Ils entendent une porte claquer.
Elle regarde Nicolas qui est visiblement secoué.
Après un moment, il dit enfin:
— Et la télé?
Clara grimace et sourit en même temps.
— Allez, va te préparer pour la nuit… Mets ton pyjama, lave-toi les dents et lis un livre. Pas d'écran… Je vais passer, après.
— On ne mange pas?
— Vous avez mangé assez de cochonneries chez papa.
Nicolas se lève docilement.
Elle ne sait pas s'il a compris, voire même entendu tout ce qu'elle disait.
Clara se retrouve seule.
Elle boit une gorgée de vin avant de dire à haute voix:
— La séance est levée.
Clara leur laisse un moment.
Elle regarde par la fenêtre la morosité de sa rue.
Le parking désert.
Les petits immeubles mitoyens qui s'illuminent doucement.
Elle médite intérieurement.
Curieux comment la routine est semblable à un virus qui avale le temps.
Ce soir est différent…
Autrefois, elle serait dans l'agitation d'un dimanche soir.
Trop de distractions…
Trop de choses à faire qui ne méritaient pourtant pas son attention.
Ce calme nouveau est plaisant.
Elle se tourne.
Elle voit la tache de sperme séché sur le canapé.
Elle n'a pas rêvé.
Après un moment, elle va voir Béatrice.
Elle est couchée dans son lit encore toute habillée.
Clara vient s'asseoir à côté d'elle.
Béatrice lui tourne le dos.
— Je sais que tu es choquée, ma chérie… T'avais imaginé une autre issue. Mais, tu vois… Ce n'est pas comme cela que ça fonctionne. Chaque être est un individu. On a l'illusion, enfant, que les parents ne forment qu'un… Qu'ils sont collés l'un à l'autre. Que rien ne pourra jamais les séparer. Mais, ce n'est pas vrai… Ils ne sont pas collés, ils sont juste scotchés et c'est pas très solide… C'est peut-être parce qu'on a donné aux femmes plus de droits. Tu sais, autrefois, nous n'avions pas le choix dans un milieu comme le nôtre… Pas le droit de travailler… Pas le droit de voter. Pas le droit de divorcer. Même pas le droit d'ouvrir un compte en banque sans l'autorisation du mari. Tu imagines, ce que cela représentait… On peut se demander pourquoi cet acharnement à enfermer les femmes. Je ne sais pas… Je pense que c'était plus facile comme ça. Un genre d'harmonie du couple à une époque où on ne demandait pas aux gens d'avoir de sentiments… Les paysans. Les ouvriers. Les femmes. Les immigrés. Autant de catégories auxquelles on imposait une façon de vivre. Pas question de se rebeller… Le bourgeois et son meilleur ami, monsieur le curé, tenaient tout le monde dans les rangs. Moi… Toi, aussi. Tu sais les filles autrefois n'avaient même pas le droit de choisir leur mari. Un jour ton père te disait, tu vas épouser le fils du notaire et tu n'as pas le droit de dire non… C'est comme ça, ma fille, ou je te mets à la rue. Désœuvrée. Déshéritée… Sans métier. À toi de te débrouiller… Aujourd'hui, ce n'est, heureusement, plus comme ça, même si ce n'est pas encore parfait. Une femme, tu verras, doit encore pas mal se battre et se défendre pour son bonheur. Parce que c'est bien là, la question… Est-ce qu'une femme a le droit d'être heureuse? Rire… S'amuser. Vivre comme elle l'entend. Faire des choix qui sont les siens. Pas ceux d'un autre… Elle doit pouvoir décider tout autant qu'un homme et même plus puisqu'elle peut décider d'avoir des bébés… Je pense qu'à ce titre, les enfants se trompent… Ils pensent que si les parents divorcent c'est de leur faute. C'est que les parents ne veulent pas d'eux… C'est une très mauvaise interprétation… L'un n'a rien à voir avec l'autre. Tout d'abord, tu es ta propre personne. À treize ans, tu es assez grande pour comprendre ça. Nous t'élevons, c'est-à-dire… Nous te guidons parce que tu n'as pas encore atteint l'âge adulte. Mais, nous ne te commandons pas… Tu es un individu comme un autre. Ni meilleur… Ni pire… Mêmes droits… Mêmes responsabilités. Tes parents ne te possèdent pas. Tu n'existes pas parce que nous sommes là… Tu existes par toi-même. Tu dois apprendre à décider pour toi. Mais, tu dois aussi apprendre à accepter les décisions des autres. Surtout, si elles te concernent. C'est ça qui compte… Tu n'as pas à me faire plaisir pour autant. Je ne demande rien de toi, Béatrice… Tu n'es pas une béquille pour m'aider à marcher. Tu fais ce que tu dois faire dans ta propre vie… Moi, je fais ce que je dois faire dans la mienne… Parfois, nous sommes d'accord. Parfois, pas… Bientôt tu seras étudiante, à Caen ou ailleurs, et tu devras tout choisir. Certainement que tu croiseras un garçon qui te plaira. Qui te séduira… Peut-être même qu'il voudra t'épouser. C'est une énorme décision que de se marier… Moi, je ne la regrette pas. J'étais heureuse avec ton père. J'étais pleine de sentiments. Tu es née et après c'était Nicolas… Des petits bébés qui ont bien grandi. Alors, on peut se demander… Pourquoi arrêter? C'est parce que les sentiments ne durent pas toute la vie. Ils s'usent, eux aussi… Moi aussi je voulais qu'ils durent, mais quand ton père a avoué qu'il était avec Laurence, j'ai bien vu que mes sentiments pour lui étaient partis… Sinon, j'aurais été plus combative… On se bat pour les choses qu'on aime. Il ne m'a fallu que quarante-huit heures pour accepter une forme de mariage moderne qui est un mirage… Une illusion… On lit ça dans des magazines féminins et on pense que c'est la solution à son couple… Mais, c'est se mentir parce que c'est, encore une fois, une question de sentiments… Tu as des sentiments pour nous comme nous avons des sentiments pour toi. Ils seront toujours là, j'espère… Parfois, les enfants s'éloignent de leurs parents. Moi, je ne peux pas imaginer ne plus avoir de sentiments pour toi. Parce que, pour moi, tu es la plus belle chose au monde… Tu es ma fille… Tu es sortie de mon corps. Et par la naissance, j'ai vécu quelque chose de très intense… Plus fort que ce qu'un couple homme-femme peut vivre. Mais, ça c'est pour la mère… Toi, tu ne te souviens de rien… L'enfant est justement indépendant. Le cordon est coupé, dès le premier instant… C'est un choc de voir ça. D'une, nous devenons deux… Toi et moi… Indépendantes mais liées en même temps par les sentiments. Tu vois, je ne divorce pas de ton père pour te faire du mal… Certainement pas parce que je ne t'aime pas ou parce que je n'ai plus de sentiments pour toi. Je le fais justement pour que le bonheur de vivre continue de m'habiter… Et que ce bonheur, je puisse le partager avec toi… Tout comme, tu peux vivre la même chose avec ton père… Tu construis le monde qui est le tien. Tu le fais par tes propres choix.
Clara n'ajoute rien.
Elle pose un baiser sur la chevelure de Béatrice en espérant qu'elle a compris le fond.
Elle se lève.
Elle quitte la pièce.
Clara entre dans la chambre de Nicolas.
Il ne s'est pas préparé lui non plus.
Il regarde quelque chose sur son écran de portable qui le fait réagir en la voyant entrer.
Il l'éteint.
Clara ne dit rien.
Elle ramasse les habits au sol.
— Pour ce qui est de la télé, elle est dans la cave… Je vais la vendre ou la donner. Tu n'en as plus besoin puisque tu as ton téléphone.
— C'est pas la même chose, argumente Nicolas.
— Alors, tu choisis… C'est l'un ou l'autre.
Nicolas grimace.
— C'est bien ce que je pensais. Allez, tu te prépares maintenant… La prochaine fois que je te vois c'est au petit-déjeuner.