En sortant du restaurant, je suis sous le choc de ce qui vient de se passer.
Par réflexe, je prends le volant.
Ma femme ne sait pas quoi dire…
Encore moins, quoi penser.
Aline s'installe sur le siège passager sans faire d'objections.
Après quelques kilomètres à foncer à travers la nuit, dans un excès de vitesse constant, elle me demande:
— Tu le connais ce type?
Bien entendu, que je le connais!
Je ne connais que lui.
Je vois sa gueule presque toutes les semaines sur mon DVD.
Il a vieilli comme tout le monde mais, je le reconnais bien.
C'est le chauffeur de la Rolls, à notre mariage.
Mais moi, ce que je me demande…
C'est qui ce type, vraiment?
L'amant d'Aline?
Le père de ma fille?
Ou bien, tout simplement…
Quelqu'un de sa famille.
Son frère?
Réalisant brutalement que je roule à cent-cinquante kilomètres heures sur une route nationale limitée à quatre-vingt-dix, je pile d'un coup sec.
J'appuie à fond sur le frein.
Les pneus hurlent.
Un crissement d'enfer…
Aline hurle de terreur comme à l'instant de sa mort.
La Mini, qui a un système de freinage assisté, réduit notre vitesse brutalement mais sans sortir de la route ou capoter.
Heureusement, il n'y avait personne derrière nous.
Je n'ai même pas regardé.
Encore possédé, mais revenant doucement à la réalité, je me gare sur le bas-côté.
Mes mains tremblent violemment.
Terrorisée, Aline est sous le choc.
— T'es complètement malade! Pourquoi t'as fait ça? T'aurais pu nous tuer!
Je me tourne vers Aline.
Son visage affolé.
Je pose une main sur son genou.
Je la regarde au fond de ses yeux bleus.
J'ai une envie folle de l'embrasser.
Ma fille…
Zoé repousse ma main sèchement.
Je quitte mon cauchemar.
Je souffle un peu.
Je me calme.
— Je suis désolé, Zoé… J'ai fait une erreur.
— Quelle erreur?
Je relâche le pied encore enfoncé sur la pédale du frein.
Comme la voie est libre, j'accélère doucement en mettant le clignotant.
Nous reprenons la route, calmement.
— Tu veux rentrer à la maison?
Encore inquiète, Zoé fixe la route devant elle.
Elle réfléchit un moment, avant de répondre:
— Non, je ne préfère pas… Tu peux me déposer à une fête? J'ai l'adresse.
— Pas de problème… Programme le navigateur.
Zoé s'occupe en pianotant sur l'écran de la console.
Mon cerveau fait des sauts périlleux.
J'essaie de voir les aboutissants.
De voir les fils…
De m'en emparer.
De les nouer ensemble pour voir s'ils tiennent.
Pour alléger la tension qui règne dans l'habitacle de la Mini, Zoé met de la musique.
Une vieille chanson de Mylène Farmer, intitulée Beyond my control.
J'écoute les paroles, en roulant.
La douceur de la voix de la chanteuse aide à m'apaiser.
Je veux parler à Zoé de ce qui s'est passé au restaurant mais elle est déjà occupée avec son téléphone.
Alors, j'écoute le message radiophonique qui répète, en boucle:
— Lâche… C'est plus fort que toi…
Je dépose Zoé à sa fête.
Une bringue de jeunes des beaux quartiers.
Dans sa tenue de soirée, Zoé va être la star.
Je l'imagine se déhancher au rythme de la musique assourdissante pour terminer dans les bras de son Don Juan à mobylette.
Je retourne dans mon trou.
Je veux vérifier que je ne me suis pas trompé.
Bukkake avec la mariée.
Je fais un arrêt sur image.
Oui, c'est bien lui.
Le chauffeur.
J'ai toujours imaginé que c'était juste un invité de plus.
Alors qu'en vérité, c'était lui le meneur.
L'instigateur.
L'organisateur.
Le complice.
Comme j'y suis, je laisse défiler les images.
Aline qui ouvre la bouche pour se goinfrer de sperme.
— C'est ton cadeau de mariage, mon chéri…
Le dimanche est maussade.
Zoé, qui est rentrée à trois heures du matin par ses propres moyens, m'évite.
Nous ne parlons pas de ce qui s'est passé entre nous.
Je m'occupe l'esprit en lavant sa Mini.
En m'occupant dans sa maison.
En me masturbant dans sa petite culotte.
Le lundi matin, le grand cirque commence.
Ils arrivent à huit heures pile.
Deux fourgons remplis, plus une voiture pour les gradés, les O.P.J., les Officiers de Police Judiciaire.
L'adjudant Passais n'est pas le plus gradé mais c'est lui qui coordonne l'action des différents groupes.
Pour commencer, ils bouclent les alentours.
Les clients présents doivent partir.
Mes employés sont regroupés dans la salle d'attente.
Ils boivent des cafés et avalent des beignets en se demandant bien ce qui va se passer.
Moi, je suis escorté jusqu'à mon bureau.
C'est par là qu'ils commencent.
Ils me mettent sous le nez, les documents de la perquisition dans le cadre de l'enquête criminelle à mon sujet.
Ils vont tout fouiller.
Tous les placards.
Toutes les caisses en carton.
Ils ont de quoi faire.
Un Autoplus, c'est pas rien.
J'ai des rayons entiers de stock.
Des centaines de pneus.
Du matériel dans tous les coins.
Ils cherchent plus d'indices.
Plus de preuves pour m'inculper et, à terme, pour me condamner pour le meurtre de ma femme.
Je suis assis dans le bureau à attendre que la tempête passe.
L'adjudant Passais et son supérieur, le colonel Mercier, m'expliquent le a plus b:
— Un drone! Un drone avec une caméra… Il y avait un drone juste au-dessus de l'intersection. À cinquante mètres d'altitude… Impossible pour un chauffeur de le voir… On pense que le drone a lancé le message radio. Lorsque le véhicule approche de l'intersection, l'accélérateur est alors contrôlé par le module bricolé sur le calculateur… La Porsche fonce d'un coup… Une voiture qui peut monter à cent kilomètres heure en moins de cinq secondes. Après l'impact, le drone a filé… Ni vu, ni connu. On ne l'a pas observé tout de suite… Le drone apparaît sur la vidéo d'une dashcam d'un camion qui était derrière… Un vrai coup de chance… Sur la vidéo, c'est juste un point noir. On pourrait croire à une mouche… Mais, en traitant l'image… On a pu identifier le contour. Un drone!
— C'est dingue, en effet… Et, en quoi ça concerne mon Autoplus? J'étais ici, ce jour-là…
— Un drone de cette taille et de cette qualité peut être commandé dans un rayon de cinq kilomètres. L'Autoplus est à quatre kilomètres, en ligne droite, du croisement… Vous auriez très bien pu le commander d'ici.
— D'accord, c'est peut-être possible… Mais, je vous le répète, messieurs… Pourquoi aurais-je voulu tuer ma femme?
L'adjudant Passais se lève.
Il fait signe aux collègues, qui ont terminé la fouille du bureau, de sortir.
Il referme la porte.
Il n'y a plus que lui et son supérieur.
Le colonel de gendarmerie Mercier ouvre sa mallette.
— Parlons de votre femme…
En France, le cocu, ça fait toujours marrer.
C'est le pauvre type avec les cornes.
Le crétin.
Le dindon de la farce.
Il suffit de lancer le mot, pendant une soirée arrosée, et vous ferez bien rigoler.
J'aime bien décortiquer les mots.
Le cocu, c'est quoi?
C'est le con et le cul.
Le con-cul, auquel on a retiré le n et le l.
Le nul.
Le nul, c'est moi…
Les gendarmes étalent mon cocufiage, en long et en large.
Je dois admettre qu'ils ont bien travaillé.
Aline, ce n'est pas que le Bukkake du vendredi.
C'est dix-sept ans d'amants en tous genres, partout en ville et dans le pays, si vous comptez les représentants de commerce de passage.
Les gendarmes ont des noms.
Des lieux.
Des confessions.
Oui, tout est là, devant mes yeux.
Que voulez-vous que je vous dise?
Ma femme est nymphomane.
Elle a besoin de se faire baiser.
D'avoir des queues dans sa chatte.
Des queues dans sa bouche.
De tous les côtés et sous tous les angles.
Dans tous les lieux.
Les gendarmes pensent que leurs preuves sont accablantes.
Un homme sensé, face à un comportement pareil, ne voudrait qu'une seule chose.
La tuer!
Ils sont presque en train de m'expliquer que ce sont des circonstances atténuantes.
Après tout, une femme qui ramène ses amants à la maison.
Et moi, dans tout ça?
Qu'est-ce que j'en pense?
Qu'est-ce que j'en sais?
— Je ne le savais pas, je leur dis, en baissant le nez.
— Vous ne le saviez pas? Mais, si vous le saviez, monsieur Belgeard… Et, tout le monde savait que vous le saviez! Nous avons des dizaines de témoins… Ils affirment que, dans le lit avec votre femme, vous êtes debout, devant la porte, à les regarder dans l'acte… Sans rien dire… Sans rien faire… Juste là, à mater!
— Non, ce n'est pas vrai! Ce n'est pas moi! Je ne ferais pas ça… Ma femme Aline est une femme aimante. Une bonne mère… Une femme active et moderne.
Les gendarmes se regardent entre eux.
Dans ma désillusion, je creuse ma propre tombe.
Comme prévu, les gendarmes ne trouvent rien d'incriminant à l'Autoplus.
Après trois heures d'efforts, la caravane se déplace jusqu’à mon domicile.
Ce coup-ci, je reste menotté dans la voiture de gendarmerie.
Heureusement, Zoé est chez Murielle quand ils débarquent, toutes sirènes allumées.
Un vrai tintamarre, dans tout le quartier…
Désolé, chers voisins, je n'ai pas pu glisser d'avertissement dans les boîtes à lettres.
La maison, par contre, c'est le pot aux roses!
L'adjudant Passais jubile en découvrant, au sous-sol, mes outils.
Mes jouets télécommandés.
Un hélicoptère.
Un avion.
Je m'amuse de les voir s'agiter.
De les voir se réjouir pour un rien.
Je sais qu'ils ne vont pas trouver.
La seule preuve du meurtre d'Aline est cachée dans la chaufferie.
Très bien cachée.
Je suis le seul, au monde, à savoir où…
Lorsque Zoé arrive à la maison, avec sa chevelure blonde, vêtue des habits de ma femme, les gendarmes ne font pas le rapprochement.
C'est pour vous dire combien ils sont bornés.
Tout de même, elle subit un interrogatoire serré qui porte essentiellement sur ma personnalité.
Zoé comprend vite que je suis accusé de meurtre.
Elle comprend, encore plus vite, mon jeu des derniers jours.
Pourtant, elle ne dit rien qui les mènerait sur cette piste.
Elle joue parfaitement son rôle de jeune fille éplorée, qui ne peut pas croire à tout ça.
Son père, tuer sa mère?
Elle ne veut pas y croire.
Le troisième acte se passe dans une salle d'interrogation du bâtiment central de la gendarmerie.
Je vous épargne la répétition incessante de questions qui n'ont pour but que de me faire avouer.
Je tiens bon.
Ce n'est pas trop difficile pour moi.
Parce que la seule question est…
Est-ce que j'ai tué ma femme?
Eh bien, même si tous ces gendarmes butés ne veulent pas me croire, la réponse est non.
Je n'ai pas tué Aline.
Je ne l'aurais jamais fait.
Parce que…
Plus que tout…
Jusqu'au dernier jour de sa vie et même au-delà…
J'aime Aline plus que tout au monde.
Je suis relâché le lendemain.
Les jouets télécommandés trouvés chez moi ne sont pas des preuves suffisantes.
Ils étaient quasiment inutilisés.
L'hélicoptère était resté dans son carton, sous plastique.
Je sais qu'à partir de maintenant, ils vont me surveiller.
Ils veulent trouver ma planque.
L'atelier que j'aurais pu louer.
Il ne leur en faudrait pas beaucoup pour me mettre derrière des barreaux.
Quand je reviens à la maison, Zoé est affolée après tout ce qui vient de se passer.
— C'est vrai ce qu'ils disent? Est-ce que tu as tué maman avec un drone télécommandé?
— Non… Bien sûr que non… Jamais!
— Mais, quelqu'un l'a fait, tout de même… Ils sont sûrs de ça… On a tué maman.
— Je ne sais pas… Ils n'ont pas tant de preuves… Est-ce que quelqu'un a tué Aline? Je ne sais pas… C'est possible… Mais, je t'assure que ce n'est pas moi.
— Qui c'est, alors? Tu sais, qui c'est?
Zoé me regarde avec suspicion.
Longue pause de doute…
Je tente de dissimuler la vérité.
— Non… Je ne sais pas qui c'est… Je ne sais pas pourquoi.
— Qu'est-ce qu'on va faire?
— J'ai besoin d'un avocat.
— Le père de Murielle est avocat.
— Ça tombe bien… Mais, je suis fauché, comme tu sais… Il va falloir trouver de l'argent pour le payer.
— Je pourrais travailler.
— À faire quoi?
— À l'Autoplus… C'est toi-même qui le disait.
— Oui, c'est pas une mauvaise idée… Mais ça veut dire que tu viens avec moi tous les matins… C'est long une journée de travail, tu sais…
— Ça ne me fait pas peur… Et, je vais te dire, je m'ennuie depuis que je ne vais plus à l'école… Rester toute seule ici, toute la journée… Je ne sais pas comment maman faisait.