Plus tard, après le repas, allongés sur la plage, à la lueur d'une magnifique pleine lune, Jean et Marine savourent la nuit divine en buvant du rhum blanc à la bouteille.
Jean a ouvert sa chemise.
Il expose son torse poilu.
Marine y passe ses doigts délicatement.
― Quel festin! s'exclame Jean. Avec ce rhum, j'ai le sentiment d'être à la grande époque des pirates et des sauvages… La grande époque de la liberté… Quelle vie, putain! L'océan infini… La découverte de nouveaux continents… Quand je pense à tous ces minables chez nous, dans leurs cages à lapin, à bouffer des nuggets faits d'abats malsains… Du sucre dans tous les plats… Déjà obèses à la puberté… Putain, quel monde pourri! Ah, on en est loin de la vraie liberté... Où est passé ce monde, où tout était permis? Où on pouvait tout faire!
― Est-ce qu'on peut tout faire, justement? demande Marine. Est-ce qu'on en a le droit?
Jean se tourne vers elle.
― Moi, je vais te dire… Sur cette île… À manger de l'homme… Ces mecs ont tout compris! La vraie vie, c'est ici… Nous, chez nous… Nous ne créons que des sociétés de l'interdit. Au nom de la paix sociale, nos vrais désirs sont aplanis… Nous sommes asservis par un gavage organisé… Pas que la bouffe… On nous gave la tête de merdes… Jeux vidéos… Pornos… Voyeurisme de la presse People… Télé-réalité… Pas étonnant alors que nous ayons autant de suicides… Les jeunes ne s'y retrouvent pas… Ils sentent qu'ils vivent avec un collet au cou… Des chaînes aux pieds… Ils ne le savent pas… Mais… Ce qu'ils veulent vraiment… C'est de vivre à Calibanie.
― Manger… Ou être mangé?
― C'est la seule vérité! C'est celle que réclame la nature. Si l'homme est bien un prédateur pour l'homme… Alors qu'il le bouffe, aussi… Merde, putain! On mange bien du porc!
― Mais cet homme… Cet homme qu'on a mangé, ce soir… Il était encore vivant cet après-midi…
― Mais pas innocent! Personne ne peut l'être ici… Il avait vécu, en bouffant d'autres mecs… Il est consciemment entré dans le cercle humain puisque, à son tour, il a servi à alimenter d'autres gens… Ses atomes sont entrés en nous. Directement… Son âme est avec nous, ma chérie.
― Et sa famille? Sa femme… Ses enfants…
― Je ne pense pas que le mariage soit une institution sur cette île… Au contraire, je pense que tout est partagé… Personne ne sait qui est le père… Personne ne sait à qui est l'enfant… La bouffe, la baise… Tout est une communion. Tout est mis en commun!
Marine joue à la prude choquée.
― Quoi? Une partouze? Tous les dimanches? Plutôt qu'aller à la messe?
― C'est pas si con! Les femmes fertiles, offertes à tous… Une procession… Une baise infernale où elle ne peut pas dire non… Puis, si la femme tombe enceinte… Elle est protégée jusqu'à l'accouchement… La naissance a lieu en public… La petite fille, valorisée par la tribu… Le petit garçon, dégusté par les siens… Surtout s'il y a surnombre... Tout cela me semble parfaitement logique.
― La femme est donc plus importante que l'homme.
― Absolument, puisque c'est elle qui assure la reproduction… La femme est forcément au sommet.
Marine glisse sa main dans le bas du pantalon de Jean.
― Pourquoi est-ce que ça m'excite d'entendre tout ça? demande-t-elle. J'ai une envie folle de…
Marine hésite.
― Envie de quoi?
― De baiser… Ça n'arrête pas!
― Je pense que c'est lié… Le cannibalisme, c'est à la fois l'aphrodisiaque et la pilule… L'ultime forme de contrôle des naissances… Ils ont trouvé… Ou retrouvé, l'équilibre humain parfait… Celui qui vient de la nuit des temps… Tu vois, l'harmonie parfaite d'une société passe par le sacrifice humain… C'est une sagesse que nous avons complètement perdue. Historiquement, j'en vois bien la cause…
― Et c'est quoi, monsieur le professeur d'Oxford?
― L'agriculture! Qui marque la fin des premiers hommes… Le premier grand empire! Pharaon, assis sur son trône, à caresser son chat… En tant que chef d'entreprise, j'ai la même pensée que lui. Pour développer ma terre… Développer mon entreprise humaine… J'ai besoin d'hommes… J'ai besoin d'esclaves… Beaucoup d'esclaves… Des millions d'esclaves… Puis, quand j'en aurais un nombre suffisant, ils me bâtiront une pyramide… Une pyramide à ma gloire… Un truc de dingue qui ne servira à rien du tout mais qui affirmera pour des siècles et des siècles que je suis le maître absolu. Que je suis… Pharaon!
L'enthousiasme de Jean amuse Marine plus qu'il ne la convainc.
― Si t'es Pharaon… Je suis ton esclave… Neferkiki…
Marine se penche pour prendre le sexe de Jean en bouche.
Jean se laisse faire en regardant les étoiles au-dessus de lui.
― Moi? Maître absolu? Plus vraiment… Maintenant que j'ai vendu la boîte… J'ai peut-être fait une connerie... Le pharaon n'aurait pas vendu, lui… Il aurait fait bâtir une nouvelle pyramide… Ou un Sphinx… Ou un autre truc à la con… Je suis quoi, maintenant? Juste un voyeur… J'ai arrêté de jouer… Assis au sommet, je suis condamné à faire comme le vieux Hathaway… Regarder la mer… Regarder le monde se détruire… Combien sommes-nous maintenant? Combien d'esclaves? Huit milliards… Putain! Pas étonnant que la planète est en train de crever.
Marine l'écoute tout en s'appliquant à le sucer.
Jean avale un peu de rhum au goulot.
Il poursuit son soliloque:
― Tu me diras, on en viendra peut-être à ça, si ça tourne vraiment mal… Ou, en fait… Si ça tourne bien! Si les hommes ouvrent enfin les yeux… Qui sait? Nos filles goûteront peut être à la chair humaine… Sous plastique… Achetée au rayon viande du Géant Casino… Je suis content d'avoir que des filles, tu sais… Je vois bien que l'avenir est féminin.
Jean éloigne Marine de sa queue.
Il grimpe sur elle.
Il remonte sa belle robe.
Il trouve sa chatte épilée.
Il glisse deux doigts dans sa fente.
Il gratte, de ses phalanges courbées, l'intérieur de son vagin.
Marine réagit aussitôt de longs soupirs d'extase.
― Je voudrais que tu arrêtes de t'épiler, ajoute Jean. C'est une mode à la con… Encore un signe qu'ils veulent nous désexualiser… Des Barbie lisses de la tête aux pieds… Des mannequins en latex… Des jouets… Regarde la mode féminine… Toutes les jeunes femmes veulent ressembler à des actrices de porno… Des grosses lèvres… Des gros seins de putes… Les mecs veulent des muscles gonflés aux stéroïdes… Des bites de cheval… Des queues qui pendent jusqu'à mi-cuisse… Des tatouages merdeux… Ceux qui n'arrivent pas à ça, ils se laissent complètement aller… Ils bouffent tellement de merde qu'on dirait des baleines sur pieds… Des cachalots échoués avec la bouche ouverte qui réclame encore plus… Encore plus… De merde… Je veux de la merde…
Marine approuve mais le plaisir sexuel l'empêche de répondre.
Jean continue:
― Retrouvons la beauté de la nature… La femme naturelle… Belle… Belle comme les femmes de Calibanie… Belle comme toi, mon amour.
― Je t'en supplie, Jean… Arrête de parler et baise-moi… Baise-moi fort! Maintenant...
Jean ôte son pantalon.
Il pointe son sexe vers la vulve de sa femme.
Il la pénètre sauvagement.
Marine libère un puissant râle d'amour qui s'élève jusqu'à la voie lactée.
*
Le jour est levé.
Jean se promène seul sur la plage avec les pieds dans l'eau.
Il a clairement une gueule de bois après une soirée bien arrosée.
Ébouriffé, mal rasé, il titube un peu si bien qu'avec sa chemise ouverte on croirait un naufragé.
Après un moment, il aperçoit une silhouette distante, assise sur le tronc d'un cocotier couché.
Il approche doucement.
Il reconnaît la carrure épaisse d'Harry Hathaway.
Il le salue de loin.
Le vieil homme le voit approcher.
Il lève une main amicale.
Lorsque Jean est à portée de voix, il le salue, sur un ton un peu railleur:
― Bonjour, Jean… Bien dormi?
― Oui… C'est juste le réveil qu'est difficile.
Jean cligne des yeux, ébloui par les reflets de lumière sur l'eau.
― Alors, vous avez trouvé ça comment?
― Pardon?
― Votre premier dîner.
― Ah, ouais… Super… J'en ai repris deux fois… Je veux dire, j'ai fini les plats.
Jean se frotte le crâne.
Il réalise qu'il n'est pas trop présentable, à côté d'une légende de la finance.
Il tente de se coiffer en usant de ses doigts.
― Venez vous asseoir un moment, l'invite Harry.
Jean accepte volontiers.
― Vous n'auriez pas un peu d'eau?
Harry lui tend la gourde qu'il portait en bandoulière autour de son ventre épais.
Jean boit.
Il s'asperge un peu le visage.
― Merci… Ça fait du bien.
Harry reprend la gourde.
Tous deux regardent ensuite les vagues et l'horizon.
Après un moment silencieux, Harry demande:
― Qu'allez-vous faire, à présent?
― Aujourd'hui… Je vais y aller plus doucement… Une bonne sieste s'impose.
― Non, je parle après cette semaine bien méritée sur Calibanie… Qu'allez-vous faire maintenant que vous avez vendu?
― Ah, ça… Je ne sais pas encore.
― Combien, en net?
Jean sourit.
Il hésite un peu à répondre mais réalise qu'il parle à un homme plus riche que lui.
― Pas loin de huit milliards…
― Huit! Pas mal du tout, mon garçon… C'est comme si tous les habitants de la planète vous avaient donné un dollar… Qu'allez-vous en faire? Vous pouvez les planquer dans un coffre fort ou bien… Vous pourriez retourner la faveur. Redonner à chacun son dollar.
― Je ne suis pas altruiste. La charité aveugle ne m'intéresse pas… Et puis, je déteste les mendiants.
― Vous avez raison… Pas avec ces chiffres… Un dollar, c'est rien… Ce n'est même pas le prix d'un repas… Même pas un ticket de cinéma… Par contre… Huit dollars… Ce serait déjà mieux.
― Je ne comprends pas.
Harry dessine sur le sable du bout de sa canne.
D'abord un un, ensuite un huit et finalement un diviseur entre les deux.
― Un reçoit un… Ou un reçoit huit… Si nous sommes, huit fois moins...
Jean hoche la tête en faisant semblant de comprendre.
Harry voit bien qu'il ne saisit pas.
― Je vous explique, Jean… J'ai une fondation… La fondation Infinity… Elle reçoit déjà tous les dividendes de mes investissements… Lorsque je serai mort, elle recevra tout ce que j'ai accumulé… Toute ma fortune… Cette fondation a un but bien précis… L'étude et la mise en application de méthodes pour réduire la population mondiale.
― Vraiment?
― Je cherche toujours de nouveaux alliés… J'en ai déjà quelques-uns… Bill, par exemple… Il m'a promis sa fortune immense… Bon, sa méthode est différente… Il préfère développer des vaccins… Moi, j'ai une autre approche… Une approche plus capitaliste. Une façon qui devrait certainement vous plaire.
― Quelle est elle?
Harry se tourne vers Jean.
Il le fixe avant de répondre:
― Le sucre!
― Le sucre?
― Le sucre… Je suis très investi dans le sucre… Je suis le plus gros joueur sur le marché mondial… Vous ne le savez pas, mais… Mes ancêtres avaient une grosse plantation à Cuba… Des esclaves… De la canne à sucre… L'origine de la fortune familiale dont personne aime trop parler… Et… Même si quelques ancêtres, peu sérieux, ont fini par gâcher ces premiers succès… Je sais très bien d'où je viens… Je ne me cache pas… J'accepte mes origines… Je crois que vous et moi, Jean… Nous comprenons des choses que d'autres refusent de voir… Nous comprenons tout ceci.
Harry écarte les bras pour présenter le paysage naturel devant lui.
― Tout ceci, poursuit Hathaway, est plus important que la production de jouets pour occuper nos enfants turbulents… Ceci est le vrai trésor! Et non pas, le coffre rempli d'or que nous évoquions… C'est pour cela que nous devons nous unir… Vous… Moi… Les hommes puissants… Les hommes intelligents… Unir nos fortunes pour redonner à la nature sa chance.
― Comment?
― En mettant du sucre partout… Gaver l'humanité inutile de sucre raffiné… Surtout les faibles d'esprit.
― Les pauvres.
― Absolument! Tuer par le cancer, en le nourrissant… Et en gagnant du fric, en même temps… Le sucre est fabuleux parce que le sucre est le pire des poisons... Pire que tous qu'on puisse imaginer… Si vous êtes intéressé par le sujet, je vous invite à venir voir mon institut de recherches à Saint-Domingue... Nos études sont très avancées.
Jean affiche une moue dubitative.
Harry embraye aussitôt:
― Je vois bien… Vous êtes en repos… Ce n'est pas le bon moment… Mais, imaginez, Jean, consacrer le restant de vos jours à sauver la planète… Sans changer un iota à votre style de vie… Devenir un bienfaiteur de l'humanité… Votre nom immortalisé pour toujours… Jean Lassay, sauveur du monde… Un immortel, pour de vrai!
Jean sourit devant l'emphase du vieillard.
― Je ne sais pas, répond Jean, sur un ton hésitant. Je vais y réfléchir.
― Absolument… Maintenant que vous êtes libre… Vous avez tout votre temps.
Malgré son poids et son âge, le vieil homme se lève plutôt aisément avant de dire:
― Bon… Je vais aller me préparer pour les activités de la journée… Quel temps divin… J'adore venir ici.
― Vous venez souvent?
― Tous les ans… Au moins une fois… Les seules vacances que je prends.
― Vous savez à qui appartient tout ça?
― Oui, bien entendu…
Harry marque une pause.
― Qui? insiste Jean.
― À personne.
Content de sa réponse, le vieillard s'éloigne d'un pas alerte.