— Je ne savais pas que tu étais dans une chorale, ironise Joëlle, pendant la pause cigarette du lundi.
— Je suis désolée… J'ai honte.
— Non, surtout pas… Tu n'as pas idée ce que de t'entendre nous a stimulés. Dès que je savais que tu y étais, j'étais encore plus excitée. Je devais décharger des tonnes de phéromones parce que du coup, Thierry était très câlin… On n'a pas arrêté. Je peux te dire qu'on a adoré… D'ailleurs, j'ai une théorie là-dessus… Pourquoi la femme est prompte à vocaliser. Ce n'est pas pour le partenaire. Non, il est déjà assez stimulé… C'est pour les femmes des environs. Pour les aider, à y aller… Une sorte de jouissance collective tribale. C'est très sain, tu sais… Et je dois dire que tu as du talent. Quatre fois, si j'ai bien compté.
— Cinq… La première c'était un peu rapide.
— Je sais… C'est pour vider la première cuvée.
— C'est fou. J'étais tellement…
— En manque, surtout… Je l'avais deviné. Je suis contente d'avoir vu juste. J'ai pris un risque en t'invitant chez moi, mais je suis heureuse que cela ait bien fonctionné… Maintenant, que tu y as goûté… Tu vas voir, c'est fort… Peut-être plus fort que tu n'imagines.
— Comment est-ce que ça t'est arrivée la première fois?
— Il y a un moment déjà… Par hasard, je pense… J'étais invitée dans la famille. Une semaine de vacances sur la côte dans une super maison. Mes cousins avaient leurs enfants. Un ami de leur âge passait souvent… Il venait se baigner. Jouer au ping-pong. Je ne sais pas… Il était tellement beau… Plus âgé que Thierry, il avait dix-sept ans… Quand j'étais dehors sur la terrasse, j'avais du mal à ne pas le regarder… Ils ont un radar, pour ça. Ils savent nous repérer… Je faisais une sieste tous les jours après le déjeuner. Un jour, je suis allongée dans ma chambre juste en petite culotte parce qu'il faisait affreusement chaud. Il entre sans même frapper… Il se jette sur moi. Tu vois, ils ne sont pas encore comme des adultes. Ils ne font pas de calculs à court ou à long terme... Tout ce qu'ils veulent, c'est te baiser… Les sentiments sont très secondaires. Ils ont des pulsions terribles. D'une force incroyable... Si tu les laisses entrer… Ils ne vont pas arrêter. Marc venait tous les jours me baiser comme jamais. J'étais changée à tout jamais. Je ne veux plus d'hommes… Je n'aime que les adolescents. Je veux cette fougue et cette énergie… Même si, je ne construis rien de solide.
Clara écrase sa cigarette sous son pied.
— Je n'arrête pas de penser à lui, confirme Clara. J'ai envoyé un petit message, encore hier.
— Ne t'inquiète pas s'il ne répond pas, l'informe Joëlle. Ce n'est pas le même genre de relation. Il ne s'intéresse pas à tes sentiments… Il ne voit que tes seins, ta chatte et ton cul. Et, comme on dit… Loin des yeux, loin de la queue… Trouvez plutôt un moyen de vous rencontrer régulièrement. Invite le chez toi, à passer après l'école…
— Je ne peux pas. J'ai les enfants… Et puis, j'habite loin de chez lui.
— Je peux refaire un plan chez moi… Si t'arrives à t'organiser.
— Quand est-ce que tu revois Thierry?
— Il passe tous les deux-trois jours, après l'école. Pendant les vacances scolaires, tous les jours en fin de journée…
— Tous les jours?!
— Je lui laisse une clé. La règle c'est qu'il peut venir me baiser quand il veut autant qu'il veut. Ils sont comme ça, tu sais… Ils ont des pulsions terribles. Un appétit féroce.
— Tu… Tous les jours? répète Clara, en songe.
— C'est pas toujours très longtemps… Parfois, juste un quart d'heure. Il veut juste une petite cochonnerie.
— Comme quoi?
— Je ne vais pas te le dire… Mais, ce sont des petits vicieux. Je sais que ça fait femme soumise mais, que veux-tu… J'aime ça. Il est comme une drogue pour moi. Allez, on devrait retourner au boulot… De t'en parler, ça m'excite et après j'arrive pas à bosser.
Derrière son ordinateur de travail, Clara pense à Joëlle.
Dire que tous les collègues pensent qu'elle est une vieille fille.
S'ils savaient…
Elle est facilement la mieux baisée de toute la boîte.
Jusqu'au jour de son procès…
Clara ne sait pas si c'est une bonne idée pour sa réputation.
Elle a fait une recherche sur internet.
Elle a regardé la loi…
En effet, si tous sont consentants, la loi permet des rapports sexuels à partir de quinze ans.
Mais, l'idée c'est que les ados interagissent entre eux…
Ce n'est pas trop pensé pour les adultes, en position de contraindre ou de surprendre.
Les parents pourraient tout de même porter plainte.
Elle pourrait se retrouver devant un juge à devoir s'expliquer.
Peut-être que ce serait mieux d'en rester là…
L'aventure d'une nuit.
Et puis, peut-être que Richard a une petite amie qu'il aime.
Il n'a couché avec elle que par complicité avec son ami, Thierry.
Elle ne sait pas…
De toute façon, après le selfie un peu coquin et trois messages brefs de relance, elle n'a toujours pas de réponse de Richard.
Elle espère juste que sa mère ne soit pas tombée dessus.
Elle imagine cent scénarios de conflit dans sa tête.
Tout ce qu'elle sait c'est qu'elle n'arrive pas à penser à autre chose.
À chaque message qui arrive sur son portable, elle bondit dessus.
Vendredi soir, Clara est un peu triste, presque le cafard.
Elle cherche à se faire une raison.
Richard est un gamin.
Comme dit si bien Joëlle, les garçons n'ont pas de sentiments.
La tendresse n'est pas ce qu'ils recherchent.
Clara aimerait tout de même un peu plus.
Elle rêve de moments en couple.
Dans un restaurant…
Une promenade sur la plage.
Elle doit se convaincre que l'aventure chez Joëlle n'était qu'une expérience folle, sans suite et sans conséquence.
Par contre, Yves a laissé un message en fin d'après-midi.
Ce coup-ci, il va prendre les enfants pour de bon.
Il veut aussi lui parler quand il passera les chercher.
Rien pour la réjouir…
Clara regroupe ses affaires.
Elle prend sa veste de costume.
Son sac à main.
Son manteau.
Elle traverse la grande salle avec ses dizaines de postes de travail individuels.
Joëlle est déjà partie.
Elle l'imagine avec Thierry.
C'est quoi les cochonneries qu'ils font à deux?
Elle imagine le pire.
Des petits vicieux, à cet âge…
Et pourtant, l'idée la fait frissonner.
Elle ferait bien des choses, elle aussi.
Lorsque Clara sort de l'ascenseur, elle se dépêche vers sa place de parking.
Elle le voit…
Il est debout devant sa voiture.
Il fume une cigarette.
Clara pense s'évanouir.
Quel toupet!
Lorsque Richard la voit approcher, il sourit.
Il passe une main dans ses cheveux.
Clara fond de bonheur.
— Bonsoir.
Sidérée, Clara reste plantée devant lui.
— Qu'est-ce que tu fais là?
— J'avais envie de toi.
Quel aplomb.
Si jeune…
Un comportement pareil.
Clara regarde de tous les côtés.
Pas de collègues en vue.
Pas question de s'éterniser, non plus…
— Monte.
Clara déclenche l'ouverture des portières.
Richard écrase son mégot.
Il se déplace vers la portière passager.
Clara s'installe derrière le volant.
Il a plu toute la journée.
Les vitres de la Clio sont couvertes d'humidité.
Une fois les portières fermées, Clara se tourne vers Richard.
Elle avance son visage.
Il répond d'un baiser endiablé.
La bouche de Clara s'enflamme.
Le sang monte à ses joues.
Elle est folle de se laisser manipuler.
Elle ne peut pas résister.
Elle adore sa langue profonde qui lui caresse les joues.
Richard a une main sur son sein droit.
Elle est tellement excitée qu'elle pourrait faire l'amour sur le parking.
Embrasser Richard, c'est vivre pleinement…
Pourquoi se priver?
Les enfants…
La pensée provoque un blocage mental.
Clara s'éloigne de l'étreinte.
Richard lui sourit tendrement.
Elle tourne la clé dans le démarreur.
Elle enclenche les essuie-glaces et le dégivrage de la vitre avant.
— Tu ne m'as pas répondu… Je t'ai envoyé des messages.
— Oui, désolé.
Richard ne donne pas d'explication.
Il est très réservé.
Clara adore ce côté mystérieux et nonchalant.
Elle adore la confiance qu'il a en lui-même.
D'être avec une femme adulte, ne le trouble en rien.
Clara fait une marche arrière.
Après deux minutes, elle est sur la route qui mène à l'école.
— Je dois aller chercher mes enfants, explique Clara.
— C'est un problème?
Clara réfléchit. Oui, c'est un énorme problème…
a) Ses enfants ne le connaissent pas.
b) Elle a dit à sa fille que son amant s'appelait Richard.
c) Elle a son mari qui va passer chez elle dans pas longtemps.
— Non, ce n'est pas un problème, répond Clara, sereinement.
Elle s'entend parler tout en pensant qu'elle est une malade mentale.
Folle à lier...
Richard croise une jambe.
Clara voit ses tennis blanches.
Il regarde la circulation de fin de journée.
— C'est Thierry qui t'a dit où je bossais?
— Recherche Google… J'aime bien ta photo sur le site. Un peu autoritaire… C'est intéressant ce que tu fais?
— C'est ce que j'ai trouvé…
— C'est quoi Credifix?
— On gère les crédits des particuliers pour les banques. Peu de gens le savent mais les banques qui t'offrent un crédit s'en débarrassent assez vite en le revendant à d'autres. Ils ne veulent pas attendre trente ans que tu les rembourses. La gestion est lourde, surtout en personnel. Les retards… Les impayés. Le contentieux. Des piles de dossiers à suivre. Autant refiler ça à des spécialistes. Nous traitons des crédits d'une trentaine de banques et de boîtes spécialisées.
— C'est intéressant…
— C'est un peu toujours la même chose… Qu'est-ce que font tes parents?
— Mon père est dentiste. Il a un cabinet rue de Bayeux.
— Et ta maman?
Clara ne sait pas pourquoi elle a dit le mot maman.
Cela fait puéril.
Il faut qu'elle réfléchisse avant d'ouvrir la bouche.
— Ma maman est prof de tennis au T.C.C.
Le petit sourire de Richard est ironique.
Clara est de plus en plus nerveuse.
Elle se concentre pour ne pas heurter un autre véhicule.
— Ils ont quels âges tes enfants? demande Richard, après un moment.
— Onze et treize… Un garçon et une fille… Nicolas et Béatrice… On approche de Pasteur. C'est juste du ramassage mais il faut être rapide… Ils vont s'asseoir à l'arrière.
— Je connais, dit Richard. J'ai une sœur.
Clara arrive dans la file de ramassage à l'approche de l'école.
Toujours un moment de nervosité.
Beaucoup de voitures…
Beaucoup de parents énervés.
Elle reste concentrée, imaginant le pire qui puisse arriver.
— Les voilà, dit Clara, en les pointant du doigt.
Elle s'arrête à un mètre d'eux.
Richard est rapide comme l'éclair.
Il ouvre sa portière.
Il sort du véhicule.
Il actionne la commande qui relève son dossier afin que les enfants se faufilent sur les places arrière.
Clara pense aux cartables.
Ils vont être obligés de les garder sur leurs genoux.
Ils vont râler…
— Bonjour, Nicolas… Bonjour, Béatrice, chantonne Richard. Allez, montez vite sinon votre maman va exploser.
— Vous êtes qui? demande Béatrice.
— Entre, ma chérie, dit Clara, en se penchant pour être vue. On ne peut pas rester…
Nicolas s'installe le premier.
— Je prends ton cartable, déclare Richard. Je vais le mettre dans le coffre.
Décidément, Richard est plein d'initiative.
Clara actionne la commande de la malle arrière.
Richard s'empare aussi de celui de Béatrice.
Il jette les cartables dans le coffre qu'il referme d'un coup sec.
Il est déjà de retour.
Il ferme sa portière.
Les enfants bouclent leurs ceintures.
Clara accélère.
Un véritable arrêt à un stand de Formule Un…
Clara n'a jamais été aussi rapide.
Dès qu'ils sont sortis du mini-embouteillage, elle dit:
— Les enfants, je vous présente mon ami Richard.
— Bonjour Richard, dit Nicolas, aussitôt.
— Salut, dit Béatrice, à mi-mots.
Elle est visiblement troublée.
Béatrice a l'âge.
Les garçons comme Richard sont intéressants.
Beau comme il est, il est même craquant pour une adolescente de treize ans.
— Tout va bien? demande Clara. Vous avez passé une bonne journée?
Clara tente un ton de voix enjoué comme si de rien était.
À l'intérieur de sa tête, c'est la tempête.
Elle se dit qu'elle est folle.
Elle transpire à grosses gouttes.
C'est l'automne, mais elle a envie d'enclencher la climatisation.
— Eh, m'man… J'ai envie… On peut s'arrêter? implore Nicolas.
— Tu ne pouvais pas y aller avant?
— On t'a attendu assez longtemps, commente Béatrice, sur un ton mordant.
— J'ai ce qu'il faut, ajoute Richard.
Il sort de la poche avant de son blue-jean son téléphone portable. Il cherche parmi les applis. Au feu rouge, Clara voit du coin de l'œil un jeu vidéo. Il le passe à Nicolas.
— Génial! s'enchante le garçon.
Nicolas prend l'appareil.
Il commence immédiatement à jouer.
— Il ne va plus y penser, la rassure Richard.
Clara lui sourit, pleine de reconnaissance.
Elle jette un coup d'œil dans le rétroviseur.
Elle n'arrive pas à voir le visage de Béatrice.
Que peut-elle imaginer?
Au démarrage, c'est Richard qui se tourne vers elle.
— Tu aimes lire, Béatrice?
— Ça dépend…
— Tu connais la série de Hermine de Husson?
— Oui! J'adore…
— Tu lis ça, toi? s'étonne Clara, à brûle-pourpoint.
— Tout le monde les lit.
— C'est pas réservé pour les grands?
Clara a vu les piles de livres chez son libraire.
Des couvertures pseudo-romantiques avec des jeunes filles joyeuses dans des grandes robes d'un siècle passé.
Les scènes de saphisme et de sexe sont, paraît-il, très détaillées.
— Ce sont des histoires romantiques… Évidemment, toi… Tu pourrais pas comprendre.
Le ton de Béatrice est clairement agressif.
— Le dernier est spécialement coquin, commente Richard. Je dis ça parce que ma sœur a le même âge que toi.
— Elle va à Pasteur?
— Non, à Saint-Jo, comme moi.
Clara serre ses mâchoires.
Quelle folie furieuse que cette conversation.
— On y était y'a deux ans… Mon père dit que Saint-Joseph est meilleur que Pasteur.
La réplique est une pique dirigée contre Clara.
C'est elle qui les a fait changer d'établissement après la rupture.
Elle n'a jamais aimé les écoles de curés…
Peut-être parce qu'ils formaient des esprits comme son mari…
Pourtant, Richard y est inscrit.
C'est à la rendre dingue.
— Ce qui compte, Béatrice, poursuit l'adolescent. C'est pas le nom… C'est la qualité des profs.
— Je vais peut-être changer encore, à la fin de l'année…
— Alors, on se verra à la récré.
— T'es dans quelle classe?
— En seconde.
Clara n'en peut plus de les écouter.
Elle a envie d'accélérer pour foncer dans la circulation qui vient d'en face.
Heureusement, la conversation se calme après ça.
Ils arrivent au pied de l'immeuble en une seule pièce.
Ils descendent.
Clara souffle un peu.
Béatrice n'a pas encore demandé ce que vient faire Richard chez eux.
Elle sent que ça ne va pas tarder…
Ils se serrent tous les quatre dans l'ascenseur.
Pendant la montée, Richard frotte discrètement les fesses de Clara.
Elle est rouge comme une pivoine.
Les enfants ne remarquent rien.
Une fois à l'intérieur, c'est la routine d'après école.
Les enfants jettent leurs cartables dans l'entrée.
Nicolas fonce faire pipi.
Béatrice va se réfugier dans sa chambre.
— Leur père va venir les prendre dans…
Clara regarde sa montre.
— Dans une demi-heure, précise-t-elle. Je dois préparer leurs affaires avant qu'il arrive.
— Je sens que je suis de trop, pour le moment, répond Richard en souriant. Je vais aller faire un tour.
Clara est reconnaissante de sa compréhension.
Elle a envie de lui sauter au cou mais a peur que l'un ou l'autre de ses enfants ne reviennent.
— Tu m'envoies un texto quand la voie est libre?
Clara regarde les pièces mitoyennes.
Personne…
Tant pis.
Elle passe vite ses bras autour du cou de Richard.
Elle colle ses lèvres aux siennes.
Elle veut sa bouche.
Elle veut sa langue.
Juste un tour ou deux…
Elle arrête.
— Je mouille comme t'as pas idée. Tu reviens, hein?
Richard prend sa main droite.
Il la pose sur son entrejambe.
Clara sent à travers l'étoffe du jean serré qu'il bande.
— Je suis là, pour ça…
Il tourne des talons.
Il quitte l'appartement.
Clara soupire.
Elle se dirige vers la cuisine.
Clara n'habite pas un quartier du centre.
Pas de petits commerces.
Pas d'activités.
Elle se demande bien ce que Richard va faire en attendant.
— Maman, je trouve pas mon sac, hurle Béatrice de l'autre côté de l'appartement.