Lundi.
Je reprends ma routine stricte.
Je suis le premier au travail.
Je suis sobre.
Je suis heureux.
J'ai un avenir.
C'est fou comment il suffit de regarder le monde sous un autre angle pour en voir tout le positif.
Je ne peux pas comprendre tous ces français moroses et dépressifs.
Autour du café et des beignets, je suis le patron, comme avant.
Sympa.
Actif.
Vivant.
Julien, mon meilleur ouvrier, s'est pas trop mal chargé de l'affaire pendant mon temps mort.
Il y a du retard sur le planning et une ou deux livraisons se sont mal passées, mais rien de catastrophique.
Avec un peu d'effort de ma part, la boîte va tourner à nouveau.
Vers onze heures trente, je suis prêt à prendre ma première pause.
Je donne un coup de chiffon aux jantes alu d'une cliente lorsque je sens une présence dans mon dos.
Je me retourne.
Un gendarme.
L'adjudant Passais.
En uniforme avec une pochette de cuir sous le bras.
Merde, dès que tout va mieux, c'est là que les emmerdes arrivent.
— Bonjour, monsieur Belgeard.
Je suis surpris de le voir.
L'accident de ma femme, c'était il y a des semaines.
— Adjudant…
— Pardonnez-moi de vous déranger au travail comme ça mais j'aimerais bien vous parler.
— Me parler? De quoi?
L'adjudant jette un regard circulaire.
Même si personne d'autre est à portée d'oreille, l'atelier est trop bruyant.
— Allons dans mon bureau…
— Volontiers.
En chemin, je pense à mon bureau.
Je n'y ai pas mis les pieds depuis mon passage à vide.
Je pousse la porte.
J'allume la lumière.
La pièce est un désastre.
Papiers gras de fast-food.
Cartons à pizza.
Bouteilles de whisky vides.
Un vrai foutoir…
— Je suis désolé.
Le gendarme reste sur le pas de la porte pendant que j'entame un semblant d'ordre.
Je jette dans la poubelle ce que je peux.
Après une ou deux minutes d'agitation, le bureau est un peu dégagé.
— Entrez… Je vous en prie.
Je lui indique une chaise.
L'adjudant entre.
La chaise est encombrée d'un magazine pornographique.
Le dernier numéro de BDSM, la revue des femmes soumises…
Il me le tend, sans faire de commentaires.
Je jette l'imprimé dans la poubelle.
Il s'installe.
Moi aussi.
— Si je suis ici, monsieur Belgeard… C'est suite à l'enquête de l'accident de votre épouse.
— Une enquête? Je pensais que les faits étaient établis. Un accident de la route…
— Oui, mais… S'il y a un accident mortel, nous cherchons un peu plus loin. Il y va aussi de la sécurité routière. On veut comprendre pourquoi un tel accident a pu avoir lieu.
— Je comprends.
— C'est pour cela que j'aimerais vous poser quelques questions.
— Euh… Oui… Allez-y… Si cela peut aider…
— Bien.
Le gendarme ouvre sa pochette de cuir.
Il en tire un porte-documents, un calepin et un stylo.
Il ouvre très lentement le calepin à la dernière page, avant de me demander:
— Dans les semaines… Les mois avant sa mort… Quelle était votre relation avec votre femme?
— Pardon?
—Comment était votre couple?
Je suis très surpris par la question.
— Ça a un rapport?
— Oui, nous voulons connaître l'état d'esprit… Le niveau de stress, ce jour-là…
— Euh… Nous n'avions pas de problèmes… Tout allait bien.
— Pas de soucis particuliers entre vous? Problèmes d'argent?
— Non.
— Pas de projets de séparation ou de divorce?
— Ah, non… Pas du tout… Vraiment pas!
— Votre épouse aimait conduire vite.
— Oui, ça c'est vrai… Et, je lui répétais souvent de faire plus attention aux limitations de vitesse.
— Elle avait perdu pas mal de points sur son permis.
— Elle s'était fait flasher, l'année dernière…
— Oui, c'est dans le dossier… Un samedi, à deux heures du matin… Au centre-ville… Quatre points, d'un coup.
— Mais, elle était très embêtée… Elle n'a pas fait gaffe… Faut pas rigoler avec la sécurité routière… Je suis bien placé pour le savoir.
— Votre femme roulait souvent seule, dans la nuit?
— Elle sortait de temps en temps… Avec ses amies… Vous savez comment sont les femmes modernes.
— Non, je ne sais pas.
Silence glacé.
— Ben… Euh… Chacun a ses activités… C'est bon pour l'équilibre du couple marié.
L'adjudant a le nez baissé.
La poubelle avec le magazine de cul est à un mètre.
— Connaissez-vous le Lutin des Bois?
La question me foudroie.
Je tente de ne rien montrer.
— Euh, non… C'est quoi?
— C'est un club… Un club, soi-disant privé… Sur la RN 174…
— Non, je ne connais pas du tout.
— Un club particulier…
— Je ne vois pas.
— Vous n'y êtes jamais allé?
— Jamais… En quoi cela a-t-il un rapport avec l'accident?
— Est-ce que votre femme avait des ennemis?
— Non… Pas du tout! Elle était très appréciée.
— Personne qui lui voudrait du mal?
— Pourquoi? Vous ne pensez pas que…
L'adjudant Passais tire de son porte-documents, une feuille de papier.
Imprimée, la photo, en très gros plan, d'une puce électronique endommagée.
Il me la glisse sous le nez.
Je crève de chaud dans ce bureau.
Je m'essuie le front de mon chiffon d'atelier.
— Vous savez ce que c'est?
— Pas du tout…
— Après un accident comme celui de votre femme, le véhicule est emmené à notre laboratoire. Les objets retrouvés sur la chaussée sont ajoutés au dossier. Nous cherchons les causes… Les problèmes techniques… Parfois, les freins sont défectueux. Parfois, les pneus. Dans l'accident de votre épouse, il s'agit d'une accélération subite… Ce qui n'est pas très courant. Si ce n'est pas le conducteur qui a appuyé, volontairement, sur l'accélérateur… Alors, il y a peut-être une autre cause…
— Et, alors?
— Parmi les débris éparpillés, nous avons retrouvé cette puce électronique.
— Oui.
— Elle est assez courante… Elle est généralement utilisée sur des récepteurs de télécommandes… Mais, pas sur une Porsche Boxster, comme celle de votre épouse… Elle n'a rien à y faire… Malheureusement, le calculateur électronique du véhicule a brûlé, surtout au niveau des connecteurs… Mais, dans l'amalgame du plastique calciné, tombé au sol, on a pu tirer cette puce.
— …
— L'enquête, monsieur Belgeard, n'est plus de l'ordre du simple accident de la route… Il s'agit, peut-être, d'un acte criminel.
— Quelqu'un aurait essayé de tuer ma femme?
— Non, monsieur Belgeard… Quelqu'un a tué votre femme!
Je m'essuie le front.
— Vous en êtes certain?
— Non… Pas pour le moment… Cette puce électronique est une piste mais elle n'est pas concluante… C'est vous qui faisiez l'entretien du véhicule?
— Oui, ici…
— Personnellement?
— Ben… Vous savez… Je le fais, moi-même, hors facture… Pour… Euh… Économiser un peu…
Je transpire maintenant à grosses gouttes.
Elles me coulent le long du dos.
Ce gendarme dans mon bureau me bouleverse.
Je n'ai pas l'habitude de l'autorité.
Je n'aime pas ce qu'il est en train d'insinuer.
— Il n'y a pas de carnet d'entretien?
— Non, pas vraiment… Mais, vous ne pensez pas que j'ai quelque chose à voir dans cet accident?
— S'il y a... Comme on le suspecte… Un dispositif ajouté à la voiture pour provoquer une accélération soudaine… Il faut que la télécommande soit dans un périmètre de deux cent mètres. Il faudrait être sur place… Mais, au moment de l'accident, vous étiez ici… Dans votre atelier… Nous avons questionné vos employés.
— Ah bon? Ils ne m'ont rien dit…
— Vous êtes disculpé pour ce qui est de l'activation… Mais, vous restez suspect car vous seriez capable d'installer un tel dispositif sur la voiture de votre femme.
— Allons, c'est ridicule… J'adorais ma femme. Je n'ai… Je n'avais absolument aucun motif pour faire ça.
Le gendarme me fixe sans rien ajouter.
— Voilà où nous en sommes, monsieur Belgeard. Nous cherchons à retrouver tous les véhicules ou passants qui se trouvaient à l'intersection. Nous finirons bien par y arriver…
L'adjudant se lève.
Il range ses affaires dans sa pochette de cuir.
— Si vous pensez à quelque chose qui pourrait m'aider dans mon enquête, je vous demande de m'appeler. Voici mon numéro. Bonne journée.
Le gendarme glisse une carte professionnelle sur la table.
Il repart aussi sec, avant que je puisse le saluer.
Je suis choqué par l'entretien.
Je reste un moment sans bouger, à réfléchir.
J'ai bien compris que je suis le suspect numéro un.
Bricoler une voiture pour provoquer un accident, ça doit être dans mes cordes de mécanicien.
Sûrement qu'en faisant des recherches sur internet, on doit pouvoir trouver des astuces.
La question majeure est de savoir qui pourrait en vouloir à Aline?
Quel mobile pour un crime pareil?
À moins que les gendarmes ne se trompent complètement…
Leur puce, c'est un peu léger.
Elle pouvait déjà être là, sur la chaussée, et se mêler au calculateur à la suite du feu du bloc moteur.
Honnêtement, je ne pense pas que ce soit suffisant pour faire bouger un procureur.
Si Passais bluffait?
Forcément, le mari est toujours visé…
Bon sang!
C'est un peu fort de café, non?
Bon, je me rassure mentalement…
Ce sont des coups d'épée dans l'eau de la part du gendarme.
Je n'ai rien à craindre.
Le plus important est de garder le cap.
Reprendre ma vie normale.
J'use de ma pause pour ranger le bureau.
Je le veux impeccable.
Irréprochable.
L'après-midi, je fais tout mon possible pour ne rien montrer de mon angoisse.
Je m'occupe les mains.
Pour ne pas penser…
Pour ne pas penser au Lutin des Bois…
Je sais très bien où il est.
Je suis passé devant des dizaines de fois…
C'est un club libertin.
Un club pour couples échangistes.
Pour couples sado-maso.
De l'extérieur, ça ne paye pas de mine.
Juste une chaumière isolée…
Un parking.
De jour, c'est toujours fermé.
Rien ne commence avant la tombée de la nuit.
Le propriétaire a un site internet qui ne donne pratiquement pas d'informations.
Il n'y a qu'un seul truc qui me vrille les nerfs, à chaque fois que je visite la page.
Dans un coin, un message clignote dans un cadre violet…
Tous les vendredis, c'est Bukkake.
Aline…
Ma femme…
Le moteur de la petite Porsche démarre vers dix heures du soir.
Tous les vendredis, elle part dans la nuit.
Moi, je l'attends.
Je l'attends comme un chien qui attend le retour de son maître.
Je suis au sous-sol, au bas des escaliers, à guetter son retour.
Je l'ai vu partir avec ses bas résilles noirs.
Sa jupette plissée.
Son petit blouson de vinyle.
À chaque fois qu'elle descend au sous-sol pour prendre sa voiture, elle me lance sur un ton narquois:
— Ne m'attends pas, mon petit chéri…
Elle rigole en se dirigeant vers la petite Porsche Boxster grise.
Intérieur cuir rouge.
J'ai posé un traqueur dessus.
Je sais où elle va.
Je l'attends…
Elle sait que je l'attends.
Je l'attends toujours.
Fidèle…
Je ne veux pas m'endormir parce que j'ai trop peur de rater son retour.
Alors, je patiente pendant ces longues heures anxieuses.
Et puis, tard dans la nuit…
Deux ou trois heures du matin.
J'entends la porte du garage qui se lève.
Le moteur de la petite voiture de sport.
Elle est de retour.
Moi, je suis comme un petit chien avec sa queue qui bat de tous les côtés.
Je suis heureux.
Fou de joie.
Elle est revenue.
Elle est là.
Elle passe la porte.
Il y deux états possibles lorsqu'elle me voit.
Soit elle est de bonne humeur, soit elle ne l'est pas.
Dans le deuxième cas, elle ne me parle pas ou me salue d'un amer:
— T'es vraiment un minable, tu sais…
Dans tous les cas, je dois me mettre à genoux.
Éclairé de l'ampoule du sous-sol, à genoux sur le carrelage froid, je la regarde du bas.
Elle est face à moi.
Au-dessus de moi…
Elle me domine.
Elle lève sa jupe et ôte sa culotte.
Elle me la lance au visage avant de grimper les marches:
— Ne t'avise pas de la garder, gros cochon… Je veux la revoir propre et rangée.
Dans l'autre cas, le meilleur…
Aline prend le temps de me parler sur un ton moqueur:
— Tu m'as attendu, mon petit chéri? Tu n'aurais pas dû… Mais, tu m'aimes, c'est ça? Dis-moi que tu m'aimes…
— Je t'aime… Je t'aime.
— Oui, tu m'aimes… Et tu ferais tout pour moi… Pas vrai? Allez viens, tu y as le droit, ce soir.
Doucement, elle retire sa culotte souillée et, cette fois-ci, me présente ce dont j'ai rêvé toute la semaine.
Elle me présente sa chatte pleine de foutre.
À genoux, les mains dans le dos parce que je n'ai pas le droit de la toucher, je la vois écarter les cuisses, écarter ses petites lèvres intimes afin que je puisse tout laper comme un bon toutou.
— Nettoie-moi...
Du sperme…
Le sperme d'autres hommes.
Elle en est remplie. Et, à ce moment précis, où je suis si proche d'elle…
Où je touche sa chatte de ma langue…
Je suis au paradis.
Aline me laisse toujours la culotte.
Parfois, elle me la met sur la tête.
Parfois, elle me prend en photo avec son portable.
Nu, à genoux, avec mon petit sexe qui bande à faire mal, c'est ça qu'elle veut montrer à ses copines.
Une fois qu'elle estime être assez propre, Aline remonte se coucher.
Je reste nu sur le carrelage pour me masturber dans sa culotte souillée, durcie par le sperme des habitués du Lutin des Bois.
Une femme pareille, pourquoi aurais-je envie de la tuer?