Flavie accepte le verre de vin que lui présente Jacqueline.
Les verres s'entrechoquent.
Elle avale une gorgée du breuvage sucré.
— Mangeons..! déclare Jacqueline.
N'ayant avalé qu'un bout de jambon et croqué une seule fois dans une pomme, Flavie est affamée.
Les plats étalés devant elle sont couverts de viandes froides variées.
— C'est du gibier..., l'informe Jacqueline, en retrouvant son fauteuil. Il vient de la propriété... Tu n'en as probablement jamais goûté... Du chevreuil… Du sanglier... De la biche... De ce côté, faisan et perdrix...
Usant de ses doigts, Jacqueline s'empare d'une tranche de sanglier fumé.
Elle la mord de ses dents bien blanches.
Elle arrache une bonne bouchée.
Elle mastique grossièrement.
Flavie remarque que, comme avant, il n'y a ni couverts, ni serviettes de table.
Son appétit est néanmoins féroce.
Elle choisit une tranche du rôti de chevreuil.
Elle mord du bout des dents.
La viande rosée est ferme mais a bon goût.
Le vin aide à faire passer chaque bouchée.
— Quelle délice que de te voir, belle enfant, faire fi des conventions... Avale, ma chérie… Gave-toi de tout ce qui te plaît... Use de tes mains, elles sont là pour ça... Si la nature voulait que nous usions de couverts, nous serions nées avec des fourchettes au bout des doigts... Si tes petites menottes deviennent trop grasses, utilise la nappe ou ta robe… Tu la portes, ce soir, pour la souiller...
Flavie regarde sa robe.
— Elle est tellement jolie.
— Non, c'est toi, mon petit amour, qui la rend si jolie... Sans ta beauté, ce n'est qu'un bout de chiffon sans intérêt...
— Je… Je peux vous poser une question..?
— Bien entendu.
Jacqueline mange avec les manières d'un homme de l'époque.
Loin de la table, assise avec les jambes écartées, elle est vautrée contre le dossier du fauteuil.
Elle a, dans une main, son vin et, dans l'autre, sa viande.
Elle mâche en parlant.
Elle boit de grosses gorgées qui, trop pleines, laissent des taches rouges sur sa chemise.
— Qui sont ces duègnes dont Églantine m'a parlé..? lui demande Flavie.
— Ce sont les vieilles servantes des châteaux… Les deux bâtisses ont été construites à la même époque... Le grand château, pour les plaisirs publics… La bonne société... Le petit château, pour les plaisirs privés… Le libertinage... Ici, plus spécialement, les servantes ne doivent jamais être vues... Elles circulent derrière certaines cloisons... Il y a des passages secrets dans toutes les pièces... Les duègnes ne sortent que lorsque personne ne peut les voir... Mais, elles sont là… Je les connais bien, les vieilles putains... Elles nous regardent en ce moment, impatientes du spectacle qu'on va leur offrir...
Flavie est choquée.
Elle repose sa viande sur son assiette.
— Elles nous regardent... Comment..?
— Il y a des trous dans les murs... Tu ne peux pas les deviner... Il faudrait que je t'en montre un mais je ne le souhaite pas, pour le moment...
— Alors, elles nous ont vues... Ce matin…
— Les pauvres femmes ont bien le droit de se rincer l'œil, non..?
— Ne craignez-vous pas qu'elles préviennent les gendarmes, à mon sujet..?
— Morbleu..! Pourquoi donc..? Ces femmes ont vécu presque toutes leurs vies sur le domaine... Elles sont des nôtres… Sauf que l'âge et la corruption a rendu toutes ces vieilles putains hideuses... Elles ne peuvent plus être vues... Elles travaillent cachées jusqu'à ce qu'elles décident qu'il est temps de tirer sa révérence...
— Elles vont à la maison de retraite..?
— Jamais de la vie..! Ces femmes, autrefois magnifiques, sont trop estimables... Elles ne méritent pas ces lugubres mouroirs financés par je ne sais quelle caisse de l'épouvantable mutualité sociale... Ces femmes, lorsqu'elles décident qu'elles ne peuvent plus me servir, s'immolent après une dernière grande foutrerie... J'espère que tu y assisteras un jour... C'est, à la fois, émouvant et excitant...
— Elles se suicident..?!
— Non… Elles se laissent tuer par celles qui les remplaceront... Un cercle de vie… Alors, elles se font encouer, enconner et enculer, une dernière fois... Pour le plaisir...
Flavie soupire lourdement.
Elle ne sait que dire.
Le décor ténébreux…
Ces paroles dérangeantes...
Le vin sucré, qui lui fait tourner la tête.
La viande étrange...
La robe qui l'étouffe.
Elle se sent pâlir.
Elle est prête à s'évanouir.
— Mange… Mange, ma petite chérie... Et bois, aussi… Le souper doit être un moment de délices...
L'adolescente essaie un petit morceau de faisan.
La viande est sèche.
Sans sauce d'accompagnement, boire s'impose.
— Alors, elles ne diront à personne que je suis ici..., insiste Flavie.
— Jamais..! D'ailleurs, pour nous toutes, tu n'es déjà plus celle que tu étais... Tu portes mon ruban... Tu es ma pupille... La prunelle de mes yeux... C'est pour cette raison que ce soir, tu devras passer ta première épreuve... Je vais te dépuceler...
Flavie se tient la gorge.
Elle sent le ruban sous ses doigts.
— Me dépuceler..? Mais…
— Vois-tu, ma douce Flavie… De te voir dans cette chambre close... Une enfant si douce et si délicieuse de chasteté… Je bande comme un forcené... J'use de termes masculins, ce soir... Mais, laisse-moi t'expliquer ce qu'il en est…
Jacqueline ajuste sa position.
Elle pose la jambe gauche par-dessus l'accoudoir.
Elle avale une gorgée de vin.
— Les pucelages des filles sont autant de murailles à briser... Imagine que tu sois dans une rue, longue, grise et triste… Elle est bordée, de chaque côté, par deux murs élevés... Curieuse de ce qui se cache derrière, tu grimpes sur les épaules d'une petite camarade de classe... Et là, que ne vois-tu pas..? Un jardin magnifique… Un jardin de roses... Le plus beau que tu aies jamais vu... Si seulement tu pouvais y entrer... Quel délice..! Quel plaisir..! Quelle volupté..! Mais, tu es encore curieuse… Que se cache derrière le mur de l'autre côté..? Tu recommences l'opération avec ta petite amie... Et, là encore, tu découvres un jardin… Cette fois, c'est un verger... Magnifique..! Des fruits gorgés de jus que tu rêves de croquer... Il ne s'agit pas d'un rêve... Ton imagination ne te joue pas des tours... C'est la nature… La nature t'invite, Flavie… Il te faut absolument y aller... Mais… Hélas... Arrive sur le chemin, un censeur… Un homme austère, habillé de noir… Un maître d'école… Un curé... Un parent... Il te dit... Enfant, tu es trop jeune pour ces plaisirs… Tu dois attendre ton mari… Mon mari..? Qui est-ce..? Quand viendra-t-il..? Ne peut-il venir immédiatement..? J'ai tellement envie... Non, petite scélérate..! Petite dévergondée..! Ces jardins ne sont pas pour toi… Et puis d'abord, tu dois grandir... Attendre l'âge légal… Alors, ne recommence jamais à grimper sur ta petite amie… Ces domaines secrets doivent rester un mystère… Et puis, n'oublie jamais que tu es née femelle… Une fille est faible et sotte... Regarde-moi ces ridicules petits bras... Cette tête de linotte… Seul ton mari a le droit d'abattre ces murs... Il possède l'outil adapté... Tu verras, il commencera par le verger, la nuit de votre mariage… Il continuera par la rosière, la nuit où tu accoucheras de son premier fils… Pourquoi ne puis-je goûter à tous ces délices, dès à présent..? L'homme te gifle de toutes ses forces… Impudente enfant, les hommes ont construit ces murs pour te protéger... La nature est dangereuse et mauvaise..! Il est préférable que tu fasses tes prières… Que tu apprennes tes leçons... Que tu t'occupes des corvées de la maison... Ne perds pas ton temps à penser à toutes ces chimères… Elles te rendront folle... Tu risquerais de finir à l'asile… Le contempteur s'éloigne d'un pas sévère... Voilà où tu en es, Flavie… Seule, entre ces deux murs injustes, ces pucelages qui t'empêchent d'accéder aux plaisirs de la nature... Que vas-tu faire..? Attendre cet hypothétique mari..? Il faut le dire, cet homme brisera le mur du verger, certes… Mais, ajoutera par la suite, une petite barrière à l'entrée, dont lui seul aura la clé... Ou bien… Ou bien, tu as de la chance... Car, qui vois-je approcher..? Un libertin… Un homme qui a la solution à tous tes problèmes... Regarde, comme il est beau… Il est habillé exactement comme je le suis...
Jacqueline se lève d'un bond.
D'un geste théâtral, elle présente sa tenue de cavalier rebelle.
Elle ôte ses lunettes qu'elle dépose sur la nappe blanche.
Elle salue, tête basse, d'une gestuelle courtoise.
Elle continue à interpréter les dialogues comme si elle était sur scène.
— Bonjour, jeune demoiselle… Je vous vois, aujourd'hui, bien dans l'embarras... Vous rêvez de plaisirs... J'ai ouï dire que votre jeune camarade vous a, un petit peu, ouvert les yeux… Mais, vous n'avez toujours pas accès aux jardins merveilleux... N'ayez crainte, douce enfant... Je suis là pour vous aider… Merci, monsieur..., répond la demoiselle... Alors, je ne dois donc pas attendre un époux..? Crois-moi..., répond le libertin... Ce chemin est désert… Tu pourrais attendre toute ta vie... Et pour ton malheur, cet homme pourrait être… Vieux… Incapable... Impotent... Non, oublions-le... Je vais t'ouvrir un passage… J'ai mon outil, que je porte toujours avec moi... Alors, allez-y, monsieur..., supplie la jouvencelle… Allez-y, vite..! Parce que j'ai tellement envie… Oui, tendre petite, mais, je dois tout de même te prévenir qu'il y a un prix à payer... Un prix..? Quel est ce prix..? Je ne possède rien, cher monsieur... Je ne possède ni bien, ni argent… Le prix, mademoiselle, se règle par le sang...
Jacqueline marque une pause pour boire une longue gorgée de vin.
Flavie, qui l'écoute attentivement, ne mange plus.
Elle est transportée par le spectacle.
Jacqueline reprend.
— Le sang..?! s'affole la pauvre enfant… Oui, dit le libertin... Mais, ce n'est pas que moi… Ton mari t'aurait demandé la même chose… Mon mari, réclamer mon sang..? Crois-moi, ce ne sont pas les hommes qui ont inventé tout ça… La nature, juste et égalitaire, réclame un tribut car elle veut qu'on sache que c'est un domaine important... Personnellement… Je pense que les enfants devraient payer le prix à un âge tellement jeune qu'ils ne se souviendraient de rien... Ainsi, ils auraient droit aux jardins, depuis… Depuis, quasiment, le moment où ils sont nés... N'a-t-on pas le droit de jouir des plaisirs de la nature dès que nous mettons les pieds sur cette terre..? La fille ne sait trop que penser… L'idée lui semble bonne... Elle a quinze ans... N'a-t-elle pas attendu déjà trop longtemps..? Elle réfléchit à peine... Elle lui dit… Tant pis, les fruits que j'ai vu sont trop beaux… Je suis prête à donner un peu de mon sang... Je consens de ce côté… Et les roses, ma petite..? Que penses-tu des rosiers..? Oui, messire, les roses sont belles, elles aussi… Je le crois assurément... Mais, je ne sais pas si j'aurais autant de plaisir... Peut-être, aujourd'hui… Seulement le verger... Ainsi, je m'épargne de la douleur… Allons, mon enfant… Tu oublies, une chose, bien certainement… Laquelle, mon bon monsieur..? C'est moi qui décide..! Mais, je te le dis, charmante demoiselle, parce que j'ai beaucoup d'expérience dans ce domaine… Ce sont les roses qui, de toutes les beautés de la nature, donnent le plus de plaisir... Les roses ont une odeur enivrante... Les roses ont un cœur si fin… Si étroit... On ne pense pas toujours à y mettre la langue… De les goûter... Et pourtant, c'est un plaisir bien plus élevé... Et puis, réfléchis bien… Si tu te décides à casser un seul mur, garde alors le verger pour ton mari... C'est là qu'il plantera ses pépins... Qu'il greffera sa descendance... Les hommes communs ne comprennent rien à la beauté des roses... Ils se chahutent d'ailleurs sur le sujet... Ils se moquent même du quidam qui pourrait l'affirmer... Pourtant, rien au monde n'est plus valeureux… La fille regarde le libertin au fond des yeux... Que va-t-elle choisir..? Si elle dit oui aux plaisirs, ce seront les roses… Il l'a dit... Peut-être qu'après, elle pourra le convaincre d'aller au verger… Mais, si elle dit non, elle n'aura rien... Elle sera à son point de départ, à attendre dans l'ennui son hypothétique mari...
Jacqueline retombe lourdement à sa place.
Elle éructe un rot volumineux.
Elle essuie sa bouche de sa manche.
— Foutre que ce vin est bon...
— J'ai le choix, c'est ça..?
— Non, ma petite Flavie, tu n'as pas bien écouté… Il est trop tard pour toi... Le libertin est déjà là... Il est devant toi... Tu as accepté son invitation... Tu dois payer le prix de sa luxure...
— Mais, n'y a-t-il pas moyen… Autrement..?
— La nature est bien faite, mon petit chaton... Ne crains rien… Elle est capable... Elle est souple... Injuste, serait si ce n'était que toi... Mais, crois le bien… Toutes les femmes sont passées par ce chemin... Je regrette simplement que tu aies attendu si longtemps...
— Je n'ai que quinze ans.
— Réfléchis… Si tu avais commencé à deux ou trois ans, tu n'aurais aucun souvenir du prix payé... Pour toi, ce serait une douleur oubliée… Comme tomber de ton tricycle ou être griffée par le chat... On n'en parlerait même pas...
— Un tout petit enfant ne peut pas faire ça..! C'est strictement interdit...
— Par qui..?
— Par la Loi..!
— Foutaises..! La nature écrit nos lois... Elle est juste... Impartiale... Parfaitement égalitaire... D'ailleurs, ce que mon petit conte libertin a oublié de te préciser, c'est qu'un garçon… Ce petit être diminué a, lui aussi, son mur à briser... Lui aussi, offre accès à la roseraie… Tu es d'accord que, jeunes ou vieux, nous pouvons tous chier... Crois-moi, il y a des bébés qui chient un étron deux fois plus large que la verge d'un adulte... La rose est douloureuse, c'est vrai... Elle a des piquants... Mais, une fois que tu es en elle… Fille ou garçon, tu atteins des sommets de plaisirs inégalés... Le cul, ma petite chérie... Le CUL..! Trois fois trois... Le cul est ce qui nous fait le plus bander... Le cul d'un bébé… Le cul d'une duègne... Le cul d'un garçonnet... Le cul d'une mère au foyer... Tous les culs sont bons à prendre... Toutes les roses sont bonnes à cueillir… Bon, je l'admets, une rose trop exposée, presque fanée, sera moins tentante... Mais, une rose encore fermée… La rose d'une jeune fille pure comme tu es… N'y a-t-il rien de plus délicieux sur terre..?
Flavie pose ses mains devant sa robe comme pour se préserver.
Elle frémit.
Elle craint tant ce qui l'attend.
Le vent souffle fort à l'extérieur.
La pluie ne cesse de tomber.
Elle frissonne derechef.
Sa voix est tremblante.
— Vous... Vous n'êtes pas un homme...
— Techniquement, c'est vrai… Mais, comme tu le sais, je suis libertine... J'ai le même esprit que le mâle échaudé à l'idée d'enfoncer sa verge dans un cul enfantin... Tout comme un homme peut interpréter une femme, une femme peut interpréter un homme... La nature n'a pas voulu nous emprisonner dans nos genres respectifs... C'est précisément pour cette raison qu'elle nous a donné à tous deux… Un cul... C... Q... F... D... Ce cul, foutu, dévoyé...
Jacqueline rit à gorge déployée.
— Mais, le cul, c'est pour autre chose..., argumente Flavie.
— Oui, c'est d'abord pour chier... La merde, ma petite chérie, a l'odeur des roses... Et, dans ta roseraie, c'est bien elle qui les nourrit... Le cul, c'est ensuite pour se faire enculer... C'est la perfection de la nature qui, d'un trou abject, en fait le centre de ta beauté...
— Vous… Vous êtes sûre de tout ça..?
— Oui, ma petite Flavie… Je te regarde... Qu'est-ce que je vois..? Je vois une douce jeune fille dans une très belle robe... Tu es belle comme un amour, avec ta coiffure… Un peu de fard sur tes yeux... Un peu de rouge sur tes lèvres... Mais, ce qui m'excite… Ce qui m'enivre... Ce qui bouleverse mes esprits, c'est de savoir que, sous tous ces pétales, attend le bouton de ton cul... Qu'il est à moi..! Avant que le jour se lève, je l'aurais cueilli... Viens sur mes genoux, ma petite chérie… Je veux me remettre en personnage... Écoute bien ton histoire… Ton père, un gros bourgeois, qui a déjà eu bien du mal à marier ses filles aînées… Eh bien, ton père t'a vendu secrètement, à moi... Il sait que tu es chez moi, non pas pour un souper galant... Non pas pour un moment romantique… Mais pour subir la luxure et le vice... Il sait que tu vas payer le prix fort de la débauche... Il sait que son petit trésor, la tendre et douce enfant qu'il a vu grandir, qu'il a caressé durant toutes ces années, aura son cul ravagé par le pire des vauriens... Viens sur mes genoux, ma petite Flavie… Viens, que je brise le mur qui t'empêche de te joindre à la ronde des femmes heureuses... Il est temps...