Julien et Philippe déguerpissent aussi hilares qu'en arrivant.
Je suis épuisée.
Je suis plus faible que jamais.
Je ne sais même pas comment je vais pouvoir me lever du canapé souillé.
La maison est écrasante par son silence.
Le vide qui l’habite.
Le froid m'aiguillonne enfin à bouger.
Usant de mes ultimes forces, je remonte vers la chambre à coucher.
Je me retrouve sous la douche, assise à même le sol dallé.
Le dos courbé et les jambes raides, en équerre devant moi, avec l'eau tiède qui pleut sur mon crâne.
Je pleure…
Je sais que j’énerve sérieusement avec mes pleurnicheries.
C'est ainsi…
Je suis l'émotion incarnée.
Je les ai toutes à fleur de peau.
J'ai perdu cette carapace masculine que je m'étais fabriquée.
Je suis à vif…
Je ne pleure pas la double pénétration.
Je ne pleure pas la cruauté incompréhensible de Mathilde...
De Julien.
Je ne pleure même pas la fin de notre couple.
Je pleure toutes ces années gâchées.
Je me suis trompée.
J'ai pris le mauvais chemin.
Je n'ai écouté que l'argent.
L'argent, comme guide de carrière.
L'argent comme but d’une vie.
Voilà où le fric m'a menée…
J'ai été aveugle devant les vrais opportunités.
Une vie normale.
Une vie sociale.
Une adolescence.
Une vie étudiante.
Une vie aux côtés de Sylvie.
Avec un emploi à mon niveau.
Dans une tranche d'imposition à mon niveau.
Dans un monde ordinaire que je maîtrise à fond.
Malgré l'eau qui ruisselle partout, j'ouvre les yeux.
Je vois dans le miroir mural ce sexe de femme béant.
Pour la première fois, je le déteste.
J'ai envie de prendre une lame, un bon gros couteau de boucher bien aiguisé, et de l'y enfoncer.
Loin…
Bien au fond.
Saigner des litres et des litres.
J'ai envie de prendre une lame de rasoir, un coupe-chou de barbier, et de m'exciser.
Couper lentement du tranchant aiguisé ce clitoris maudit.
Le jeter dans la cuvette des WC.
J'ai envie de me faire un lavement anal en usant d'une grosse poire médicale pleine d'acide chlorhydrique.
Enfoncer l'embout loin dans mon anus.
M’en emplir à mourir pour aller me vider en public sur le quai d'une station de métro bondée de touristes coréens.
Puis, comme par miracle, j'ai ma grande idée…
Une heure plus tard, je suis habillée de mes habits les plus élégants.
Tailleur de marque.
Chemisier de soie.
Lingerie fine.
Chaussures et accessoires assortis.
Bijouterie.
Je suis coiffée.
Maquillée.
Pomponnée.
Remise de mon malheur.
Souriante.
Gaie.
Je suis particulièrement heureuse…
Une idée me motive comme jamais une idée ne l'a jamais fait.
Mon action est impérieuse.
Je suis en mission commandée.
Du coup, l'heure tourne trop vite.
Je n'ai pas beaucoup de temps devant moi.
Quelques heures à peine et les cinq cent euros de Youssou.
Je laisse la maison en l'état.
Je prends mon sac à main et mes clés.
Je file.
Il n'y a pas de voiture dans le garage.
Je fulmine, mais je poursuis.
À pas lents, je remonte notre rue déserte.
Je passe devant toutes les villas de luxe voisines pleines d'inconnus fortunés, indifférents à mon sort, indifférents à ma vie.
Il se met à pleuvoir.
Quelques gouttes froides et lourdes…
Je n'ai pas de parapluie.
Ma douche d'apitoiement se poursuit.
Je suis en train de me dire que je suis complètement cinglée lorsqu'une voiture s'arrête à ma hauteur.
La vitre électrique se baisse.
Un homme barbu, plutôt jeune, à bord d'un véhicule énorme.
— Je peux vous emmener? me demande-t-il.
— Oui, s'il vous plaît.
— Où allez-vous?
— Au centre commercial Stendhal de Viroflay.
L'homme hésite à accepter.
Jugeant mon état mouillé tout en estimant ma tenue BCBG, il conclut:
— C'est bon, montez… Je ferais un petit détour.
Je monte à bord du SUV.
Je tire la portière.
Mon chevalier servant enclenche la vitesse.
Le moteur vrombit.
Je lui souris.
Mes pieds me faisant affreusement mal, j'ôte mes escarpins pour les masser.
L'homme regarde furtivement mes jambes fines.
Les pieds délicats entre mes doigts.
Un léger bruit me fait tourner la tête.
Sur le siège arrière, un bébé, bouclé dans son siège, me regarde avec de grands yeux étonnés.
— Vous habitez dans le quartier? me demande l'homme.
— Non, j'étais chez un client.
— Vous travaillez dans l'immobilier?
— Non, pas du tout, je lui réponds, en rigolant.
Incertain, l'homme me toise un court instant.
— Mais, comme vous le voyez, il m'a abandonné sous la pluie… Le con!
Pour mieux illustrer ma profession ancestrale, je baisse le pare-soleil.
Je me recoiffe devant le petit miroir éclairé.
Je passe ma langue sur mes dents.
Je prends les billets de banque que j'avais dans mon sac à main.
Je les compte doucement.
Je les glisse dans mon soutien-gorge.
— Tu… Tu travailles souvent dans le quartier? s'intéresse, mon chauffeur.
Le tutoiement est arrivé.
Il me rabaisse déjà.
— Pas trop… Surtout au Vésinet.
— Ah, bon?
Au feu rouge, je vois que l'homme joue nerveusement avec son alliance.
— Tu n'as pas peur d'aller chez des inconnus, comme ça? Dans la nuit…
Je le mets à mon tour à égalité.
— Tu sais, les gens… Les proches… Les connaît-on seulement? Moi, je te le dis… Tu peux être mariée depuis cinq ans, tu ne sais toujours pas qui habite vraiment avec toi… Ton époux… Ton conjoint… Je veux dire, dans sa tête… Là-haut, au plus secret… Là où résident les hontes, les vices et les fantasmes… Je vais te dire un grand faux secret… Personne n'est vertueux. Personne! La morale ne sert qu'à accuser les autres… En général, pour en tirer quelque chose… On s'imagine, en voyant toutes ces maisons bien ordonnées, que tous les gens par ici sont des saints… Ben non, ce sont tous des diables… Et, certains… Je suis bien placée pour le savoir, ce sont carrément des monstres.
— Ouais… T'es, assurément, au premier rang de la compréhension humaine… T'en as jamais assez de les fréquenter?
— Je le fais pour le fric… De ce côté là, j'en ai jamais assez… J’en suis droguée. Pour du fric, je n'ai pas peur de m'humilier.
— Tu… Tu fais… Tout?
— Si tu peux l'imaginer dans ta tête et que t'as assez de blé, je suis prête à le faire… Sauf si tu veux me tuer, évidemment… Là, je tire le trait.
Terminant ma phrase, j'éclate d'un rire particulièrement cynique.
Après cela, l'homme poursuit sa conduite en silence.
Il s'arrête bien sagement sous le fronton de l'entrée du centre commercial de Viroflay.
— Merci, je lui dis. C'était vraiment sympa de me déposer.
— Euh…
— Oui?
— Est-ce que je pourrais avoir ton numéro?
Je souris de tout mon charme féminin.
Je fouille dans mon sac à main.
Je sors un stylo bille publicitaire de la GBF.
Je lui prends la main.
Il se laisse faire.
J'écris sur sa paume: Mathilde avec un petit cœur sur le i et le numéro de mon iPhone.
— Merci, dit-il, en affichant un visage heureux.
— Au revoir, mon petit chou, je lance en direction de l'enfant sage sur le siège arrière. T'en as de la chance d'avoir un papa si gentil.
Je quitte le véhicule.
Ma dernière soirée dans le corps de Mathilde…
Je compte en profiter pour m'amuser.
Si le marabout dit vrai, demain matin, je vais me réveiller un homme.
Un homme libre…
Par chance, je tombe sur une nocturne commerciale dominicale.
Ce n'était même pas la peine de me presser.
Dans notre pays avide de pognon, on travaille maintenant tous les dimanches.
On en a plus rien à foutre des curés…
Pour commencer, j'ai besoin de sucre pour me stimuler.
Je commence par une préparation de café glacé hyper sucré de chez Columbus Café.
Je sirote du gobelet transparent en déambulant parmi la foule hétérogène.
J'entre ensuite dans la boutique de lingerie la plus bon marché.
J'ai besoin de sous-vêtements adaptés.
J'explique à la vendeuse ce que je recherche.
Elle me présente des articles polissons.
J'achète un micro-string rose quasiment transparent.
Un soutien-gorge à balconnets qui ne couvre pas mes mamelons mais pousse mon décolleté vers le sommet.
Des bas résilles noirs avec un porte-jarretelles adapté.
Je me change dans la cabine.
Je jette les articles de luxe de Mathilde dans la poubelle.
Je règle en liquide.
Ensuite, je passe à la boutique de vêtements la plus trash possible.
Autrefois, j'empruntais la rue du Réage à Montrouge pour aller au lycée.
La rue des prostituées…
J'avais toujours admiré ces femmes qui, par tous les temps, tous les mois de l'année, faisaient le trottoir.
J'aimais leurs allures.
Leurs costumes étriqués…
Leurs façons de bouger.
J'avais envie de leur parler.
Inspirée, j'achète la panoplie complète de la pute de banlieue.
Un bustier panthère très serré qui libère mon nombril et mes épaules.
Une jupette en skaï noir hyper courte et moulante.
Un blouson en plastique, fuchsia électrique.
Encore une fois, les habits de marque de Mathilde terminent à la poubelle.
L'article que j'anticipe le plus, je le trouve chez un vendeur de chaussures.
J'achète les bottes noires les plus brillantes et les plus hautes du magasin.
Les talons immenses me donnent illico la posture, le maintien et la démarche d'une catin.
Pour compléter mon costume, il manque un détail important.
J'entre chez un coiffeur, une chaîne sans rendez-vous, pour des coupes rapides.
Je patiente un quart d’heure à feuilleter un vieux Closer.
Sous le ciseau de la jeune coiffeuse, les beaux cheveux blonds de Mathilde tombent autour de la chaise.
Une fois terminée, j'admire la coupe en bob, très courte, très gonflée, un peu désordonnée, qui expose ma nuque.
Lorsque je me vois dans un miroir de plein pied, je suis envahie de joie.
Un plaisir inégalé.
Je suis enfin prête pour attaquer l'idée capitale qui m'a menée jusqu'ici.
J'avais repéré la boutique lors de ma dernière visite.
Elle est située au troisième étage de la galerie marchande, très à l'écart des enseignes classiques.
Je pousse la porte.
Une clochette tinte.
J'attends quelques secondes en admirant le décor.
Un homme, digne représentant de sa profession, apparaît de l'arrière salle.
— Je voudrais un tatouage, je déclare, sans hésiter.
— Ouais, pas de problème… Quel jour te conviendrait?
— Je le veux maintenant!
— Désolé, je suis pris là… Et, en plus, c'est dimanche soir… Je suis vanné.
— Ce que je veux ne te prendra pas plus de quinze minutes… Je suis prête à payer le prix.
Je dépose deux cents euros sur le comptoir.
— Euh… À quoi penses-tu? me demande-t-il, en lissant sa barbe épaisse tout en admirant mon look.
— Juste du texte… Quelques lettres dans le bas du dos.
Je lui montre en gros la zone au-dessus des fesses.
— Quel texte?
Je prends un morceau de papier du bloc près de la caisse enregistreuse.
Avec mon stylo GBF, j'écris en gros les sept caractères requis.
— C'est pas trop sorcier, je lui dis, en souriant.
L'homme soulève le bout de papier.
— T’es sûre? Tu devrais peut-être réfléchir… Quarante-huit heures, au moins.
— Non, j'insiste… Il me le faut ce soir… C'est impératif… Demain, ce sera trop tard.
— Bon, d'accord, dit-il, en empochant l'argent. Attends-là que je finisse avec mon client.
— Merci.
J'attends vingt minutes en feuilletant des revues de tatouage.
J'admire cet art provocateur.
Toutes ces femmes qui, comme Pascale, sont tatouées sur le corps entier.
On a envie de les connaître pour les admirer...
Mais surtout pour partager leurs esprits de liberté.
Il faut être libre pour oser…
Mon costume en est l'étendard.
Si j'étais entrée dans la boutique du tatoueur déguisée en Mathilde, l'homme n'aurait pas accepté.
Même pour plus d'argent.
Il faut être pute pour faire un truc de pute.
C'est l'ordre des choses…
L'équilibre du monde.
Enfin, c'est à mon tour.
Je me retrouve les seins exposés, le dos courbé sur la chaise de travail élevée.
Le tatoueur me présente le ruban adhésif avec les lettres pré-imprimées.
J'ai choisi une police de caractères facile à lire.
Satisfaite, je précise bien l'emplacement surtout pour le dernier signe.
Il pose le ruban adhésif sur ma peau.
Lorsqu'il le retire, le contour des lettres est appliqué.
Je laisse l'artiste œuvrer en silence.
Une demi-heure plus tard, le corps de Mathilde est marqué.
L'homme prend une photo du bas de mon dos avec son mobile.
Il me présente le résultat.
— C'est parfait, je lui dis, ravie.
Pendant que je m'habille, il m'informe des conseils d'hygiène.
Le tatouage neuf gratte un peu mais je ne veux pas l'irriter en y passant la main.
Pour son excellent travail, j'ajoute cinquante euros de pourboire.
J'ai presque tout dépensé de mon argent de pute.
J'ai juste envie de m'offrir une dernière gâterie.
Avant de quitter tout ça…
Je traverse la galerie marchande en prenant mon temps.
Mon dos fraîchement tatoué est à l'air libre.
Je laisse les hommes me lire.
Je les laisse admirer.
Surtout ceux en famille avec leurs jeunes enfants à la main...
J'arrive à la salle de cinéma.
J'achète un billet pour le film le plus violent possible.
Au comptoir de gourmandises, je commande un grand Coca et du Popcorn.
La séance précédente n'étant pas terminée, j'attends perchée sur le tabouret d'une table haute en grignotant mon dîner.
Ma jupe est si courte, mon string si étroit, que je sais que, à moins de croiser les jambes, chacun peut deviner ma chatte épilée.
Je m'amuse à rechercher ceux qui oseront.
La plupart des gens qui passent devant moi ne peuvent pas s'empêcher de regarder.
En couple, les hommes apprécient.
Leurs femmes me lancent des regards critiques ou amusés.
Un jeune garçon, naturellement mieux placé question taille, ose un regard fixe et brûlant sur mon entrejambe.
Lorsque sa mère voit ce qu'il fait, elle le tire de force en le grondant.
Enfin, la séance de cinéma débute.
Je laisse les gens dans la file s'installer.
Après quelques minutes, j'entre dans la salle encore allumée.
Pour la dernière séance d'une nocturne commerciale, elle est pas mal pleine.
Des couples plutôt jeunes.
Des hommes seuls…
Plantée sur le bord de l'allée, je fais mon choix.
Une fois fait, je viens m'asseoir exactement où je veux.
À ce stade, je garde mon nez dans mon Popcorn.
Les messages publicitaires m'aident à me concentrer.
L'homme à ma droite ne bronche pas.
Il devine forcément ma présence mais il ne bouge pas d'un millimètre comme s'il était glacé.
De furtifs coups d'œil, je l'estime.
Un banlieusard…
Correctement habillé.
Soigné.
Un homme d'une cinquantaine d'années.
Que fait-il seul dans ce cinéma?
Un cinéphile?
Ou cherche-t-il autre chose?
Lorsque le film commence, je dépose mon paquet de Popcorn au sol.
Les mains libres, j'écarte imperceptiblement les jambes à tel point que mon genou droit est presque en contact avec le sien.
Après encore cinq bonnes minutes, je tends ma main droite dans sa direction.
La paume ouverte…
Immobile.
L'homme n'a qu'une seule chose à faire.
Poser sa main dans la mienne.
C'est tout.
Un geste simple pour accepter.
Pour dire oui.
Afin que je la guide entre mes cuisses.
Offerte…
Gratuite.
Toute à lui.
Ma main reste en attente une bonne dizaine de minutes.
Finalement, l'homme bouge.
Il se dresse.
Dérangeant les gens en chemin, il va s'asseoir trois rangs plus loin.
Toute la contradiction est là…
La femme libre est mauvaise.
L'homme libre est bon.
La femme esclave, c'est juste.
L'homme esclave, c'est injuste.
Cette inégalité érige tant de murs entre nous.
Tant de béton armé…
Notre double morale avance à contre mouvement.
Notre fausse morale nous déchire.
Notre raison nous détruit.
Alors, je reste là, seule, avec mon Popcorn, à regarder ces images hyper violentes.
Des hommes qui tuent et tuent et tuent encore.
Des morts en gros plan…
Du sang qui jaillit.
Des montagnes de cadavres qui s'empilent.
Après un moment, je m'endors profondément.
Je suis réveillée par la main d'un jeune employé qui me secoue l'épaule.
La salle de cinéma est éclairée et vide.
Le film est fini depuis longtemps.
Je souris de confusion.
Je file.
Tout est fermé dans le centre commercial.
Les rideaux de fer sont baissés.
Il n'y a plus que quelques jeunes qui déambulent à la recherche d'une idée ultime pour continuer la soirée.
Je me retrouve sur le parking quasiment désert.
Je regarde le ciel d'encre au-dessus de moi.
Pas de lune…
Le noir complet.
Il fait très froid.
Ma tenue est complètement inadaptée.
Je marche d'un pas pressé vers la station de taxi.
Il n'y en a qu'un seul.
Je monte à l'arrière.
Le chauffeur black me dévisage dans le rétroviseur.
Il me sourit, en me demandant:
— Où est-ce qu'on va, ma petite chérie?
Le rêve est complètement l’inverse du premier.
Réaliste à l’extrême…
Concret.
Un chantier de nuit.
Un éclairage industriel.
Je suis ouvrier en combinaison bleue avec un casque rouge sur la tête.
Mes bras musclés sont dénudés.
Je suis entouré d’immigrés, surtout des blacks, occupés à couler les fondations d’un énorme programme de BTP.
Un panneau distant indique: bientôt ici, votre nouveau centre commercial.
Je pousse une brouette le long de planches de bois assemblées entre les cavités.
À l’intérieur, un corps humain replié sur lui-même de façon grotesque.
Je m’arrête au bout du passage…
Dans l’espace sous mes pieds, se trouve une boîte de fer carrée d’environ un mètre de côté.
J’y descends.
Je m’empare de la figure toute molle que je transportais.
Un corps de femme avec des cheveux blonds et des caractères sexuels exagérés.
Le genre de poupée en latex à gros nichons que l’on commande par internet sauf que celle-ci n’a pas de squelette.
Flasque, je la bourre facilement dans la boîte de fer.
Je m’empare de la visseuse professionnelle à ma ceinture.
Je scelle le couvercle rapidement.
Satisfait, je remonte sur les planches.
J’allume une cigarette.
J’expectore la fumée avec satisfaction comme le ferait l’acteur d’une vieille publicité.
Je fais un signe de la main à un collègue distant.
Le tuyau d’une bétonneuse approche de l’endroit.
Je m’éloigne en poussant la brouette.
Je souris crânement tandis que la masse épaisse du mortier emplit la cavité.
La boîte de fer est ensevelie…
Je sursaute violemment.
J'ouvre un œil.
Je suis dressé dans notre lit.
Je suis nu.
Secoué.
Terrifié.
Je suis trempé de sueur.
Mon cœur palpite violemment.
Ce n’est rien, je me dis.
Juste un cauchemar…
Je retombe contre l’oreiller.
Je la sens aussitôt.
Ma queue…
Gonflée de sang.
Vivante.
Bandante.
Je la caresse.
Je la palpe.
Je la tripote.
Je tourne la tête à gauche.
Ma femme Mathilde dort paisiblement, enfouie sous sa couette.
Un rêve… Tout n'a été qu'un long rêve insensé.
Un cauchemar, peut-être bien.
Certains moments, absolument...
Je tourne la tête à droite.
Dans la pénombre, je vois la lithographie de Man Ray au-dessus de la commode.
Elle représente le visage d'un homme de pierre.
Ce portrait imaginaire est celui du Marquis de Sade.
Derrière lui, la Bastille…
Un homme fait de pierres.
Prison et homme ne font plus qu'un.
Je fixe le plafond.
Je philosophe dans le petit matin.
Nous sommes faits de pierres.
Nous sommes figés dans ce que nous sommes.
Une expérience surréaliste ne peut pas nous libérer de nos conditions.
Il n'y a pas de vice chez le marquis de Sade autre que le vice de son imagination.
Un rêve…
Un fantasme…
Une hallucination…
Toute illusion est décevante.
On se sent inévitablement trompé.
Ce n'était donc pas la vérité?
Merde…
Je me suis fait avoir comme un con.
Mais, qui voudrait cette vérité?
Qui voudrait véritablement traverser le miroir?
Tout en caressant ma bite, je ratiocine sur les fantasmes.
Que notre cerveau est étrange.
Il laisse filer nos désirs pour s'en jouer.
Les grimer…
Les mettre en scène.
Et avec quelle clarté.
Les détails sont parfaits.
Combien de fois avais-je joui dans ce rêve insensé?
Ma queue est pourtant bien sèche.
Pas une trace de coulée séminale nocturne.
Je tourne la tête vers Mathilde.
Le haut de son crâne.
Quelques mèches de sa chevelure dorée.
J'ai envie de me coller à elle.
La serrer contre moi…
Avec ma queue bandée, j'ai envie de lui faire l'amour.
De me planter en elle.
Au plus profond de son corps.
Parce que nous possédons cette intimité commune.
Ce droit à l'amour…
Cette liberté de nous aimer.
Dans son sommeil, Mathilde tourne un peu plus de côté.
Le duvet qu'elle garde sur l'épaule révèle à peine le bord de son dos dénudé.
Je devine la première lettre…
S.
Mon sang se glace.
Je soulève l’étoffe un peu plus haut pour lire le message à ma femme.
Six caractères et un trait qui, avec sa marque de naissance, forme un point d'exclamation.
S A L O P E !
Une terreur indescriptible m'envahit.
Sentant un courant d'air froid sur le bas du dos, Mathilde se couvre de nouveau.
D’une voix pleine de sommeil, elle me demande:
— Il est quelle heure?
Je me tourne vers mon iPhone sur la table de nuit.
Je me redresse en l’agrippant.
Au pied du lit, je vois les habits achetés la veille.
Les habits de la nuit.
Les habits de pute.
— Il est presque sept heures.
— Sept heures, s'affole Mathilde. Tu ne pouvais pas me réveiller?
Mathilde saute du lit pareille à un pantin bondissant d'une boîte attrape.
Elle se hâte vers la porte de la salle de bain.
Je devine à peine le tatouage hideux qui souille le bas de son dos.
S A L O P E !
Qu'ai-je donc fait?
Je suis fou!
Malade!
Comment va-t-elle réagir en le découvrant?
Mathilde ferme la porte.
Ma queue est retombée.
Molle et lourde…
J'ai envie d'uriner mais je n'ose pas bouger.
Je m'attends à ce qu'elle ressorte furieuse, prise d'une colère rageuse.
Ou bien, qu'elle se mette à pleurer.
Je saute du lit à mon tour.
Je ramasse les habits affreux.
Les bottes grotesques…
Les bras chargés, je les cache en pile au fond de mon placard.
Je m'habille d'un caleçon et d'un t-shirt.
Mathilde revient dans la chambre drapée de son peignoir avec les cheveux courts mouillés.
Je la regarde tel l’abruti parfait que je suis.
Je fixe son visage.
J'y cherche le moindre indice d’une émotion.
Une colère?
Une indifférence?
N'a-t-elle rien vu?
— Dis voir, mon chéri… Ça t'embête pas de me préparer un café? me demande-t-elle, doucement. Je suis terriblement en retard.
— En retard? En retard pour quoi?
Mathilde s'empare des deux sacs de voyage Vuitton, en haut de son placard.
— Je m'en vais, m'informe-t-elle.
— Tu t'en vas? Tu t'en vas où?
— Belize.
— C’est où ça?
— Regarde sur une carte, je n’ai pas le temps de t’éduquer.
Je suis complètement sidéré.
Par son calme.
Par sa froideur.
— Je… J'ai besoin de te…
— Allez, sois un chou, Julien. Mon café…
Mathilde jette pêle-mêle des habits dans ses sacs.
Je l'abandonne à sa tâche.
Je pisse en vitesse dans le cabinet de l’entrée avant de filer vers la cuisine.
Je remplis d'eau le réservoir de la machine à café.
Je dose la bonne quantité.
Lorsque le café est prêt, je remplis sa tasse isotherme.
Mathilde déboule de l'escalier.
Elle est habillée.
Coiffée.
Maquillée.
Rien de compliqué.
Du simple.
Du pratique pour voyager.
Il ne lui a fallu qu'une dizaine de minutes pour se parer de sa féminité.
Comme on change de peau…
Comme on change de chemise.
Détail extraordinaire, elle porte son alliance à l’annulaire gauche.
Elle dépose les deux gros sacs de cuir à ses pieds.
— Merci, dit-elle, en agrippant sa tasse.
— Allons, Mathilde, je lui dis, sur un ton suppliant. Tu ne vas pas partir… Tu ne vas pas me quitter.
— Ah, oui… Je voulais te demander… Tu sais où j'ai mis mon passeport?
— Là… Dans le petit meuble, je réponds en le montrant du doigt.
Elle repose sa tasse sur le comptoir.
Elle va fouiner dans la petite commode de l'entresol.
— Le tiroir du milieu, je précise.
— Merci, mon chou.
Elle le trouve puis me le montre fièrement.
Elle revient vers son café.
Elle sirote tout en récapitulant à haute voix.
— Bon, qu'est-ce que j'oublie? J'ai mon passeport. Mon billet. Un peu de liquide. Je crois que c'est l'essentiel… Le reste, je pourrais toujours l'acheter sur place.
Mathilde avale une petite gorgée.
Du coup, je l'admire comme jamais.
Quelle beauté…
Quelle finesse.
La nouvelle coupe de cheveux dégage son visage.
Elle a improvisé une coiffure simple avec ses mèches tirées derrière ses oreilles.
Elle est plus belle que jamais.
— Écoute, Mathilde… C'est pas la peine ce que tu fais… Il faut qu'on parle sérieusement… Surtout, après tout ce qui s'est passé…
— Qu'est-ce qui s'est passé, mon amour?
— Ben, tout ça, quoi…
— Tout ça quoi, au juste?
— Ben, tu sais… J'étais toi… Et toi… Ben, tu étais moi.
Elle ouvre de grands yeux, affichant une expression d'étonnement sincère.
— Je ne comprends pas du tout ce que tu me racontes.
— Mais si, tu sais… La double pénétration.
Mathilde fronce des sourcils, à peine une grimace de dégoût.
Préférant m'ignorer, elle tire son iPhone de son sac à main.
— J'ai commandé un Uber, tout à l'heure… Il est en chemin.
Je suis complètement choqué.
Je ne sais pas quoi faire.
Elle me quitte.
Je devine que c'est pour de bon.
— Mais… Non… Attends… Ce n'est pas possible, Mathilde… Tu ne peux pas partir comme ça.
Elle ne m’écoute pas.
— J'adore cette appli… Tu appuies deux touches et c'est programmé. C'est déjà réglé… Roissy… Juste à l'heure pour prendre mon avion.
— Mathilde… Arrête… Il faut qu'on parle… Ce n'est pas fini.
— Pas fini?
Elle lève le nez.
— On a vécu un truc fort ensemble, tout de même… On a appris. Je crois que j'ai appris. J'ai compris ce que tu voulais me dire avec tout ça… Ce n'est pas fini entre nous… Ce n'est pas fini.
— T'as raison, Julien. Ce n'est pas fini. Comment ça pourrait l'être?
— Qu'est-ce que tu veux dire, par là?
— Écoute, c'était sympa… Vraiment sympa. Moi, j'ai adoré le temps passé avec toi. Mais là, vraiment, il faut que je file, mon chou. Le prochain client m’attend…
Mathilde affiche une moue amusée.
Elle dépose un baiser sur ma joue.
Elle me caresse une dernière fois la main.
Elle prend ses sacs de voyage.
Elle quitte la maison.
De la fenêtre de l'entrée, je la vois attendre sur le trottoir.
Quelques instants après, une Mercedes noire avec des fenêtres teintées s'arrête devant elle.
Le coffre s'ouvre de lui-même.
Mathilde y jette ses sacs.
Elle entre à l’arrière du véhicule.
Elle referme la portière.
Elle disparaît.
Je regarde l’horloge du couloir.
7:21...
Lundi matin.
Le boulot m'attend.
J'ai juste le temps de me préparer.
Je remonte en vitesse dans la salle de bain.
Je me lave les dents.
Je me rase.
Je me coiffe.
J'enfile une chemise blanche.
Mon costume le plus classique.
Une cravate pour tous les jours.
Mes chaussures les plus usuelles.
La maison est en désordre.
Dans le salon, tout est resté en état.
La bouteille de vodka Grey Goose.
Les deux verres…
Les taches sur le canapé.
J'ai une pensée pour la femme de ménage qui devra tout nettoyer.
Pas le temps de m’en occuper, je file.
Mathilde a pas mal bousillé la 911 rouge.
Elle est toute éraflée sur un côté.
Au moins, j'ai une voiture pour aller bosser.
Je roule, sans excès de vitesse, vers Rueil-Malmaison.
Lorsque je vois le bâtiment de la GBF que j'ai quitté dans l'horreur, mon pouls se met à accélérer.
Je pense aux railleries dans mon dos.
La honte de me pointer…
Je me calme.
Je ne suis plus Mathilde.
Je ne le serais plus jamais.
Quel bonheur que d'être soi-même.
D’être un mec…
Jeune.
Beau.
Tout pouvait recommencer à zéro.
Un flash du possible.
La vie de trader…
Des filles.
De la poudre.
Du fric.
Je bande un peu.
Je gare ma voiture à ma place réservée.
J'entre dans le bâtiment.
Je prends l’ascenseur.
Je longe les couloirs des bureaux.
Je salue des collègues.
Je salue les réceptionnistes.
Je suis dans mon royaume.
Mon domaine…
Tout va bien.
Lorsque je croise Valérie à l’entrée de la salle des marchés, je lui lance un petit clin d'œil amusé.
Elle me regarde froidement, presque méchamment.
Cette jeune femme qui me suce dans les chiottes n'en garde apparemment pas un souvenir plaisant.
Tant pis pour elle…
Je ne vais pas aller lui dire que j'en ai aucun souvenir.
Elle le prendrait mal.
L’idée me fait sourire.
Dans le fond, tout ça c'est hilarant…
Pile à l'heure, je m'installe dans mon espace.
Devant mes écrans…
Tout est en place.
Tout est en ordre.
Je n'ai qu'à taper mon code d'accès et commencer la journée.
— Julien… On a à te parler.
Je me retourne.
Antoine Binet, le chef de service…
Il est encadré par deux types que je ne connais pas.
Des mecs en costumes sombres qui n'ont pas l’air de vouloir rigoler.
— Ouais…Qu’est-ce que c’est?
— On va se mettre dans la salle de réunion. Ce sera mieux…
Binet indique le chemin d’une main invitante.
Je me lève.
— OK.
Nous traversons la salle des marchés.
Mes collègues sont arrivés.
Tout le monde me regarde passer.
J'évite leurs regards.
Je baisse le nez.
Une fois dans la salle, je prends un fauteuil.
Binet s'installe en face de moi.
Il roule son fauteuil vers moi.
— Bon, Julien, il me dit, le plus calmement du monde. Maintenant, il faut que tu me dises, sans déconner… Les trois milliards… Qu'est-ce que t'en as fait?