— Retournez toutes au travail..., ordonne Pauline, en revenant en bordure de l'enclos.
Elle brandit sa cravache.
Elle les menace.
Les spectatrices s'éloignent sans rechigner.
Seule Angeline reste immobile, les habits de Florentine dans ses bras.
— Angeline… Tu n'es plus sa petite amie... Florentine est à moi, dorénavant… Aide-la à s'habiller et à mettre Hydrogène à l'écurie... Ce soir, après le travail, tu me l'amènes…
Pauline s'éloigne d'un pas martial.
Angeline accourt pour aider Florentine.
L'étalon a fait un écart.
Satisfait, il trotte joyeusement autour de l'enclos.
Florentine n'a pas bougé.
Le visage couvert du sperme animal, elle savoure de sa langue la semence salée.
— Viens, Florentine… Ne reste pas comme ça...
Angeline passe une main sous son bras pour l'aider à se lever.
Florentine se laisse mener hors de l'enclos.
Les deux jeunes filles marchent vers la pompe à eau.
— Ce que tu as fait..., déclare Angeline. Je n'ai jamais vu ça…
Florentine ne dit rien.
Elle est encore sous le choc de la rencontre amoureuse.
Angeline fait couler l'eau glacée.
Florentine se frotte les mains puis se frotte le corps pour déloger la semence.
Angeline est triste en la regardant se laver.
— Enfile ta chemise sur ta peau mouillée… Tu sécheras... Nous devons nous occuper de ton amant...
Florentine s'habille le plus vite possible.
À la fois troublée et extatique, elle est pleine d'énergie.
En revenant vers l'enclos, Angeline s'empare d'une bride et d'une longe.
— Allez, va le chercher... On va lui montrer son box...
— Je ne l'ai pas préparé.
— Moi, si… Clotilde m'a prévenue que ton cheval arrivait au solstice...
— Au solstice?
— Solstice d'été… C'est aujourd'hui... C'est pas un hasard, tu sais…
— Merci, Angeline… Je t'aime... Tu es la meilleure petite amie qu'une fille puisse avoir...
Florentine veut poser un baiser sur ses lèvres.
Angeline détourne la tête dépitée.
Elle lui tend le matériel avant de s'éloigner.
Florentine ne comprend pas sa réaction.
Mais, impatiente de s'occuper de son cheval, elle retourne dans l'enclos pour mener Hydrogène chez lui.
En effet, le box XXI est préparé.
L'étalon se réjouit de l'eau et du fourrage.
Florentine le caresse.
Elle a envie de le brosser.
De le soigner…
De le coiffer...
Mais, ce n'est pas le moment...
Elle referme le battant.
Quelqu'une a glissé un 1 dans l'encoche pour l'identifier.
L'hydrogène, le premier des éléments...
Angeline est de retour.
Ses yeux sont un peu rouges.
Mais, elle est plus enjouée qu'auparavant.
— Florentine… Ce soir...
— Oui..?
— Je dois te mener chez Pauline.
— Pourquoi..?
— Tu es maintenant sa petite amie...
— Et toi..?
— Va falloir que je trouve une autre fille pour ma toilette… Ta langue va me manquer...
— Je ne veux pas de Pauline... Je veux rester avec toi...
— C'est elle qui décide… Elle a autorité, tu comprends… En même temps, c'est un honneur, tu sais... Tu ne peux pas refuser une diane noire...
— Pourquoi pas..?
— Elles sont plus fortes... Plus intelligentes… Plus douées... Tu auras besoin d'elle pour apprendre à monter. Elle sera une meilleure monitrice. En même temps, tu y gagnes… Pas une fille d'écurie ne va oser te toucher... Même pas Clotilde… Par contre, Pauline a des goûts... Enfin, tu verras… Viens, j'ai encore une surprise pour toi...
Le moral de Florentine chute brutalement.
Tomber entre les mains de Pauline a tout pour la déstabiliser.
Dans la sellerie, Angeline montre l'équipement qui est arrivé.
Sur le pieu XXI, une nouvelle selle noire...
— Regarde..., lui montre Angeline. Une selle toute neuve… Du meilleur sellier de France...
Florentine touche le magnifique cuir souple et brillant.
— La bride est neuve, elle aussi... Madame t'aime vraiment trop bien… Qu'est-ce que tu lui as fait pour qu'elle te récompense comme ça..?
— Je ne sais pas...
— Les autres sont déjà très jalouses... En fait, c'est mieux que tu sois avec Pauline, ça t'évitera les mauvais coups... On nous répète toujours que les orphelines sont les meilleures au monde… Alors, c'est normal qu'on ne comprenne pas, avec toi… Je veux dire, tu viens de l'autre côté du mur… Où étais-tu avant..?
Florentine ne sait pas quoi répondre.
Évoquer Flavie est tellement abscons.
Lorsqu'elle se regarde le matin dans le miroir, ses nouveaux traits sont devenus l'unique réalité.
Elle a oublié son visage d'avant.
Il ne reste que les yeux.
— Je ne sais plus..., répond Florentine, confuse.
Prise d'émotion, elle ne peut s'empêcher de pleurer.
Angeline la serre dans ses bras pour la réconforter.
— Je suis désolée, Florentine… Je n'avais pas le droit de te le demander... Chez nous, le passé n'existe pas... C'est ce qu'on nous apprend à longueur de journée... Tout ce que tu fais, tu le fais dans le présent... Une fois l'action terminée, tu n'as plus à y penser... Plus jamais… Au contraire, tu dois te concentrer sur la suivante... C'est pour ça que le remords, le regret et le chagrin n'existent pas… Tu vois, je ne suis déjà plus triste que tu sois avec Pauline... Parce que, demain, je vais lécher le cul d'une autre... Tout ce qui nous liait, avant, ne compte déjà plus... Par contre, nous sommes aussi dans le présent… Nous sommes toujours deux filles d'écurie... Nous sommes, ici, pour les chevaux, mais aussi pour nous aider… Tout ça pour te dire que si tu veux quelqu'une avec qui pleurer, après une bonne fouettée de Pauline, tu sais que tu peux me trouver dans mon box… Je ne suis plus ta petite amie, mais je reste ton amie...
— Merci Angeline, pour tout ce que tu as fait... Peut-être que le passé n'existe pas mais, moi, je ne l'oublierai pas...
— Allez, viens… Je vais te montrer où loge Pauline...
Pauline les attend sous la lanterne de la grande arche qui mène à la cour carrée du château.
Florentine et Angeline approchent silencieusement.
La diane noire ne vient pas à leur rencontre.
Elle garde les bras croisés.
Florentine est apeurée de ce qui l'attend.
Quelles sont les intentions du Cavalier..?
Une fille qui passe la nuit en dehors du dortoir n'a rien d'exceptionnel.
Tant que Clotilde est informée, tout va bien.
Mais, chez une diane noire...
Elle ne pensait pas que c'était possible.
Florentine se demande combien de temps Pauline voudra d'elle.
— Merci Angeline… Tu peux partir maintenant...
Angeline salue.
Un dernier effleurement des doigts de Florentine.
Elle repart sans rien ajouter.
Pauline détaille l'adolescente.
— Beau spectacle… Entre nous, je pensais te revoir à la clinique ou au broyeur... Bravo..! Ce que tu as fait, aujourd'hui... Ajoute à ta renommée...
— Merci, mademoiselle...
— Tu peux m'appeler Pauline, maintenant... Je suis ta petite amie...
— Oui... Oui, Pauline...
— Viens, ma chérie… Je vais te montrer où je loge... Mais avant, je veux te montrer le bâtiment.
Florentine suit la diane noire docilement.
Le bâtiment au fond de la cour carrée du grand château n'a rien à voir avec une écurie.
Tout y est luxueux.
Les parois, les rambardes des escaliers sont ornés de reliefs sculptés dans des bois nobles.
Partout, des acajous lustrés...
Des cuivres brillants...
Des accents de peinture dorée...
— Tu vois ici, c'est pour les attelages… Autrefois, les nobles habitants du château sortaient par le grand escalier dans la cour... Leur carrosse les y attendait... Ensuite, les aristocrates pouvaient aller où ils le désiraient, en passant sous la grande arche... Derrière les battants des quatre grands garages, tu as toutes sortes de véhicules... Barouche... Landau… Buggy... Cabriolet... Toute une collection… Dans l'écurie, côté jardin, tu as les juments de trait et de selle... Elles sont pour les dianes ou pour promener les invités qui veulent monter... Ce n'est pas très différent que du côté cour, où tu étais... Moins rustre, surtout... Viens, on monte à l'étage par ce côté... L'autre escalier mène aux greniers... Ils ne servent qu'à entreposer des objets passés de mode...
Tout en admirant les lieux, Florentine suit Pauline de près.
La silhouette de la jeune femme est parfaitement moulée dans son pantalon blanc.
Sa taille est très cintrée.
Son cul magnifique...
Pauline ne quitte jamais sa cravache noire.
Par rapport au dortoir des filles d'écurie, l'espace à l'étage est très cossu.
Le couloir a un parquet vernis.
Les murs sont couverts de boiseries anciennes avec des motifs équins.
Les tableaux, de magnifiques gravures animalières...
Elles longent le couloir, éclairé par la clarté des fenêtres, donnant sur la cour.
Sept portes…
Pauline l'entraîne jusqu'au fond du couloir.
— Ici, tu as la salle centrale, juste au-dessus de l'arche..., précise Pauline. C'est le poste de commandement... Les dianes rouges assurent la sécurité à l'extérieur, dans le parc… Nous assurons la sécurité autour du grand château, du petit château et des autres bâtiments... Nous sommes les yeux et les oreilles de madame... Sa police secrète... Nous savons tout…
Pauline et Florentine entrent dans le poste de contrôle qui surplombe la cour en contrebas.
L'adolescente est étonnée car la salle est très moderne.
Des écrans vidéo…
Des consoles avec des dizaines de boutons illuminés...
Des téléphones...
Contre un mur, un râtelier avec des armes modernes...
Une diane noire est assise dans un fauteuil sur roulettes, à surveiller les écrans.
Elle se tourne vers les intruses.
Florentine la salue comme il se doit.
— Bonsoir, mademoiselle...
— C'est elle..? demande la jeune femme de vingt ans, en s'adressant à Pauline.
— Oui...
Elle se lève de son siège pour mieux jauger Florentine.
— Je m'appelle Murielle… C'est vrai que tu es belle...
Florentine, très intimidée, ne dit rien.
— C'est calme..? demande Pauline, pour changer la conversation.
— Très.., lui répond Murielle. Tout est prêt pour vendredi...
— C'est quoi le thème de cette semaine..?
— La Rome décadente… Les hécates préparent un sous-sol, rien que pour la bacchanale...
— Les lingères vont râler… Allez, on te laisse...
Murielle retourne à son poste.
Pauline rebrousse chemin.
Elle ferme la porte derrière elle.
Elles sont dans le couloir des chambres des dianes.
— Nous sommes sept Cavaliers... Sept dianes noires... J'ai le numéro un… C'est facile... Tu ne peux pas te tromper...
Sur le haut du chambranle de la première porte est gravé, au centre de l'ornement, le chiffre romain I , en doré.
Pauline pousse la porte.
La chambre est large.
Les grandes fenêtres donnent sur le jardin à la française.
L'espace est très confortable.
Le lustre en cristal est électrifié.
Un grand lit double…
Une armoire...
Une commode...
Un lavabo avec une tablette de marbre...
Devant le miroir, une vasque en émail et un broc d'eau...
Les murs sont couverts d'un papier peint à rayures vertes foncées et beiges.
Le parquet est ciré.
Les tableaux aux murs représentent des scènes de chasse.
À peine entrée, Pauline se jette sur Florentine.
Elle la prend dans ses bras.
Une étreinte forte…
Une étreinte passionnée...
Elle colle ses lèvres aux siennes.
Un long baiser…
Puis, Pauline murmure, en lui mordillant l'oreille...
— Tu ne sais pas comme j'avais envie de toi…