Au bureau, troublée par l'épisode de sa première sodomie, Clara raconte sa soirée avec Richard.
Tout en fumant, Joëlle l'écoute attentivement.
— Ce matin, Béatrice s'est plainte que je faisais trop de bruit… J'étais gênée pourtant je voulais expliquer à ma fille tout ce que j'avais ressenti… Je suis folle… Faut peut-être que ça s'arrête.
— C'est le danger, confirme Joëlle, avec nervosité.
— Le danger de quoi?
— Celui de la dépendance… De la soumission. Cela vient petit à petit, tu sais… Moi, je n'ai même pas remarqué que je suis arrivée à ce stade. Tu vois, plus tu vas être avec lui, plus tu vas être en état de dépendance. Plus il va sentir le pouvoir qu'il a sur toi et plus il va demander des choses nouvelles…
— Comme quoi?
— Tu sais, ils voient des images dans l'internet qui sont troublantes pour nous. Les hommes bandent pour un rien… Parfois, ils ont des mauvaises idées surtout si t'es disposée.
Troublée, Clara fronce des sourcils.
Joëlle se décompose brutalement.
Sa belle autorité et son maintien font place à une vulnérabilité nouvelle.
— Je ne peux pas m'arrêter, Clara… Même si je sais que ce n'est pas bien. Je suis une femme soumise… Tout ce que je devrais, normalement, refuser.
— Soumise, comment?
— Je fais tout ce qu'il veut… Thierry sent bien qu'il n'y a plus de limites, à présent. J'ai peur de la prochaine étape. Que la soumission se transforme en domination.
— Il ne va pas devenir violent, tout de même?
— Ce n'est pas de la violence abusive comme un mari qui bat sa femme parce qu'il est en colère. Il s'agit d'une violence plus subtile qui commence par la dégradation et l'humiliation. J'ai peur d'être déjà à ce stade, avec lui… C'est une pente douce. Fais attention, Clara… Fixe déjà la limite de ce que tu acceptes de faire. Pense bien que ce n'est pas un amant comme un autre… Il n'est pas dépendant de toi. Il ne te donne rien. Il n'a pas d'obligation. Il vient quand l'envie le prend et il s'attend à ce que tu lui obéisses…
— Tu ne dis jamais non?
— C'est le problème… Je n'arrive pas à dire non. Je suis soumise, tu comprends… Je suis comme une droguée. Dès qu'il a cinq minutes de retard, je vais mal. Je tourne en rond comme un animal en cage.
— Tu penses que ça peut m'arriver?
— Tu n'es qu'au début… Bientôt, tu seras comme moi parce que, comme toutes les addictions, il faut toujours plus… Plus de sensations.
— Il y a une fin possible…
— Rompre? Oui… Un jour il va rompre avec moi et ce sera tellement brutal qu'il me faudra une année pour m'en remettre… Tu ne sais pas comme c'est difficile, tout ça…
— Je ne sais pas si je dois te remercier de m'y avoir entraînée.
— Je sais… Ne m'en veux pas, Clara. Peut-être que c'est parce que nous sommes comme ça… Toi et moi, nous aimons tellement ça…
Au travail, Clara est de plus en plus troublée après la conversation avec Joëlle.
Elle devine le danger.
La dépendance…
Trois mois après leur première rencontre, elle n'est plus très sûre de pouvoir arrêter.
Richard occupe toutes ses pensées…
Tout le temps.
L'état d'esprit ne fait qu'augmenter son excitation physique.
Pour se calmer en semaine, elle se caresse au travail.
Autour de onze heures ou avant le déjeuner, elle se glisse dans un espace clos des toilettes.
Comme à l'époque de son adolescence, elle baisse ses collants.
Elle remonte sa jupe.
Elle écarte bien sa vulve.
Elle ferme les yeux.
Elle pense à lui.
Elle pense qu'il la pénètre en enfonçant deux doigts.
Qu'il écrase son capuchon en appuyant de son pouce.
Clara jouit, indifférente aux mouvements autour d'elle…
Cette libération est suffisante pour le ramener sur terre.
Pour l'aider à travailler…
Avant Richard, cela ne lui était jamais arrivé.
Le vendredi est son jour le plus anxieux.
La plupart du temps, Richard l'attend à la sortie du bureau.
Ils prennent le tram ensemble vers le centre-ville.
Parfois, il ne vient pas…
Est-il là, ce soir?
Une pochette surprise de petite fille…
Une excitation folle à anticiper.
Ensuite, c'est la déconvenue ou le bonheur intense.
Après, c'est l'attente…
Le temps qu'ils doivent patienter avant de baiser.
Les enfants…
Elle devrait leur dire d'aller tous les vendredis chez ses parents.
Yves n'est toujours pas revenu.
Elle a cru comprendre de son frère qu'il était en voyage.
À la recherche d'aventures…
Il ne répond pas à ses messages.
Comme il ne peut pas s'occuper des enfants, Clara les a à la maison.
Elle doit encore patienter…
Passer une soirée à quatre en attendant stoïquement d'avoir la verge de Richard dans la bouche.
Parce que pendant tout le trajet en tram avec lui, elle ne pense qu'à ça…
Elle se fiche de savoir ce qu'il a fabriqué depuis la dernière fois.
Elle veut son sexe.
Elle veut sa peau.
L'embrasser partout et sentir sa bouche sur ses seins.
Clara soupire dans l'ascenseur.
Elle longe le corridor qui mène à la sortie.
Une vingtaine de pas avant de passer l'angle et de voir les portes vitrées.
Clara adore ce petit moment d'anticipation.
Son cœur accélère mécaniquement puis, elle voit…
Pas de Richard, ce soir.
Déception profonde.
Elle quitte le bâtiment.
Un homme d'une cinquantaine d'années dans un pardessus sombre attend les bras croisés.
Elle ne l'a jamais vu de sa vie.
Clara pense qu'il doit attendre quelqu'un d'autre.
Au passage, l'homme lui demande:
— Madame Chauvigny?
— Oui.
— Bonsoir. Je suis David Meslay… Je suis le père de Richard. Je crois que nous avons à parler.
Clara est tétanisée.
Incapable de bouger.
— J'ai ma voiture. Je peux vous ramener vers le centre. On parlera en chemin.
L'homme lui lance un regard d'autorité.
— Oui, répond Clara, presque en murmurant.
Ils marchent en silence jusqu'au parking des visiteurs.
Bien élevé, le père de Richard lui ouvre la portière de son coupé Mercedes.
Clara se glisse sur le fauteuil de cuir brun.
David vient s'installer derrière le volant.
Il démarre.
Il roule un moment.
Il hésite un peu avant de parler, puis se lance en déclarant:
— Je tiens d'abord à vous dire que je ne suis pas opposé, si c'est cela que vous craignez… J'essaie d'avoir avec mes enfants des relations ouvertes. J'essaie de voir où ils en sont. Ce n'est pas pour les commander… Je suis un grand ennemi de toutes les formes de dirigisme. Je considère même que, passés la puberté, ce ne sont plus des enfants. Pas des adultes, pour autant… Une phase intermédiaire. J'aime bien utiliser l'image du papillon. Chenille… Chrysalide… Papillon. L'adolescence, c'est l'état de chrysalide. La nymphe… Un processus de réorganisation interne. Transformation hormonale… C'est affreusement chimique mais la biologie est intéressante à observer. Hélas, pour nous les hommes, nous ne restons pas assez enfermés dans un cocon. Ce qui est sûrement dommage… Peut-être qu'un programme éducatif différent serait à développer… Mais, je m'éloigne du sujet. Ce que fait Richard avec vous est tout à fait naturel… Je sais qu'il ne subit aucun traumatisme. Qu'il ne souffre d'aucun dommage… Je dirais même que c'est bénéfique pour lui puisque vos rencontres accélèrent sa transformation. Le processus est encouragé. Il n'en sortira que plus homme… Un homme viril, très sûr de lui… J'en suis ravi.
David se tourne furtivement vers elle pour lui sourire.
Troublée, fixant la route devant elle, Clara n'ose pas parler.
Elle tremble intérieurement.
Elle aimerait être plus forte pour mieux contrôler ses sentiments mais elle n'y parvient pas.
— Par contre, c'est de vous que je me tracasse… Je vous connais, Clara… Pas personnellement, mais j'ai eu à faire avec votre mari… Yves… Nous nous connaissons depuis le collège et nous avons eu quelques projets ensemble dans l'immobilier. Je vous ai observé à la cérémonie de la Stimco… Les Châteaux d'Ifs, vous vous souvenez… Et aussi, j'ai questionné votre mari à votre sujet. Savoir d'où vous veniez… Votre parcours… Essayer de comprendre pourquoi votre couple n'avait pas fonctionné. Je vois le problème, à présent… Disons que, je pense le comprendre… Au moment de la séparation avec votre mari… Lorsque vous avez appris qu'il vous trompait… Vous n'avez pas réussi à trouver quelqu'un. Je compatis… Dans ce monde, trouver un amant de qualité n'est certainement pas quelque chose d'aisé… Votre frustration… Vos ressentiments n'ont fait que s'amplifier… Jusqu'à… Jusqu'à la rencontre avec mon fils. Mais, je vais vous dire quelque chose, Clara… Ce n'est pas l'amant qu'il vous faut en ce moment… Au contraire… Vous ne pourriez pas trouver pire. Encore une fois, ce n'est pas le père moralisateur qui vous parle. Ce n'est pas Richard qui me tracasse… Mais, bien vous… Si vous continuez avec lui, vous allez vite vous heurter à un mur. L'impact sera violent… Vous pourriez terminer comme votre amie.
— Joëlle?
Clara est sidérée que cet homme connaisse tant de choses sur elle.
— Oui. Je connaissais son père… Je sais ce qui s'est passé.
— Il a eu un accident de travail.
— Non… Il était responsable de l'accident… Il était sous-directeur de la meunerie Cerizay. Sur ordre de la direction, il a forcé les cadences. Le vieux matériel a cédé et deux ouvriers sont morts. Il a porté la faute sur ses épaules… Pénalement, mais surtout moralement… Un destin gâché. Sa fille Joëlle est complètement mythomane… Je l'ai bien connue au moment du suicide de son fiancé. Le fils d'un client… Je ne dis pas quelle est coupable mais elle a certainement sa part de responsabilité.
— Qu'a-t-elle fait? s'insurge Clara, subitement décidée à défendre son amie.
— Elle l'a trompé.
— Comment?
— En couchant avec le père…
— Non!
— Le pauvre garçon était déjà très perturbé… La famille Prouant a tendance à l'instabilité.
Clara est perdue.
Qui est qui?
Quelle est cette nouvelle histoire?
Elle en a oublié le fil de la conversation…
— Pourquoi me dites-vous ceci?
— Joëlle n'est pas une bonne relation pour vous… Dans votre cas, Clara… Il n'est pas trop tard pour vous sauver. Je viens vers vous parce que j'ai beaucoup d'affection pour votre mari.
— Vous savez où est Yves? Vous l'avez vu récemment?
— Oui… Mais, je ne veux pas parler d'Yves pour le moment. Voilà, ce que je propose plutôt…. Vous n'allez pas voir Richard ce week-end. Je l'ai envoyé chez ses cousins à Paris. Vous êtes donc libre… Ensuite, j'aimerais bien que vous vous prépariez pour sortir… Samedi soir…
— Sortir où?
— Un rendez-vous… Pensez au maquillage… Une belle robe…
— Avec qui?
— Je ne vais pas vous le dire…
— Avec vous?
— Non, pas moi… Vous verrez. Il vous attendra à vingt heures au bar de l'hôtel Mercure. Demain soir…
— Je… Si je n'y vais pas?
— Vous ne verrez plus jamais Richard.
— Quoi?
— Désolé pour l'ultimatum, Clara… Je sais que ce n'est pas quelque chose que vous avez envie d'entendre.
— Je…
— En ce qui vous concerne, je suis très décidé… Si vous n'êtes pas au Mercure à vingt heures, samedi soir, en tenue de soirée, vous ne verrez jamais mon fils pour le restant de votre vie. C'est à vous de décider…
— Non…
— Il ne vous aime pas, Clara… C'est une chrysalide… Ne l'oubliez pas… Il n'est pas encore formé… Bon, je vous dépose au coin, là-bas… Je pense que vous pouvez faire le reste à pied.
L'homme met son clignotant.
Il freine.
Clara n'ose pas le regarder.
Elle descend mécaniquement, en entendant le rappel lancé après elle:
— Demain soir… Vingt heures, au bar du Mercure.
Une fois la portière refermée, David repart à vitesse modérée.