Caroline rase.
Elle masse.
Elle abonnit.
Elle utilise des huiles chaudes.
Des onguents...
Des doigts de fée…
Ensuite, Florentine se déplace vers un siège de marbre.
Caroline la coiffe.
Elle brosse ses cheveux.
Elle les enduit d'une huile parfumée.
Elle masse longtemps son cuir chevelu.
Elle brosse jusqu'à ce que sa chevelure soit volumineuse et brillante.
La coiffure relevée est sophistiquée.
Un tourbillon de mèches en chignon.
Les cheveux de Florentine sont moins longs que ceux des autres filles.
Caroline ne réalise qu'une version simplifiée.
Comme il n'y a pas de miroirs dans le salon de beauté, Florentine ne peut pas complètement apprécier le résultat.
Usant de ses doigts, elle doit imaginer.
Une fois que Florentine a terminé ses soins, Caroline vient s'allonger sur le lit de marbre.
— À toi…
— Je ne sais pas...
— Je vais te guider… Les gestes s'apprennent vite... Commence par me couper les ongles des pieds... Ils sont immenses après l'hiver... De vrais couteaux…
Florentine s'applique en suivant les directions précises de celle qu'elle soigne.
— Pour les soins, nous permutons les couples toutes les semaines... Tu seras avertie… Pas de petite amie, ici…
— Oui, Apolline me l'a dit...
Après de longues heures de soins esthétiques, elles retournent toutes vers la salle de la fontaine.
Dans cet espace dégagé, l'instruction de Florentine se poursuit.
Deux exercices pour le premier bal…
Parfaire sa révérence…
Apprendre à danser...
— Danser quoi..? s'étonne Florentine, en se tournant vers Apolline. La valse..?
— Tu ne danseras pas avec les hommes... Ils sont trop nigauds pour savoir comment. La danse… C'est juste un petit spectacle avant la loterie. Il faut beaucoup sautiller… Nous danserons un menuet...
— Mais, il n'y a pas de musique…
— Musique..!, s'exclame Caroline.
Comme par enchantement, la musique baroque débute.
Le menuet de Il Giardino Armonico...
Florentine devine la présence de duègnes qui les observent à tous moments.
Elles doivent habiter dans ces cryptes.
Elles exaucent les souhaits.
La jeune fille regarde au plafond.
Elle ne voit ni caméras, ni haut-parleurs.
À l'exception de l'étage des dianes noires, il n'y a pas d'électricité dans le grand château.
Alors, elle en déduit, que les duègnes sont musiciennes.
Elles jouent des instruments.
Le son doit être transmis par des conduits.
Elle n'a pas le temps de trop y penser.
Les autres se mettent à danser.
Elles connaissent les pas.
Elles se remémorent les mouvements.
Florentine trouve le menuet assez ridicule, surtout la façon qu'elles ont de sautiller comme des petites filles.
Elle est pourtant vite intégrée au groupe.
Elle apprend à danser comme on le faisait au dix-huitième siècle.
Elles y passent un bon moment.
L'exercice n'est pas aisé.
Florentine a mal aux pieds.
Danser nue est néanmoins plaisant.
Cela lui permet d'observer les corps de ses amies.
Les aphrodites sont différentes et très semblables en même temps.
Même teinte de cheveux noirs…
Même taille...
Mêmes poitrines…
Mêmes cons épilés…
Les similarités sont troublantes.
Néanmoins, chaque visage a son individualité...
Un caractère particulier...
Après tous ces efforts, elles retournent vers leurs cellules pour un repos mérité.
Florentine n'a pas envie de se retrouver toute seule.
— Tu viens dans ma cellule..? demande-t-elle à Apolline.
— Non… C'est interdit.
— Mais, il n'y a personne pour nous surveiller... Pas de numéro une… Pas de cravache... Pas de tapette...
— Nous sommes toujours surveillées... Elle regarde…
— Qui..?
— Madame...
Elles s'embrassent tendrement pendant que les autres allument leurs bougeoirs.
Apolline s'éloigne.
Florentine allume sa bougie.
Elle se retrouve assise sur son lit.
La porte se referme d'un coup sec.
La serrure s'enclenche.
Encore étourdie par l'expérience dans l'étrange souterrain, elle cale son polochon dans le coin.
Elle s'empare du livre.
Elle commence à lire.
Une fois débarqués à Québec, les parents de Jeanne se heurtent à cent difficultés.
Les plans successifs de Pierre Moûtiers sont des échecs.
Il n'a point les ressources pour s'installer à son compte.
Il ne possède point de métier.
Il n'est point intéressé par le nouveau monde.
Il ne parle que de s'enfuir.
Rentrer dans sa patrie...
Alors que ses parents subissent un sort défavorable, pour Jeanne, cette nouvelle vie est source de découvertes.
Tout est beau.
Tout est enchanté.
Les lieux...
La nature...
Les cieux...
La France est grise et misérable.
Une prison…
Le Canada est coloré et prospère.
La liberté…
Un pays vaste...
Un continent de possibilités...
Nombre de pionniers qu'elle rencontre sont optimistes.
Fiers…
Entreprenants...
Les établissements sont modestes mais emplis d'espoir de prospérité.
Si l'on sait s'y intéresser.
Amer, abattu et malade, Pierre Moûtiers trépasse à l'autre bout du monde en l'an 1732.
Il ne s'est jamais vraiment remis des mauvais traitements subis lors de son emprisonnement.
La petite Jeanne ne le regrette point.
Il avait peu de considération pour elle.
Mais, la mort de cet homme change la donne.
L'argent ne dure point longtemps.
La mère de Jeanne cherche des travaux à Québec.
Elle devient fille de salle dans une taverne du quartier Saint-Jean.
Jeanne vit de liberté.
Elle a onze ans.
Elle court toute la journée dans la cité.
Elle fait partie d'une bande d'enfants qui sillonne en long et en large la place Royale.
Vols…
Espiègleries...
Larcins...
Jeanne apprend à se débrouiller et à manier un couteau.
Elle prend rapidement la tête.
Sa bande sème la terreur dans la cité.
La mère de Jeanne est trop jolie pour rester fille de salle très longtemps.
Pour améliorer leur quotidien, elle est bien obligée de se prostituer.
L'hiver particulièrement rigoureux de 1734 et une maladie vénérienne finissent par l'emporter.
Jeanne est subitement orpheline.
Elle a treize ans.
Sa mère ne lui laisse rien d'autre que des dettes.
La médecine de l'époque est chère.
Au prix de toutes leurs économies, elle ne sauve nullement de la maladie.
Elle accélère le trépas.
Jeanne apprend à se méfier de ces gens faussement savants.
Le tenancier de l'auberge lui propose de travailler pour lui jusqu'à ses vingt-cinq ans, au péril de terminer comme sa mère.
Ou bien, elle peut devenir bonne à tout faire chez un client qui vient de Tebouque, un port de pêche de la Nouvelle-Écosse.
Jeanne qui déteste cet homme crapuleux choisit l’offre de servante.
Elle ne le sait point sur le moment mais, en réalité, elle a été vendue.
Ce qu'elle croit être de la charité n'est autre que de la duplicité.
Le voyage se fait par bateau, de Québec jusqu'à Louisbourg, proche de l'île de Cap-Breton.
Ensuite, ce sera par la route car la navigation est trop difficile.
Jeanne a écouté les paroles de ces hommes qui semblent mieux savoir.
Elle les a crus.
Elle ne le fera plus jamais.
Jeanne est livrée à un campement de pirates.
Des malfaisants qui s'attaquent aux navires chargés de fourrures qui passent au large de Cap-Breton.
Le chef de bande lui déclare froidement qu'ils sont en manque de femelles.
L'hiver est rude et long.
Ils ont besoin de cons.
Terrifiée par leurs intentions, Jeanne s'évade à la première occasion.
Elle s’enfuit par une nuit de tempête.
Elle part seule, à travers la forêt.
Très vite, elle est perdue.
Le vent est glacé.
Un blizzard effroyable...
Elle avance difficilement dans la neige profonde.
Frêle...
Épuisée...
Sans vêtements chauds...
Sans nourriture…
Elle s'abandonne entre deux gros rochers.
Elle accepte la fin de son existence.
Elle meurt ainsi, gelée par le froid.
Florentine referme le livre en le claquant.
Elle ne comprend plus rien.
Qui sont donc ces gens qui meurent et qui renaissent à volonté..?
Elle pense aussitôt à Flavie.
Un destin qui n'est pas le sien mais qui fait partie d'elle.
Est-ce seulement possible..?
Peut-on vivre éternellement, en revenant à la vie dans le corps d'une autre..?
Flavie est morte.
Jacqueline l'a tuée.
Elle se souvient de la débauche.
Les nonnes dans la petite chapelle...
La mère supérieure…
La chute dans le néant...
Florentine se souvient également d'une sortie à cheval en compagnie de Pauline.
Elles s'arrêtent à un croisement.
Florentine pense reconnaître le lieu.
— Où est la chapelle..? demande-t-elle.
— La chapelle..? s'étonne Pauline. Il n'y a pas de chapelle sur le domaine... Nous ne sommes pas trop portées sur la religion des hommes… Notre Dieu, c'est la nature... Elle est femme... Elle nous crée...
Flavie est entrée dans une chapelle.
Elle s'en souvient parfaitement.
Les vitraux…
L'autel...
Les bancs...
Cela ne peut pas être une invention.
Ce lieu existe.
Trop de souvenirs s'entrechoquent dans son esprit.
Certains d'entre eux semblent se dérouler au même moment.
Elle est Flavie…
Elle est Florentine...
Non..!
C'est faux..!
Si elle se concentre, les souvenirs reviennent.
Son père…
Clémence...
Constance…
Non, elle ne veut pas penser à la petite fille.
Ne plus jamais penser à elle…
Effacer le passé...
Effacer les souvenirs de Flavie…
Ce n'est pas la vie qu'elle rêvait.
Elle préfère les souvenirs concomitants de Florentine.
L'internat dans les montagnes…
Des visages de jeunes filles…
Des uniformes élégants...
Un professeur d'anglais très séduisant...
Elle a treize ans.
Il conduit une voiture de sport.
Les cheveux de Florentine volent dans le vent.
Le soleil brille.
Le vent est frais.
Il pose une main sur sa cuisse qu'il remonte ensuite sous sa jupe.
Elle le laisse faire.
Nue dans le petit lit de sa cellule, Florentine caresse son entrejambe bien lisse.
Elle se retrouve dans une chambre d'hôtel luxueuse.
Allongée sur un double lit…
Cet homme la caresse.
Il est beau.
Il sent bon.
Il retire ses lunettes à monture d'acier.
Il les dépose sur la table de chevet.
La terreur la reprend.
Elle chasse ces images.
Ce souvenir n'existe pas.
Il a été implanté dans sa tête.
Un fantasme d’adolescente qui ne sait pas ce que la sexualité représente.
La violence...
Florentine frissonne.
Très bientôt, des hommes inconnus vont la toucher.
Ils vont la pénétrer.
Abuser d'elle par tous les moyens…
Qui sont-ils..?
Qui sont ces hommes..?
Les clients d'une taverne de Québec..?
Les affreux pirates de Cap-Breton..?
Florentine imagine Jeanne, fuyant à travers la forêt sombre et glacée.
Pour sauver sa vie..?
Non…
Pour la perdre...
Que pense-t-on à l'instant de la mort..?
Qu'a pensé Flavie..?
Elle cherche dans son esprit.
Rien…
La mort nous prend comme le sommeil.
Comme un interrupteur qui coupe la lumière.
Un instant, la vie…
Clic…
La mort.
Florentine se réveille dans le noir, plus confuse qu'avant.
Apolline est à ses côtés.
Elle la secoue gentiment.
— C'est le moment…
— Le moment de quoi..?
— On doit aller se préparer pour la loterie.
— C'est quoi cette loterie..?
— Je n'ai pas le temps de t'expliquer… Tu verras, ce sera ton premier souper...
Le mot souper ne lui dit rien qui vaille.
Avec Jacqueline, il était synonyme de libertinage violent.
Florentine soupire.
Elle n'a pas le choix.
Elle n'a jamais le choix.
Depuis qu'elle est arrivée au Haras des Ormes Rouges, elle ne fait que subir.
Si seulement elle pouvait mourir, une seconde fois, et se réveiller dans le corps de Flavie.
Chez elle, rue Lavoisier…
Dans son petit lit d'écolière, avec un livre entre ses mains…
Le paradis...
Confuse comme jamais, Florentine suit le flot des filles de joie.
Les couloirs se succèdent.
Apolline lui tient la main.
Finalement, elles remontent un vieil escalier de bois.
Elles arrivent dans une salle sans fenêtres qu'elles appellent les loges.
Florentine découvre des rangées et des rangées de costumes sur des tringles.
Des dizaines de coiffeuses…
Des miroirs encadrés de bougies…
Des produits de maquillage...
Une arrière-scène de théâtre, chargée d'excitation…
Devant la coiffeuse ornée du numéro XXI, Églantine l'attend.
Elle est vêtue d'une combinaison professionnelle de couleur crème avec des outils de coiffure dans ses grandes poches.
— Bonjour, Florentine...
— Bonjour, Églantine...
— Es-tu prête pour monter sur scène..?
— Je ne sais pas.
— Un peu de trac, c'est normal… Surtout la première fois...
Le costume de Florentine a été préparé.
Églantine l'habille avec minutie.
Elle commence par une chemise blanche fine, très douce sur la peau.
Ensuite, ce sont les bas blancs soyeux.
Ils montent au-dessus des genoux.
Pour les maintenir, Églantine noue les jarretières de ruban noir.
Florentine enfile le jupon soyeux.
Vient ensuite, le corps baleiné.
Il est particulièrement serré.
Églantine tire de toutes ses forces sur les lacets dans le dos.
L'opération achevée, elle introduit le busc en bois sur le devant.
Florentine ne demande pas si un dard y est caché.
Après ce sont les poches.
Elles sont nouées à la taille.
Elles sont profondes et pendent de chaque côté des hanches.
Florentine y glisse ses mains.
Elles sont pleines de préservatifs dans leurs emballages.
Églantine fixe maintenant un panier, dans le dos.
Il est là pour exagérer la figure de la jeune fille.
Ensuite c'est le second jupon épais, noué sur le devant.
Après, c'est au tour du plastron.
Il fait partie de la robe qui est de couleur lavande.
Il est fixé dans le dos par une longue rangée de petits boutons.
Ensuite, vient la jupe de la robe.
La quantité de tissu est impressionnante.
Après, c'est au tour de la robe avec les manches.
Elle est épinglée au plastron.
Les rubans de la robe sont noués pour gonfler celle-ci en polonaise.
Un collier de soie brodé, assorti à la robe, encercle le cou de Florentine.
Voilà, elle est presque habillée.
Églantine l'aide à enfiler les souliers de satin, assortis à la robe.
— Approche-toi du miroir de la coiffeuse, je vais te maquiller…
Le maquillage commence par une fondation très blanche.
Une première couche fine…
Une seconde couche plus épaisse…
Une troisième couche rend le teint opaque.
Ensuite, viennent les pommettes, très rouges.
Les sourcils, d'un brun léger, pour donner un peu de contraste avec la perruque à venir…
Les cils sont noircis.
Les lèvres sont rouge vermillon.
L'application moindre sur la lèvre supérieure accentue l'effet d'arrondi.
Une mouche fine est peinte en noir sur la joue gauche.
Enfin, Églantine termine en poudrant le décolleté pour harmoniser la couleur de la peau, du très blanc du visage jusqu'à un blanc plus léger sur le haut des seins que le corps baleiné rend proéminents.
Perfectionniste, la jeune femme peint quelques veines bleues sur le haut de sa poitrine comme on le faisait sous l'ancien régime pour accentuer la pâleur.
Finalement, Églantine pose sur ses cheveux relevés l'énorme perruque bouffante, tenue par de nombreuses épingles à cheveux.
Lorsque tout est terminé, Florentine est méconnaissable.
Elle ressemble à une princesse du dix-huitième siècle.
— Tu es magnifique, Florentine..., s'enthousiasme Églantine. C'est tout de même triste d'avoir perdu cette beauté... De nos jours, les filles portent des leggings en plastique, un t-shirt déchiré, trop grand… Elles pensent qu'elles sont belles comme ça...
— Églantine..., s'affole Florentine. J'ai très envie de pisser... Je suis désolée…
— Comme autrefois, c'est prévu pour… Tu n'as pas de culotte... Tu glisses le bourdalou sous toi... Je vais te montrer...
Églantine revient avec le réceptacle particulier.
Elle lui montre, en soulevant jupe et jupons et en maintenant la porcelaine, de forme allongée, à même son intimité.
Florentine se soulage.
La miction terminée, Églantine s'empare du pot.
Elle regarde le contenu.
Sans hésiter, elle y trempe ses lèvres.
Elle l'avale d'un trait.
— Il fait trop chaud dans ces loges… J’avais rudement soif...
Florentine grimace.
Églantine lui sourit en se pourléchant les lèvres.
— Tu es parfaite, ma chérie… Alors, le premier acte n'est que la loterie... Tu n'as rien d'autre à faire que d'avoir l'air noble, timide et précieuse... Tu représentes ce qu'il y a de plus beau au monde… Les hommes qui sont arrivés au château brûlent de te connaître... Laisse leurs humeurs s'échauffer… N'oublie pas que c'est leur sperme qui nous intéresse...
Églantine lui tend finalement la paire de gants de dentelle qui complète son habillement.
— Casse-toi une jambe, ma chérie…
Elle pose un baiser léger sur les lèvres de Florentine.
Elle sent un peu la pisse.
Parée, Florentine regarde autour d'elle.
Toutes les filles de joie sont habillées de la même manière, seules les teintes des robes varient.
Une féerie de beauté…