Trois mois plus tard, nous vivons l’épilogue de ce qui, dans le fond, n’est qu’une étape dans nos vies.
Avec le recul, en y regardant de près, rien n'a changé.
Julie et moi formons le même couple solide, fondé sur la continuité.
Même logement.
Même emploi.
Même voiture.
Enfin, voitures, au pluriel…
Julie a sa Clito, rouge flamme, avec toutes les options.
Je suis un peu jaloux de l’écran tactile et de l’internet à bord.
Le dimanche, je ne lave pas une, mais trois voitures, intérieur et extérieur, à fond.
En me voyant frotter, je crois bien que nos voisins se demandent bien quand je vais attaquer les leurs.
Depuis ma grande confession à Julie, je n’ai plus peur de croiser ni Chloé, ni Valérie.
On se dit bonjour, poliment.
J’apprécie que le vouvoiement soit resté de rigueur.
Nous sommes voisins.
Nous sommes amis.
Mais, nous demeurons respectueux des uns et des autres.
En général, nous échangeons quelques généralités, chacun détaillant sa routine de travail ou d’école.
Avec Julie-salope à la maison, je n’ai plus besoin de mes trésors.
Je les trouve même assez ridicules.
Un matin, je me décide à les jeter à la poubelle.
Je conserve tout de même la photo de Chloé que je garde dans le tiroir de ma table de nuit.
Parfois, pour me donner du courage, je contemple son sourire heureux, rempli d’avenir et d’espérance.
Comme Julie a une grossesse soi-disant à risques, nous coupons sur notre consommation d'excitants.
Très peu d’alcool.
Pas de nouvelle soirée cannabis chez Valérie.
Mais, la naissance passée, nous comptons bien nous rattraper.
Pas question de vivre triste.
Pas question de se priver.
Enfin, malgré le fait que nous gardions le secret, Valérie a deviné.
Elle a véritablement des pouvoirs de magicienne.
Autrefois, c’était le genre de femme qui terminait sur un bûcher ou dans le lit d’un grand seigneur.
Bref, tout va plutôt bien depuis que mes craintes d’être accusé de pervers pédophile se sont éloignées.
Pourtant, je vais être testé une dernière fois…
C’est Valérie qui a tout organisé.
En accord avec Julie, nous partons pour le bord de mer…
Le bord de mer?
En plein mois d’avril?
La plage la plus proche est à trois cents kilomètres de chez nous.
Je ne comprends pas du tout où elles veulent aller.
C’est alors que Julie me présente le dépliant de Fidji Paradis, à seulement une heure d’autoroute du centre-ville.
C’est une plage artificielle, aménagée dans un ancien hall de montage de l’industrie aéronautique.
C’est complètement factice.
Du décor de cinéma.
Valérie jure que c’est à la fois sympa et dépaysant.
Julie qui, depuis sa métamorphose, dit oui à tout le monde, accepte pour nous deux.
Je suis loin d’être enthousiaste.
Le même entrepreneur a, paraît-il, construit dans le secteur une piste de ski dans un second hangar, afin de proposer des sports d'hiver toute l’année.
Tout comme Fidji Paradis, c’est l’illusion totale.
La simulation à prix étudiés.
La date est fixée.
Le dimanche venu, nous partons de bonne heure avec notre nécessaire de plage: maillots de bain, sandales et serviettes colorées.
Assise avec sa maman à l’arrière de la C5, Chloé a l’air particulièrement enchantée.
Malgré notre départ matinal, le parking à l’arrivée est déjà bien rempli.
L’endroit ressemble pourtant à un site industriel.
Un temps de chien nous accompagne.
Ciel gris.
Vent glacé.
En manteaux d’hiver, nous traversons le parking avec nos sacs de plage à la main.
Je n’ai qu’une seule envie, celle de décamper…
Dès que nous passons le sas compliqué de l’entrée, nous sommes agressés par la chaleur.
L’endroit fonctionne comme une serre tropicale étanche.
Le décor est surprenant.
Des palmiers.
Du bambou.
Du sable fin sous nos pieds.
Les employés à la caisse portent des chemises à fleurs et des bermudas.
Une fois l’entrée payée (c’est moi qui régale), nous empruntons une plateforme qui offre une vue d’ensemble.
En effet, l’endroit est une immense piscine couverte, entourée du décor exotique d’une plage de sable blanc.
Personnellement, ce que je vois c’est surtout la foule de gens qui s’agitent sous mes pieds.
L’endroit est bondé et bruyant.
Fidji Paradis est une véritable réussite commerciale.
Va-t-on seulement trouver un coin pour étaler nos serviettes?
― J’aurais jamais imaginé un tel succès… On risque d’être serrés comme des sardines.
― C’est génial, non? s’enthousiasme Julie.
Valérie, en habituée des lieux, prend les devants.
Elle nous dirige vers les vestiaires.
Du coup, je me retrouve seul dans l’espace pour les hommes devant un petit placard.
Imitant mes voisins, je me change.
J'enfile mon caleçon de bains.
Je bourre mes habits volumineux dans l’espace réduit.
À la manière d’un coffre-fort d’hôtel, il faut choisir un code à trois chiffres.
J’utilise le même que ma mallette à la maison.
Celui-là, je ne suis pas prêt de l’oublier.
Je me retrouve donc en maillot avec ma serviette de plage et mes sandales.
Pour ne pas s’encombrer d’argent ou d’objets de valeur, j’ai reçu à la caisse un bracelet étanche avec une puce électronique qui sert à payer les boissons, les repas et les services.
Le total de la journée est additionné et débité de ma carte bancaire.
C’est très au point pour pousser à la dépense.
En quittant les vestiaires, nous nous retrouvons un étage plus bas.
L’atmosphère est celle d’une plage traditionnelle, mais en plus dense.
Un coin éloigné offre un village miniature avec des restaurants, des bars et des espaces de jeux pour petits et grands.
J’imagine revenir un jour avec notre enfant.
Pas certain…
Nous irons plutôt au Club.
Sur une plage de sable du vrai Fidji…
Une plage déserte.
― On cherche un coin pour s’installer? je demande à Valérie.
― Non, pas ici… C’est beaucoup trop plein. Suivez-moi…
Valérie reprend le commandement de notre troupe avec Chloé à ses côtés.
J’en profite pour étudier Julie dans son maillot deux pièces.
On ne distingue rien de sa grossesse, juste ses délicieuses formes arrondies.
Sa poitrine généreuse.
Ce cul, si parfait…
À part Valérie qui a un petit teint hâlé, nous ne faisons pas trop bronzés, mais je m'en fiche.
Et puis, c’est le cas de la majorité des clients.
Valérie nous entraîne loin, à travers un passage bordé de plantes tropicales.
Lorsque je vois le panneau fléché, j’ai un gros moment d’inquiétude.
Plage naturiste.
― Euh, Valérie… Avez-vous vu le panneau?
― Oui, nous allons toujours de ce côté, me répond-elle avec légèreté. Il y a beaucoup moins de monde. C’est bien plus sympa pour s’amuser.
― Est-on obligé de se mettre tout nu?
― Ben oui, c’est la règle… Ne me dites pas que vous êtes gêné, Louis. Pas vous…
Je ne suis jamais allé sur une plage nudiste.
Je n’y ai même jamais pensé.
Et puis, aujourd’hui, je ne suis pas seul.
Il y a Valérie, Chloé et Julie.
Les trois femmes qui me font le plus bander.
Nous débouchons sur l’autre versant du hangar aménagé.
L’espace, hors de vue des autres baigneurs, est moins vaste mais arrangé un peu à l'identique.
En effet, il y a nettement moins de monde.
Pas de grands toboggans.
Pas de petits bassins.
Juste un coin de plage de sable fin et une paillote où l’on vend des boissons.
C’est en découvrant l’agencement que je comprends où a été prise la photo de Chloé.
Sur une chaise de la buvette…
Là où, en ce moment, un jeune serveur, à poil, secoue un shaker à cocktails autant que ses bijoux de famille.
J’observe discrètement les nudistes qui nous entourent.
La moyenne d’âge est plutôt élevée.
Des vieux!
Tous à poil...
La France nue est loin du spectacle alléchant d’un documentaire brésilien.
Des bides gonflés…
Des nichons qui pendouillent…
Des peaux flasques soit carbonisées, soit blanches comme des bidets.
Ces gens sont debout, à discuter entre eux, à déambuler, sans gêne, d’un côté à l’autre de la bande de sable.
Une horde d'exhibitionnistes.
Des culs…
Des miches…
Des bites et des couilles…
Des pubis gris, en jungle, et des pubis, rasés de près.
Des gourmettes en argent et des chaînes dorées.
À les observer sans les regarder, je suis de moins en moins à l’aise.
Nos sandales à la main, nous suivons Valérie vers un coin de sable un peu isolé.
Les femmes étalent leurs serviettes de plage.
Puis, elles ôtent leurs maillots de bain qu’elles rangent dans leurs sacs.
Impatiente de se jeter à l’eau, Chloé est si rapide à vouloir se dévêtir que je ne vois rien du tout.
Juste une paire de petites fesses qui court vers l’eau…
Valérie, nue, c’est découvrir un corps de déesse.
Sa poitrine est gonflée et ferme.
Elle n’est pas épilée comme l’avait, autrefois, suggéré Julie.
Elle exhibe une fine toison dorée.
C’est son cul qui émerveille.
Ferme…
Lisse…
Prêt à croquer.
Je veux être discret mais comment ne pas se régaler d’un regard prononcé.
Julie, non plus, n’hésite pas à se déshabiller.
Pas de mystères de ce côté.
Julie c’est la portion XXL...
Des formes…
Des courbes…
Des plis…
C’est l’idée de la savoir exposée qui m’excite.
Sa chatte!
Cette toison brune épaisse qui laisse apparaître sa fente d'amour.
Merde, je viens à peine d’arriver que je commence déjà à bander.
Comment font les autres?
Tous les types de la plage exhibent des queues bien molles qu’ils contrôlent à la perfection.
Comment faire pour ne pas se ridiculiser?
Je lève les yeux au ciel à la recherche d’une distraction.
La forte luminosité vient du plafond ajouré qui laisse filtrer la lumière extérieure mais qui, en cette saison morne, est augmentée par des projecteurs de type stade de football.
La lumière est aveuglante mais ce n’est qu’un soleil artificiel.
La chaleur est ambiante.
Pas de crainte de coups de soleil…
Par contre, ceux qui veulent, peuvent passer sous les rayons des cabines UV.
Payantes, naturellement.
Chloé est dans l’eau jusqu’à la taille.
Elle saute dans les petites vagues artificielles.
Apparemment, un système au centre de l’immense installation agite la surface de l’onde et crée un effet de ressac.
― Allons, Louis, ne restez pas debout à rêvasser…
― Il est un peu timide, déclare Julie.
Ma femme se penche à l’oreille de Valérie pour lui souffler un mot.
Les deux femmes se mettent à rire.
Ça y est…
Ça commence .
Leurs rires ont, au moins, l’effet de réduire mon érection.
J’attrape ma serviette puis, m’en servant comme d’un cache-sexe, j’ôte mon short de bain.
Dans un mouvement rapide, je l’étale ensuite pour me coucher face à la mer.
Elles n’auront, pour se moquer, que la vue de mon arrière-train.
Malgré mon dos tourné, Valérie et Julie continuent de pouffer de rire comme des camarades de classe.
D’où vient cette complicité féminine?
Ce naturel, à se montrer?
C’est que…
Elles n’ont pas à se mesurer aux autres, les nanas.
Ce qui tue le mâle, c’est bien l’ingratitude de la nature…
Un sexe masculin n’est jamais assez long.
― Un peu moins de commentaires mesdames, s’il vous plaît.
― C’est vraiment génial ici, s'enthousiasme Julie. Il faudra qu’on revienne.
― Quand mon horaire le permet, nous venons tous les jours pendant les vacances scolaires, explique Valérie. Comme ça, je peux nous offrir une semaine de paradis imaginaire pour le prix d’une nuit de réalité.
― Je vais goûter l’eau, informe Julie. Tu viens, Louis?
― Tout à l’heure… Peut-être… Laisse-moi un peu de temps pour m’habituer.
Julie et Valérie gloussent derechef.
Enfin, Julie se dirige vers le bord de l’eau.
Son cul rebondi, dans ce cadre tropical, est étonnant.
Dire que, dès ce soir, je compte bien m’y planter à fond.
Non…
Ne pas penser à ça!
Ne pas penser à ça!
Je sens une présence.
Valérie a déplacé sa serviette.
Elle s’installe juste à mes côtés.
Elle est couchée sur le dos avec ses pieds tournés vers le rivage.
― Louis, allongez-vous comme moi, mais avec vos genoux pliés… Parce que, couché sur le ventre, si vous mettez de la pression sur votre pénis, vous n’allez pas arrêter de… De sentir un désagrément… Regardez, faite comme le type, là-bas, qui mate Chloé.
Je me tourne vers la gauche.
Un vieux, à moitié chauve, le bide distendu, couché sur le dos, fixe Chloé, en train de batifoler avec Julie.
― Qui dit qu’il ne mate pas ma femme?
― Je le connais lui… Il aime les petites fentes bien lisses.
― Arrêtez, Valérie… Sinon, je ne vais jamais pouvoir bouger.
― Tournez-vous, Louis... Et puis, je ne veux pas parler à vos pieds.
Obéissant, j’adopte la position prescrite.
Mon sexe est à demi érigé.
J’ai un peu honte.
Il est vrai que, à l’air, sans la pression, ma queue retombe un peu.
Je n’ai qu’à penser à autre chose.
Ça ne va pas être facile avec Valérie, nue, tout contre moi.
― Vous pouvez bander, Louis… C’est pas interdit. Je promets de ne pas regarder.
Curieusement, malgré sa beauté, sa proximité, et le fait qu’elle parle de ma queue, la tension s'éloigne.
Je me sens à l’aise.
En fait, ce n’est pas si mal sur le dos.
Je me relaxe.
Et puis, on s’y croit…
Il fait chaud, sans que ce soit étouffant.
Ensoleillé, sans la sensation de peau brûlée.
Et puis, je vois Julie qui s’amuse avec Chloé.
Je n’ai que très peu vu ma femme plaisanter avec des enfants.
Ces dernières années, Julie les tenait à distance comme des pestiférés.
Comme si, s’en éloigner, l’aidait à oublier.
Mais, aujourd’hui, elle se sent en harmonie.
Elle rit…
Elle s’amuse avec Chloé comme une mère.
― Ça ne vous dérange pas de voir des hommes qui matent votre fille?
― Vous pouvez vous y habituer, Louis… Ça risque de vous arriver un jour.
― Ce sera peut-être un garçon.
― Le petit vieux, là-bas, il apprécie les deux. Croyez-moi...
― Tout de même…
― Le cerveau humain est extrêmement complexe. Il existe tant de variantes. On ne s’ennuie jamais… La sexualité, c'est un besoin de base. Une faim qui revient quoi qu’on fasse… On parle, à juste titre, d'appétit sexuel. Il est clair que, malgré son embonpoint, cet homme est affamé.
― Vous n’avez pas peur qu’il passe à l’acte?
― Non… Un endroit comme ici, c’est une simulation… Ce n’est pas la vraie plage. On nourrit sa tête d’illusions. Et puis, c’est un lieu public… Au moins, il fait ce qui lui plaît. Il regarde des petites filles nues et ça lui suffit. Il a probablement des photos chez lui, même plus osées, mais ce n’est pas trop dangereux… C’est l’illusion de la pensée… La pensée n’est jamais criminelle. Vous avez le droit de penser à tout ce que vous voulez… Vous avez un droit au fantasme. Par contre, il y a des hommes qui sont dans des avions, en vol vers les soi-disant paradis du monde, qui, eux, vont probablement passer à l’acte… Ce sont eux les dangers.
― Vous êtes plutôt décontractée sur le sujet.
― J’ai beaucoup réfléchi à la sexualité. Comme je disais, c’est un besoin universel… Non, c’est une nécessité… Nous sommes programmés pour jouir chaque jour que Dieu fait.
― Mais, avec des enfants…
― Jamais! L’enfance est trop fragile… Si vous violez un enfant, c’est un crime odieux! Toute violence contre une personne est un crime odieux… Comme je dis toujours, c’est la violence qui traumatise… Pas le sexe.
― Vous ne laisseriez jamais Chloé avec un homme adulte…
― Si l’homme est un loup… Un prédateur… Qui l’entortille… Qui la menace… S’il la force, même en usant seulement d’armes psychologiques, je m’y opposerais violemment. Je suis une mère, alors… Attention à mes griffes acérées! Je taille en pièces. Par contre, si plus tard, lorsqu’elle aura atteint sa majorité sexuelle… S’il n’y a pas de danger… Si Chloé décide, en âme et conscience… Alors, je ne sais pas. Je ne veux pas entrer en conflit avec ses sentiments… Je ne veux pas m’y opposer. Si à quinze ans, elle me dit que l’amour avec un homme adulte la rend heureuse, comment puis-je l'interdire? Mais, notre Chloé d’aujourd’hui… Elle est encore bien trop jeune pour se lancer dans tout ça… Elle n’est même pas encore couverte de son chaperon rouge… Mais, attention… La grande forêt sombre de la puberté est en vue… Elle n’est pas loin d’une traversée périlleuse. Restons vigilants.
― Et vous, Valérie? Je vous vois toujours toute seule… Où vont vos sentiments?
― Contrairement à Chloé, qui est au tout, tout début de sa vie amoureuse et qui a tout à découvrir, je vis très loin de tout ça… C’est par choix… Je suis une vieille fille, quoi.
― Je ne comprends pas.
Valérie se tourne vers moi, en soutenant sa tête d'un bras. Elle cherche mon regard.
― Quand j’avais vingt-trois ans, tout allait bien pour moi. Je suis née dans un milieu très privilégié. Un monde presque trop protégé… J’étais douée pour les études alors j’avais entamé une formation de médecin… Un soir, un groupe d’étudiants imagina qu’un bizutage, ça faisait partie du cursus de quatrième année… Le bizutage a très mal tourné. J’ai été violée.
Je ne sais que répondre à la longue pause de Valérie.
― J’ai été violée par cinq hommes dans la soirée… Oui, violée. Et, comme vous l’avez peut-être déjà deviné, Chloé est le résultat de ce viol… Cinq pères... Et pourtant, pas de père… Après ce crime, on m’a emmené aux urgences… J’ai porté plainte. Mais, tout le monde était très pressé de tout vouloir atténuer. De l'interne des urgences qui m’encourageait à avaler une pilule d’après… Aux policiers qui minimisaient ma déposition en oubliant des mots… En soulignant d’autres… Oui, j’avais bu de l’alcool. Oui, j’avais fumé du cannabis. De la cocaïne, aussi… Oui, je m’étais montrée en petite culotte, seins nus, pour les amuser… Mais, un viol… Car c’était bien un viol… Imaginez un peu... Mes propres parents qui ne voulaient pas voir leur nom dans le journal. Les parents des violeurs qui diminuaient la gravité… Mes agresseurs qui niaient. Après tout, c’est quoi un viol? Que de la baise… De la fesse… Un plan cul. Il y avait même un père qui disait… Roulée comme elle est, c’est pas étonnant… C’est une allumeuse… Une salope. Elle a aimé ça... Elle a pris son pied. Et moi, c’est ce que je leur disais, à tous… C’est pas la baise, le problème... C’est la violence, le problème... Ils se sont mis à trois pour me tenir… J’allais pas les laisser faire… Croyez-moi, il en a fallu du muscle pour me forcer à écarter les jambes… Évidemment, seule contre cinq… Je n’ai pas pu me débattre longtemps… C’est vrai que… À la fin, je les laissais faire. Sans bouger… Sans regarder… Parce que, tout ce que je voulais, c’était qu’ils en finissent. Après ça, tout le monde m’a vachement déçu… Mais, je n’ai pas cédé… J’ai dit, non... Comme je n’ai pas fermé ma grande gueule alors, c’est allé jusqu’au procès… La naissance de Chloé est venue longtemps avant le verdict. Vous me voyez, à la barre… Avec ma petite fille dans les bras, à décrire mon agression… Encore et encore… Entre les appels et les condamnations… Les pourvois et les rejets… Enfin, après des années de conneries, ça s’est réglé avec du fric. Ils m’ont tous donné cinquante mille euros. Une très grosse somme pour une soirée de baise… Une toute petite somme pour une soirée de violence… Cinq fois cinquante mille… C’était mieux pour tout le monde parce que tous ces jeunes gens avaient encore une carrière devant eux. Un avenir… Il ne fallait surtout pas gâcher leurs précieuses études, vous comprenez? Et mon avenir, à moi? C’était quoi, mon avenir? Traumatisée, avec une enfant sur les bras…
― Ils n’ont pas fait un test de paternité?
― Surtout pas! Ils m'ont fait un autre procès, rien que pour l'empêcher... Ce serait admettre, au moins, une culpabilité parmi les cinq… Cette loterie spermatique, ils n'en voulaient surtout pas. Et puis, j’étais une pute, n’oubliez pas… La fille qui couchait avec toute la fac…
La voix brisée, l’émotion envahit Valérie.
Je ne sais pas quoi dire.
Le silence se faisant pesant, j’ajoute:
― Vous êtes venue ici…
― J’ai pas mal galéré… Puis, j'ai brisé les ponts. Je suis brouillée avec mon passé. Je n’ai plus d'attaches avec tous ces gens. D’ailleurs Lagrange, ce n’est pas mon nom de naissance… Avec une recherche sur internet, vous trouverez vite ma véritable identité. Vous pourrez lire toute l’affaire et vous faire une opinion. Finalement, après avoir longtemps hésité, j’ai fini par prendre leur fric… Je me suis acheté une nouvelle vie. Ce qu’il en reste, c’est juste un appartement… Un abri, au septième ciel, pour protéger ma petite Chloé.
― Elle le sait?
― Bien sûr qu’elle le sait… Je n’ai rien à lui cacher. Sexe et violence. Tout le monde doit connaître les dangers… C’est hyper important pour votre enfant… Vous verrez.
Du coup, la honte de m’être si mal comporté, d’avoir eu toutes ces mauvaises pensées à son sujet, me bouleverse.
― Je suis vraiment désolé, Valérie.
― Ne le soyez pas… Vous n’avez rien fait, Louis… Au contraire, je crois que nous avons de la chance de vous avoir comme voisins. Vous n’êtes pas un prédateur… Vous êtes plutôt doux. Je sais que vous nous respectez… Même si, parfois, vous bandez, en nous imaginant. Je prends ça comme un compliment. Les femmes aiment savoir qu’on bande pour elles… Ça les recharge en énergie, ça leur donne de la confiance.
― Je ne toucherai jamais Chloé.
― Je le sais… Je l’ai toujours su. Et puis, je sais aussi que vous êtes pas mal gâté, à la maison… Bientôt, vous verrez comme c’est pratique d’avoir une jeune fille, comme voisine de palier.
― Pardon?
― Depuis la nuit des temps, ce sont elles qui gardent les petits bébés. Chloé fera une excellente baby-sitter.
― Baby-sitter, oui…
― Et vous n’aurez pas à la ramener en voiture… Une tentation de moins, pour vous.
― Jamais! Je le jure!
― Ce que je veux de vous, Louis… C’est que vous m’aidiez à protéger Chloé. L’année prochaine, elle sera pubère. Elle a une mère célibataire avec un emploi à plein temps. Elle est souvent seule à la maison. Elle est d’un naturel curieux. Elle aime les livres et les histoires de grands sentiments. Elle a le profil typique de la victime… Les loups sont partout. Il y a des hordes de prédateurs sexuels qui sont à l’affût de jeunes filles comme Chloé. Ils savent s’y prendre. Ils promettent le grand amour mais tout ce qu’ils veulent c’est assouvir leurs perversions… Nous serons vigilants, tous ensemble. Nous garderons les yeux grands ouverts. Il y va de nos enfants…
― Absolument, Valérie. Vous pouvez compter sur moi.
Elle pose sa main sur la mienne.
Un geste amical.
Un geste de confiance qui me touche beaucoup.
― Mais… Et vous, Valérie? Après tout ce temps, vous ne pensez pas rencontrer quelqu’un?
Valérie retrouve sa position allongée.
Elle fixe le plafond éclairé.
― J’ai passé beaucoup de temps chez des psychiatres… Chez des assistantes sociales… Chez des médecins… Je suis passée de la dépression à la joie… Du dégoût à la volupté… Je n’ai pris qu’une seule bonne décision dans ma vie... Celle de garder Chloé… Sans elle, je me serais déjà suicidée. Ma vie amoureuse, aujourd’hui… C'est moi-même… Mon seul plaisir, c'est celui que j’invente dans ma tête. Je me suffis. J’adore me masturber. Je porte des boules de geisha presque toute la journée. Je porte des strings… Des dessous érotiques… Je ne veux pas me flétrir comme trop de femmes qui abandonnent complètement leurs sexualités. Alors, je me mets constamment en excitation. Je regarde des films de cul… Je plante toutes sortes d’appareils vibrants dans mon vagin… Je prends mon pied, quoi. Moi aussi, je veux avoir une vie sexuelle… Mais, toute seule… Seule… Parce que c’est tout ce dont je suis capable.
Julie et Chloé remontent vers nous.
Elles sont toutes trempées.
― L’eau est super bonne, déclare Julie, en attrapant sa serviette.
Je les regarde en train de s’ébrouer.
Elles sont tellement différentes.
Une petite fille, toute maigre, avec une femme adulte, bien épaisse.
Chloé est heureuse.
Julie, plus encore…
Avec la confession de Valérie en tête, j’admire encore plus notre situation de couple.
Notre amour…
Mais aussi, la résilience de la vie.
La complexité de l’univers.
Les milliers de possibilités afin qu’une vie soit créée.
― Bon, je vais chercher l’apéro avant le déjeuner, je déclare, en me levant. Alors pour mesdames, comme c’est moi qui conduis... J’apporte des grands cocktails exotiques avec du rhum et de l'Obao... Et, pour mademoiselle, exactement la même chose... Mais, vierge!
― Je viens, déclare Chloé, spontanément.
Elle sautille vers moi.
Elle me prend par la main.
Nous nous dirigeons vers la buvette.
En chemin, je me tourne vers le petit vieux qui nous observe.
Je lui lance un petit clin d’œil canaille.
Il détourne la tête, aussitôt.
En approchant de la paillote, avec Chloé à mes côtés, je suis tout à fait à l’aise.
Ma queue est molle.
Contrôle parfait.
Mais, pas ridicule pour autant…
À sa place, quoi, dans ce vaste univers.
― Vous savez ce que c’est? me demande Chloé, pendant que je lis la longue carte des boissons.
― Quoi?
― Le sexe de votre enfant.
― Oui, je lui réponds, en souriant. Nous avons eu beaucoup de chance, je crois…