La nuit est tombée.
Je longe l'allée bétonnée mal éclairée jusqu'à l'immeuble de mes parents.
En chemin, je ne pense qu'à Sylvie.
Je me pose la grande question.
Aurais-je pu faire ma vie avec elle?
Aurais-je pu l'aimer?
Comparée à Mathilde, cette femme est aux antipodes.
Les années ont dilué la fraîcheur juvénile qui autrefois l'habitait.
Elle est vraiment ordinaire.
Presque moche…
Malgré tout, je lui trouve encore un je-ne-sais-quoi.
D'où provient cet attrait?
De son physique?
Du ton de sa voix un peu vulgaire?
Du fait que, après toutes ces années, elle est encore gravée dans mon cœur?
Elle n'était pas la première.
Elle l’avait dit pour se rendre intéressante.
Par contre, Sylvie était mon premier amour.
Nuance…
Il existe toujours une grosse part de désir physique surtout pendant l'adolescence.
Sylvie avait de la poitrine parmi les premières de sa classe.
Une paire de hanches, dès la troisième.
Je ne cache pas qu'elle avait peuplé mes séances de masturbation juvénile.
Je l'avais mise en scène des centaines de fois.
Dans des lits…
Dans des voitures.
Dans des hôtels.
Dans des lieux publics.
Ce n'était peut-être que ça, l'amour au masculin.
Un fantasme…
Il y a chez l'homme une fascination permanente pour le corps féminin.
Une séduction par les formes.
Le maintien.
Le visage de Sylvie m'attire encore.
Ses yeux…
Sa bouche.
Son nez.
Ses cheveux.
Mais, ce que je veux véritablement ce sont ses nichons.
Sa chatte.
Son cul.
Sylvie a encaissé les coups bas de la vie et pourtant elle me fait encore bander.
Je sonne à la porte de mes parents.
Mon père ouvre la porte s'attendant très clairement à voir quelqu'un d'autre.
En me voyant devant lui, je crois que sa mâchoire va se défaire de son visage pour se briser au sol.
— Mathilde…
— Bonsoir.
— Que se passe-t-il? Il est arrivé quelque chose à Julien?
— Non… Euh… Est-ce que je peux entrer une minute?
— Oui.
Il me laisse un passage.
Ma mère déboule de la cuisine avec son tablier de ménagère autour de la taille tout en essuyant ses mains sur un torchon à rayures rouges.
— Mathilde… Mon dieu… Tout va bien? me demande-t-elle, affolée.
— Oui, ça va… Mais…
— C'est Julien? C'est ça, hein? Nous sommes très inquiets, vous savez… Il ne répond pas à nos appels. Il ne répond pas à nos messages. La seule fois, il nous a dit d'aller nous faire… voir ailleurs.
— En moins poli, précise mon père pour m'éclairer.
— Ça, c'est pas notre Julien ça… Ce n'est pas lui! Il a dû se passer quelque chose de grave pour qu'il soit à bout, comme ça.
Ils me fixent, attendant de ma part une réponse définitive.
Une explication apaisante.
— Il est très bizarre en ce moment, je déclare, avec inquiétude. Mais, c'est passager… Enfin, je crois… Il travaille dur pour avoir de l'avancement. C'est important pour lui cette promotion… Il doit travailler, sans arrêt… Presque jour et nuit.
— Il pourrait nous le dire, s'énerve Roger. On comprendrait.
— Il a toujours été très communicatif avec nous, précise ma mère. Même au sujet de son métier… On comprend pas toujours ce qu'il nous dit mais, au moins, on voit où il en est.
— Oui, c'est vrai, j'acquiesce, sobrement. Mais, ça va aller… Bientôt… Oui… Il faut garder confiance.
— Bon.
Ils me regardent alors fixement comme pour me demander:
— Alors, si tout va bien… Qu'est-ce que tu fiches ici?
— C'est Pascale que je recherche, j'explique, enfin.
— Pascale?
— Vous savez qu'elle était chez nous.
— Oui… Elle nous a tout dit.
— C'était pas un bon arrangement, ajoute mon père. Mais… Pourquoi la chasser comme une malpropre? Pourquoi qu'il a fait ça, Julien? Surtout qu'ils ont toujours été très proches… Lui et Pascale. Ils se sont toujours tenus les coudes… À l'école… Julien l'a toujours défendue même si ça lui valait de prendre des coups à la sortie.
C'est plutôt sympa de la part de mon père de me présenter en valeureux chevalier.
En vérité, les occasions de défendre Pascale étaient rares.
Elle se défendait pas mal toute seule.
Les dernières années, c'était plutôt elle qui volait à mon secours.
— Oui, il y a eu un malentendu. Julien le regrette profondément… C'est pour ça que je la cherche… Pour lui dire qu'elle peut revenir chez nous. Que tout va bien.
— Je ne sais pas, commente mon père, dubitatif. Pascale est très remontée contre lui. Elle n'est pas prête à lui pardonner.
— Est-ce que je peux lui parler? Vous savez où elle est?
— Oui, dit mon père.
— Mais, à cette heure-ci, précise ma mère. Elle est encore au travail.
— Où?
— Au Super U de la Cité Aragon.
Au milieu de l'espace commercial qui couvre la zone HLM, entouré de boutiques ethniques et de bazars à un euro, le Super U est le seul supermarché qui persiste.
Une grande surface typique avec deux gros baraqués pour filtrer l'entrée.
— Je sais où c'est, je déclare, fièrement.
— Vous savez où c'est? s'étonne, mon père. Pour de vrai ?
— Euh, je crois que Pascale m'en a parlé… Elle y a travaillé autrefois, non? Il me semble…
— Honnêtement, ça nous a pas mal surpris qu'ils la reprennent, commente ma mère. Après ce qui s'était passé la dernière fois… Mais bon, depuis qu'ils ont des caméras partout, maintenant… C'est peut-être mieux pour tout le monde.
— Merci, je vais aller lui parler.
— À cette heure-ci? s'inquiète mon père. Vous n'allez pas traverser la Cité Aragon toute seule, de nuit.
— Euh… Je ferais le tour.
— C'est vraiment pas conseillé, confirme ma mère.
— Attendez, je vais l'appeler, me dit Roger. Je vais lui dire que vous êtes ici et que vous voulez lui parler.
— Et Pascale? Elle doit bien traverser la zone, non?
— Elle connaît, me rassure ma mère. Elle s'est trouvée un passe-passe.
— Un passeur, corrige mon père.
Mes parents échangent une grimace de désapprobation.
— Un passeur? je demande.
— Un protecteur. Vous savez, c'est Aragon… C'est une autre société, là-bas… D'autres règles qu'ici… Pascale est habituée.
— En attendant, venez… Viens t'asseoir dans le salon, m'invite ma mère. Pas la peine de rester debout dans l’entrée.
— D'accord.
Mon père prend son téléphone mobile pour envoyer un message à Pascale.
— Ils n'ont pas le droit au téléphone pendant le boulot, il précise à mon égard. Je lui laisse un message pour expliquer la situation.
— Merci.
— Désolée Mathilde mais j'ai quelque chose sur le feu…
Ma mère nous laisse tous les deux dans le salon.
Une fois le message envoyé, mon père s'installe dans son fauteuil habituel devant le match de foot en sourdine.
— Asseyez-vous, dit-il, en m'invitant à l'imiter.
— Je ne veux pas déranger, je lui dis, en montrant la télé.
— C'est le PSG… Ils vont gagner, comme d'habitude. Je ne rate rien d'important. Je vous sers un petit quelque chose?
Malgré ma supplique, le tutoiement n'a pas pris.
— Volontiers, je réponds, sans réfléchir.
Mon père boit volontiers du whisky de supermarché.
La première catégorie, celle à prix plancher.
Un alcool interdit dans la collection des single malts des De Lombarès.
— Qu'est-ce que vous aimez?
Mon père a trois bouteilles en tout et pour tout.
Pastis.
Cointreau.
Whisky, Label 5.
— Un whisky, s'il vous plaît.
Son visage s'illumine.
Mon père a la main généreuse question alcool.
Il remplit nos verres d'une triple dose.
Il me tend le mien sans me demander si je veux un glaçon.
Verre en main, je m'installe dans le second fauteuil devant la télé.
Je retrouve la place où j'ai passé tant d'heures à regarder des matchs de foot avec lui.
À l'écouter énumérer les injustices en France.
Les inégalités sociales.
Les riches contre les pauvres.
La lutte des classes.
Le conflit ouvrier…
La déconfiture de l'Union Soviétique ne l'a pas découragé.
Il croit toujours à un système à la Française qui distribuera, principalement à l'avantage des syndiqués, de meilleures cartes à jouer.
Il lève son verre à ma santé.
Je lui sourie.
— Tchin, tchin, je fais, pour rester dans mon personnage.
— Ouais, c'est ça.
Il avale une bonne gorgée ce qui lui donne le courage de me demander:
— Ça va, votre papa? Toujours à exploiter le système?
— Toujours… Fidèle au poste. C'est un sale boulot mais il faut bien que quelqu'un le fasse.
Pigeant l'ironie, mon père me sourit avant d'avaler une seconde rasade.
Après le café de Sylvie, l'alcool fort pousse mon estomac à se rebeller.
Je ressens immédiatement l'effet.
Mes joues s'enflamment.
Une légère transpiration suinte de ma nuque.
— Je comprends pas comment on peut faire ça… Comment on peut aider les riches à tricher le fisc? Et s'en mettre plein les poches au passage… Dort-il seulement la nuit, vot' père?
— Comme un bébé… Vous savez, Roger… Il ne s'agit que d'une optique qu'on se colle sur le nez. Quand il s'agit de l'argent, il n'y a que deux façons de voir les choses… En myope… Là, vous pensez que tout l'argent appartient à la Nation, à l'État, et c'est à lui de décider quoi en faire. Par exemple, le redistribuer selon les besoins supposés de chacun.
— Ouais.
— Ou bien, en presbyte… Là, vous voyez l'argent comme une propriété privée… L'argent que je gagne est tout à moi. Je vais tout faire pour ne pas le partager.
— C'est immoral, ça!
— Est-ce véritablement une question de moralité? L'État peut être pourvoyeur tout comme il peut être voleur. En prenant l'argent des riches, on peut y voir une injustice ou bien une justice, selon que l’on soit payeur ou bien receveur…. L'État Robin des Bois, peut-être… Mais, Robin des Bois était un voleur de grands chemins, ne l'oublions pas.
— Oui, mais c'est bien pire encore… Les riches volent les pauvres en les exploitant.
— Peut-être que c'est la grande question… Est-ce que les pauvres ne se volent pas eux-mêmes en refusant de devenir riches? En refusant l'effort… En choisissant le chemin de la facilité.
— Que voulez-vous dire? Que les pauvres sont des fainéants?
— Oui.
Mon ton péremptoire énerve fortement mon père.
— Savez-vous ce que c'est que le vrai travail? Pas assis dans un bureau toute la journée à appuyer sur une souris d'ordinateur.
— Le travail physique sera toujours moins rémunéré que le travail intellectuel.
— Pourquoi ça?
— Parce que le physique, n'importe qui peut le faire… User de sa tête, c'est une autre histoire… Il suffit de regarder Pascale et Julien… Lequel de vos deux enfants est le plus méritant?
— Pascale, répond mon père, sans hésiter.
— Pascale?!
— Parce que, c'est que… Pour Pascale, ça n'a pas été facile… Julien, c'est fastoche pour lui… Pascale, elle en a bavé… C'est l'enfant qui a du mal à l'école qu'on doit récompenser… C'est lui qui a besoin d'être encouragé. Pas la peine de lui dire qu'il est nul. Qu'il n'arrivera à rien… Au contraire, c'est un enfant qu'a besoin de soutien… De récompenses… De Prix d'Excellence… Pour Julien, c'est facile de se lever tous les matins… La situation… L'argent… Tout ça lui tombe de tous les côtés… Personne demande à Pascale ce qu'elle doit faire pour survivre une journée… Alors, c'est pour ça qu'on est dans cette merde… Julien est devenu aveugle à la vraie justice… Il ne voit plus ceux qui en ont moins que lui… Il devient égoïste. Il devient complètement centré sur lui-même. Il se fiche de tout… Au point de nous envoyer balader… Nous… Ses propres parents… Pascale aussi, du coup… Hier soir, Pascale est revenue à la maison comme un petit chat perdu… Un petit animal qu’a perdu son chemin… Est-ce qu'on lui a botté le cul? Est-ce qu'on l'a laissé dehors à crever? Est-ce qu'on lui a dit qu'elle n'avait qu'à mieux bosser à l'école? Non! On ouvre notre porte même tard dans la nuit… On se serre tous dans les bras… On pleure un peu, en soufflant à son oreille que tout ira bien… Tout ira bien… C'est ce que les gens veulent entendre… Ils veulent un peu de compassion… De compréhension… Et d'amour… Merde, bordel, de quoi… C'est pas compliqué tout de même.
Mon père vide son verre d'un trait.
Son visage est rouge cramoisi.
La couleur même de sa révolution interne.
Les gens veulent de l'amour…
De l'émotion, quoi.
L'opposé du discours du père de Mathilde sur la raison du plus fort.
Sur l'effort et la réussite…
Ne résistant plus après sa harangue, mon père se lève d'un bond pour aller se servir un deuxième verre.
— Mais de vous voir… Mathilde… Ici, dans mon salon… Vous me redonnez un peu d'espoir. Je pensais pas que vous auriez envie d'aider Pascale… Je pensais même que c'était le contraire… Que c'était vous qui montiez la tête de notre fils… Pour rejeter nos valeurs… Pour nous rejeter, nous! Mais bon, je ne sais plus maintenant… Je me suis peut-être trompé… Peut-être bien que je suis le père d'un monstre, après tout… Pourtant, j'aurais pas cru, vous voyez… Alors, si c'est pas lui… Si c'est pas notre Julien… C'est juste le fric… Le fric, c'est le mal incarné, vous savez… Le diable!
— Au fric, je trinque, en terminant mon verre d'un trait.
Roger pose son verre.
Me regardant droit dans les yeux, il ajoute:
— Du coup, je suis un peu curieux… C'est ce qui me fait vous poser la question qui me turlupine depuis longtemps… Vous… Mathilde… Vous cherchez quoi au juste dans tout ça?
Je regarde le fond de mon verre vide comme si j'y avais caché la vérité.
Parlant plus à moi-même qu'autre chose, je lui dis:
— Je ne sais pas… Je crois que je commence à réaliser que je suis un peu comme tout le monde. Que je cherche l'amour…
Au même instant, le téléphone portable de mon père signale un retour de message.
Il le lit.
Pascale vient de finir son service.
Il fronce des sourcils.
— Je crois qu'elle ne veut pas vous voir, grimace-t-il.
— Il faut absolument que je la vois… C'est très important. Je peux lui parler?
Mon père effleure du doigt le numéro.
Il me tend le combiné.
Première sonnerie.
Deuxième sonnerie.
Enfin:
— Qu'est-ce que tu veux? Je t'ai dit que je ne voulais pas la voir, cette connasse…
— C'est moi… C'est Mathilde, je dis, de ma voix la plus assurée.
— Je n'ai rien à te dire, pouffiasse… Tu peux aller crever.
— Je dois te parler, Pascale… J'ai besoin de te dire la vérité.
— Quelle vérité?
— Pas au téléphone… Laisse-moi te parler, cinq minutes… Je sais que tu vas comprendre… Et puis, j'ai besoin de ton aide pour un truc... C'est urgent!
— Quel truc?
— Je dois absolument retrouver un marabout… Un marabout à Malakoff.
— Quoi?!
— Un marabout… Tu sais… Un sorcier africain.
— Pourquoi faire?
— Laisse-moi te parler, ce soir… Je vais tout t'expliquer.
Le silence retombe sur la ligne.
J'entends son souffle.
Je l'imagine en train de marcher d'un pas rapide à travers les méandres mornes de la Cité Aragon.
— D'accord, finit-elle par me dire. Reste-là, chez mes parents… J'arrive.
Vingt minutes plus tard, Pascale passe la porte avec son bonnet de laine à la main.
En la voyant entrer dans le salon, je la reconnais à peine.
Elle s'est complètement rasée le crâne ce qui lui donne une allure d'extra-terrestre cancéreuse.
On devine chaque relief de son encéphale.
Elle ôte l’anorak qu'elle porte sur sa blouse du Super U.
Elle fait la bise à ses parents mais décline leur invitation à manger.
Apparemment, elle a un rencard important.
Me faisant face, elle me demande:
— Alors, c'est quoi que tu voulais me dire de si important? C'est quoi cette histoire de marabout à la con?
Mes parents l'encadrent de chaque côté.
Trop de public pour une confession.
— Je… J'ai…
— Quoi? Allez, accouche, putain.
— C'est… C'est un peu personnel, comme secret.
Pascale fait semblant de comprendre mon embarras.
Elle me prend par la main.
Elle m'entraîne vers mon ancienne chambre d'enfant.
Elle y a déposé en pagaille ses affaires de Louveciennes.
Le lit est défait.
Pascale retire sa blouse qu'elle jette dans un coin.
Je note qu’une perruque blonde dépasse de la poche.
Assise sur le lit, elle passe une main rapide sur son crâne rasé.
Elle tire une cigarette du paquet sur la table de nuit.
Elle l'allume.
Elle s’étire.
Me regardant debout dans le passage, elle déclare:
— C'est un marabout que tu veux ou un marasquin?
La phrase débile la fait sourire.
Je ne sais pas par où commencer.
— Allez, je t'écoute, confirme Pascale. Si t'es venue jusqu'ici, c'est que ça doit être important.
Je ferme la porte de la chambre.
— As-tu un secret? je lui demande, enfin.
— Quoi?
— Un secret… Quelque chose que seuls toi et Julien, vous connaissez.
— Un secret comment?
— Un secret qui n'appartient qu'à vous deux… Un souvenir… Un événement du passé dont tu es absolument certaine qu'il ne l'aurait pas oublié… Mais aussi, qu'il n'en aurait jamais parlé… Même pas à ses parents… Même pas à sa femme… Un très grand secret.
Pascale cherche mentalement le fil conducteur.
— Oui, finit-elle par me dire. Mais, je ne vais pas te le dire si c'est ça que tu veux.
Je fais deux pas dans sa direction.
Je baisse le ton de ma voix.
Je murmure presque:
— Ça s'est passé dans cette chambre… Tu as quinze ans… J'en ai dix-sept. Les parents sont sortis chez des amis. Samedi soir… Tu ne veux pas me laisser en paix. Une vraie peste… Je suis assis au bureau. Qui est dans le coin… Il y a un poster de Porsche, exactement là, sur le mur. J'écoute la radio. FIP… Parce que j'aime bien la musique… Un peu de classique… Un peu de jazz… Ce qui me laisse concentré pour étudier.
Pascale est clairement intriguée par mon récit.
Je fais un pas de plus vers elle.
— Toi, tu es sur mon lit, à peu près là où tu es en ce moment. Un peu allongée… Tu lis une de mes BD… Michel Vaillant. Pourtant, je sais que les bagnoles ne te branchent pas trop… Puis, de but en blanc, tu me demandes si je l'ai déjà fait… Avec une fille… Tu veux savoir comment c'est… Moi, je ne veux pas en parler… Mêle-toi de tes oignons... Ça ne te regarde pas… Tu insistes. Tu veux me tirer les vers du nez. Enfin, je te dis la vérité... Que j'ai rien fait… J'ai même pas embrassé une fille pour de vrai. Tu ne veux pas me croire… Tu veux que je te raconte comment c'était avec Sylvie Dubrana. La fille de l'immeuble d'à côté… Je nie... Je te supplie de me laisser tranquille. Tu me taquines… Tu veux savoir si... Si j'ai encore envie.
Incrédule à écouter le récit secret, Pascale me fixe nerveusement.
— Je te regarde… Tu as ouvert un peu le haut de ton pyjama. Tu me demandes si je veux t'embrasser comme avec Sylvie… Je sais que c'est pas bien. Mais, tu veux… Alors… Tu te souviens… Nous sommes l'un contre l'autre… Et puis, on s'embrasse… Comme au cinéma… Et moi, je ne peux pas m’empêcher…
Le récit devient éprouvant à raconter.
J'ai la gorge sèche.
La tête me tourne.
— Je glisse une main dans le bas de ton pyjama. Et toi… Tu écartes les cuisses pour me laisser toucher. Et puis…
Le silence retombe.
Je ne peux pas continuer.
L'émotion du souvenir me bouleverse.
Pascale me fixe.
Elle aspire une dernière bouffée de sa cigarette.
Elle l’écrase en ajoutant, froidement:
— Et puis, tu m'as baisée… Tu m'as baisée, Julien.
La confession m'arrache des larmes de remords.
— Je… Je suis désolée, Pascale, je sanglote. Je n'aurais jamais dû… J'ai eu tellement honte, après. T'as pas idée...
Pascale n'est plus dans cette histoire là…
Le présent est plus dément.
Elle fixe ce corps de femme qui lui parle du passé de son frère.
Elle fixe Mathilde comme si elle était témoin de l'apparition de la Sainte Vierge.
— Comment est-ce possible? Ce n'est pas possible… Pas possible, finit-elle, par répéter.
— Je… Je ne sais pas, Pascale… Je ne sais pas comment ça s'est passé… Mais, il faut que tu m'aides… Je t'en supplie, Pascale… Il faut que tu m'aides à en sortir!