Guidée par le hasard, Jacqueline aime conduire la nuit.
Sans but...
Sans direction...
Pour réfléchir...
Pour méditer...
Pour s'échapper...
Elle aime fumer en roulant.
Elle réalise que son paquet de cigarettes est vide.
Il est trop tard pour s'arrêter à un bureau de tabac.
Ils sont tous fermés.
Il ne reste que la gare.
L'employé du kiosque à journaux vend des articles interdits, sous le manteau.
Les calmants d'une société en manque d'absolu...
Des cigarettes, aussi...
...
En dix minutes, Jacqueline est sur place.
Le dernier train n'est pas encore arrivé.
Dès qu'il sera à quai, la gare fermera.
Un coup de chance...
Jacqueline se gare devant le bâtiment.
Elle se dirige vers le kiosque.
Traversant le hall désert, elle l'aperçoit du coin de l'œil.
Une petite silhouette, assise par terre, près des distributeurs de titres-voyageurs...
— Bonsoir, vous auriez des Gitanes rouges..?
Elle connaît le vendeur.
Un homme barbu, de type levantin, qui joue sur son téléphone portable.
Lui aussi la connaît bien.
— Oui, madame...
Jacqueline n'est pas une cliente ordinaire.
Sa prestance...
La qualité de ses vêtements...
Le luxe de ses bijoux...
Une femme aisée, voire fortunée...
On lui donne la cinquantaine.
Une allure d'autorité et d'éducation, accentuée par ses lunettes à monture en titane…
Blonde...
Yeux bleus...
Un visage très soigné...
— Deux paquets...
L'homme les dépose sur le comptoir devant lui.
— Trente euros, s'il vous plaît.
Jacqueline tend les billets.
— La petite, là-bas… Elle est là depuis longtemps..?
— Qui..?
— Là-bas…
Elle pointe du nez vers la silhouette.
— Je ne sais pas… Au moins, la demi-journée...
— Merci... Bonne soirée...
— À vous aussi, madame...
L'homme retourne à son jeu de dés.
...
Jacqueline traverse le hall en direction des distributeurs.
La silhouette lointaine garde la tête baissée.
Jacqueline a l'œil pour les petits détails.
Les bracelets tissés aux poignets…
Les jeans délavés et troués…
Une paire de Converse sales…
Jacqueline plie un genou pour se mettre à bonne hauteur.
La silhouette, qui devine une présence, montre son visage.
Une jeune fille, sous le capuchon poussiéreux de son hoodie noir...
— T'es toute seule..?
Elle a un très joli minois.
Jacqueline lui donne quinze ans.
— Qu'est-ce que ça peut vous faire..? crache l'adolescente, pleine de défiance.
— Moi, rien du tout… Mais si t'es toute seule, je peux t'héberger pour la nuit... Une salle de bain... Un repas... Un lit... Tu pourras revenir ici, demain matin...
— Je ne suis pas intéressée.
— Qu'est-ce qui est meilleur pour toi..? Tu peux passer la nuit sur un banc de la ville… Parce que, tu sais, ils vont fermer la gare dans moins d'une demi-heure… Ou bien, tu peux venir chez moi... J'ai de la nourriture dans mon réfrigérateur... Un peu de vin, aussi… C'est peut-être mieux pour attendre le matin... Le centre ville n'est pas sûr, après minuit... Ou bien, est-ce que tu as peur de moi..?
— Je n'ai pas peur...
— Alors, c'est réglé… Tu veux une cigarette..?
Elle lui tend un des deux paquets.
— Je ne fume pas.
— Allez, prends tes affaires… Tu vas me raconter tout ça...
Jacqueline se redresse.
Elle fourre le tabac dans son sac Hermes.
La jeune fille hésite à peine, avant de se lever à son tour.
Elle n'a pas beaucoup de biens.
Juste une petite besace kaki en toile, ornée, d'un feutre épais, du sigle de l'anarchie...
— Comment tu t'appelles..?
— Flavie.
— C'est charmant comme prénom… Et, pas très courant... Tu dois venir d'un bon quartier... D’ailleurs, tu étais polie, en me vouvoyant... J'ai apprécié... Viens, ma voiture est juste en face, là-bas...
Elles quittent le bâtiment de la gare sous le regard indifférent du vendeur.
La désobéissance prend racine dans l'ennui.
...
Jacqueline et Flavie arrivent devant une Bentley Continental GT blanche, un puissant coupé de luxe.
— C'est votre voiture..?
— Oui, j'aime la vitesse..., répond fièrement Jacqueline. Toi aussi..?
— Je ne sais pas... Je ne suis jamais montée dans une voiture comme ça...
Jacqueline lui ouvre la portière.
Flavie se glisse sur le siège passager.
Elle garde sa besace serrée sur ses genoux.
Ensuite, Jacqueline fait le tour du véhicule pour s'installer derrière le volant.
Flavie boucle sa ceinture.
Jacqueline appuie sur la commande de démarrage.
Le moteur de douze cylindres rugit.
— Ça fait longtemps que tu es partie de chez toi..?
— Non...
La voiture prend de la vitesse.
...
Dans le tunnel qui plonge sous le centre piétonnier, la jeune fille est plaquée contre le siège par l'accélération.
Un petit sourire de sensation...
Jacqueline fonce.
Les limitations de vitesse ne l'intéressent pas.
À cette heure-ci, la circulation est inexistante.
— Tu me raconteras plus tard pourquoi tu es partie... Par contre, tu ne sens pas très bon... Je vais te couler un bon bain moussant... Après, on discutera, en mangeant... J'ai des insomnies, tu sais... Un peu de compagnie est toujours la bienvenue.
Flavie demeure silencieuse.
Elle regarde défiler les lumières des lampes à sodium.
...
Après une vingtaine de minutes de conduite à travers l'agglomération, elles quittent la périphérie.
Des routes sinueuses...
Pleins phares dans la nuit...
Elles arrivent enfin devant la grille de la propriété de Jacqueline.
Du tableau de bord, la conductrice appuie sur une télécommande.
Le grand portail s'ouvre automatiquement.
La Bentley remonte l'allée nocturne, bordée de grands arbres.
Au bout du chemin...
Un petit château...
Belle demeure dans la campagne…
Quelques lumières sont allumées.
Jacqueline se gare devant l'entrée.
Elle coupe le moteur.
— J'habite toute seule, si c'est ce à quoi tu penses… Et, en effet, c'est un peu trop grand pour une seule personne... Mais, c'est comme ça... Un héritage...
Elles descendent du véhicule.
Jacqueline grimpe les marches du perron.
Stupéfaite par le luxe, Flavie la suit en observant dans toutes les directions.
...
L'intérieur est un enchantement.
Des boiseries...
Des dorures...
Des miroirs...
Beaucoup d'antiquités, dont des tableaux dignes d'un musée.
Flavie lève le nez au plafond, émerveillée par les volumes du vestibule et le lustre géant.
— Suis-moi, je vais te montrer la chambre d'amis...
Jacqueline grimpe le grand escalier à double montant.
Timide, sans être effrayée, Flavie la suit de près.
...
La lumière illumine une magnifique chambre de style Louis XV, décorée à la perfection.
Un lit double à baldaquin...
Des meubles de marqueterie...
Des tissus d'ameublement aux tons bleu pâle...
Jacqueline se dirige vers la salle de bain mitoyenne.
Subjuguée, Flavie n'a jamais vu autant d'opulence.
Elle entend dire, mêlé à l'eau qui s'écoule...
— Le bain, tu aimes bien chaud ou pas trop..?
— Bien chaud, s'il vous plaît...
Jacqueline revient.
Elle observe Flavie, figée...
Éberluée...
— Tu n'as pas demandé comment je m'appelle...
— Comment vous vous appelez..?
— Jacqueline.
— D'accord, alors...
— Les introductions sont faites… Alors, je te laisse t'installer... Tu es ici, chez toi... Je descends nous préparer quelques petites choses dans la cuisine... Tu n'oublies pas de couper l'eau du bain... Je ne voudrais pas que ça déborde...
— Oui.
Jacqueline quitte la chambre.
Flavie n'en revient pas de son coup de chance.
Elle fouine un peu.
Elle ouvre les tiroirs de la belle commode.
Ils sont vides.
...
Flavie entre dans la salle de bains.
Elle enclenche la serrure de la porte.
Elle teste pour voir si c'est bien fermé.
Elle se déshabille.
Hoodie noir...
T-shirt gris...
Soutien-gorge blanc...
La paire de jeans...
Les baskets...
Les socquettes...
En petite culotte de coton blanc, elle vient tâter l'eau.
Elle a un corps fin d'adolescente.
Elle est très jolie avec des seins bien proportionnés.
Elle se regarde dans le miroir.
Ses cheveux blonds...
Ses yeux bleus...
Son visage plaisant...
Elle renifle sous ses aisselles et grimace.
Elle examine la sélection de produits de beauté.
Shampooings...
Crèmes variées...
Dentifrice et, véritable trésor à ses yeux...
Une brosse à dents...
Elle s'en empare sans hésiter.
Elle l'extrait de son plastique.
Elle se lave les dents avec énergie avant de retourner vers le bain qui commence à mousser.
Elle coupe les robinets.
La brosse dans la bouche, elle baisse sa culotte.
Elle la jette du pied vers la pile de ses habits.
Son pubis est blond.
Elle se glisse rapidement dans l'eau à température idéale.
Allongée dans la grande baignoire, elle continue de brosser sa dentition.
Satisfaite, elle crache la mousse dans l'eau du bain.
Puis, se pinçant le bout du nez, elle immerge sa tête.
Elle remonte après quelques secondes pour respirer.
...
Dans la grande cuisine d'esprit mille neuf cent soixante, impeccablement rangée, Jacqueline prépare le souper.
Au mur, un écran vidéo encastré présente, en grand angle, une vue de la salle de bain du premier.
Elle sourit en voyant Flavie s'amuser avec la pomme de douche amovible.
Jacqueline roule trois tranches de jambon rose sur une assiette.
Elle ouvre la porte du réfrigérateur.
Elle prend la bouteille de vin blanc entamée.
Elle se sert un grand verre à pied.
Dans un tiroir, elle trouve un sachet de poudre blanche.
Elle le vide soigneusement par le goulot de la bouteille.
Elle la secoue avant de la déposer au centre de la table.
Tout lui semble en ordre.
Jacqueline appuie sur l'écran de son téléphone portable.
L'écran disparaît automatiquement derrière le décor.
Elle appuie une seconde fois.
Elle parle dans le micro.
— Tu peux venir maintenant, Flavie… Je suis dans la cuisine, en bas… Au rez-de-chaussée... Il y a un peignoir de bain accroché derrière la porte...
...
À l'étage, Flavie sursaute en entendant le message du haut-parleur dissimulé.
Elle se penche en avant pour rincer ses cheveux couverts de mousse épaisse.
Elle se lève, toute ruisselante d'eau.
Elle quitte la baignoire.
Elle s'essuie avec une grande serviette éponge.
Elle se frotte les cheveux.
Elle voit le peignoir blanc.
Elle l'enfile.
Elle serre la ceinture.
Devant le miroir, elle se donne un coup de brosse rapide.
Ses cheveux blonds mouillés sont plaqués en arrière.
Elle exhibe ses dents.
Elles sont blanches, à souhait.
Elle quitte la pièce.