Terminant son tour du bâtiment, Clotilde ramène Florentine vers la salle commune.
En chemin, elle ôte ses gants qu'elle glisse sous son ceinturon, invitant Florentine à l'imiter.
Elles entrent par la porte de côté.
Les dix-neuf autres filles d'écurie sont déjà présentes.
Chacune est devant sa place à la longue table.
Elles sont visiblement très impatientes de manger, ainsi que de voir Florentine pour la première fois.
Lorsque la cravache apparaît, toutes se lèvent.
Florentine découvre ses futures camarades.
Elle est surprise de les voir si jeunes.
Les filles ont entre quatorze et dix-sept ans.
Clotilde est de loin la plus âgée.
Elles sont toutes habillées comme Florentine.
Leurs têtes sont découvertes pour le repas.
Leurs cheveux foncés, qui tombent dans leurs cous, sont tenus en arrière par un bandeau plat de tissu marron.
Florentine n'a jamais vu pareille collection de jolies jeunes filles.
— Mesdemoiselles, je vous présente Florentine. La nouvelle…
— Bonjour Florentine..., répondent-elles, à l'unisson.
— Je ne vais pas réciter la liste de vos prénoms... Florentine les apprendra au fur et à mesure qu'elle goûtera à vos culs et à vos cons.
L'assemblée rigole de bon cœur.
— Voici ta place, Florentine... En bout de table, parce que c'est ton numéro…
Clotilde décoiffe Florentine.
Elle dépose leurs deux tricornes sur la pile de chapeaux dans le coin.
Florentine se place, debout, devant le banc de bois.
Elle voit les victuailles étalées devant elle.
Des grands plats argentés recouverts de belles tranches de viandes, fumées ou rosées, de différentes teintes…
Les filles n'ont pas d'assiette.
Juste une timbale grise en étain...
Des gros brocs de terre cuite sont espacés au milieu de la table.
Clotilde prend le temps de trouver sa place en tête d'assemblée.
Elle a droit à un fauteuil.
Elle reste debout pour le moment.
Les demoiselles prennent alors les mains de leurs voisines.
Florentine doit tendre le bras gauche vers la demoiselle qui lui fait face.
Clotilde se met à chanter la mélodie paillarde d'une voix forte et harmonieuse...
— Fille d'écurie… Montre-moi ton con, montre-moi ton cul... Fille d'écurie… Tu pleures et tu ris, quand je te pisse dessus.
— Foutre..! répondent-elles, en chœur.
Clotilde frappe le dessus de la table du manche de sa cravache.
Les filles d'écurie s'assoient à l'unisson.
Le repas peut commencer.
Florentine est aussitôt choquée par leurs manières de table.
Toutes ces filles font jaillir leurs dagues de leurs fourreaux.
Elles s'en servent pour attraper, des plats à portée, des morceaux de viande qu'elles mangent avidement de leurs mains.
Elles ont très faim.
Pas une seule parole n'est échangée.
Florentine n'entend que leurs soupirs de plaisir et leurs déglutitions.
Elle n'ose pas bouger.
Heureusement, sa voisine de droite, qui a clairement bon cœur, remplit sa timbale d'eau de source et lui présente un morceau de gibier à la pointe de son couteau.
Florentine le prend du bout des doigts.
— Merci, dit-elle, avant de mordre la tranche de viande, ferme sous la dent.
— Faut pas hésiter à se servir vite... Parce que sinon les autres ne vont rien te laisser... Mais, c'est normal parce que tu viens d'arriver... Je m'appelle Angeline…
— Fla… Florentine...
— Je sais qui tu es… Clotilde vient de te présenter..., rigole Angeline. Mais, on avait entendu parler de toi depuis un moment... Tu viens de l'autre côté du mur... Il faudra que tu me racontes tout ça... Mais, pas maintenant... Allez, bois et mange… Tu as besoin de force pour travailler dans les écuries.
Florentine avale la viande par petites bouchées.
Elle boit de l'eau pour les faire passer.
Angeline, prévenante, lui offre un second morceau.
Les viandes sont vite avalées par toutes ces affamées.
Une fois les plateaux nettoyés, les filles bavardent entre elles.
Angeline se tourne vers Florentine.
— Tu veux être ma petite amie..?
— Euh… Oui..., répond Florentine.
— Je vais m'occuper de toi... Tu n'as rien à craindre avec moi.
Angeline pose sa main gauche sur celle de Florentine qui n'est pas mécontente de recevoir un peu d'attention.
Florentine la dévisage.
Elle doit avoir le même âge qu'elle.
Légèrement plus petite...
Des cheveux bruns encadrent un visage très plaisant.
Le bandeau révèle ses oreilles discrètes.
Ses yeux projettent une gentillesse réelle.
Son sourire est délicieux.
Quelques filles essuient leurs dagues sur leurs manches avant de les ranger.
Elles se lèvent en rotant.
Elles quittent la salle commune par deux.
Elles reprennent leurs tricornes dans la pile.
Très vite, il ne reste plus qu'Angeline et Florentine.
La table est couverte de déchets.
— C'est le seul repas de la journée..? demande Florentine.
— Oui… Alors, il faut en profiter...
— C'est toujours de la viande froide..?
— Pratiquement…
— Il n'y a jamais de pain..? De légumes..?
— Non, c'est que pour le château... Parfois, ils nous jettent un quignon... Viens, c'est pas la peine de rester ici...
— On ne range pas..?
— Après nous, ce sont les rats… Après les rats, les souris… Ils piquent les restes, s'il y en a... La fille désignée balaiera demain matin... Mais, ce n'est pas encore ton tour... Viens, je vais t'expliquer les règles des écuries. Ce n'est pas très compliqué… Mais d'abord, je veux te présenter mon amoureux...
Angeline prend Florentine par la main.
Elle la tire vers la sortie.
Elles attrapent leurs tricornes au passage.
L'écurie semble déserte.
Les autres filles ont disparu.
Angeline mène Florentine le long du couloir de l'écurie.
Elle ouvre la porte d'un box.
À l'intérieur, un magnifique étalon alezan...
Florentine hésite à entrer.
L'animal est tellement imposant.
Puissant...
Menaçant, presque…
— Je te présente Cobalt.
Angeline ôte son tricorne.
Elle se place devant le nez du cheval.
— Regarde, comme il m'aime…
Angeline présente ses lèvres tendues en simulant un baiser.
Le cheval approche pour embrasser la jeune fille sur les lèvres.
Angeline lui prend la tête entre les mains.
Elle tire sa langue loin.
L'animal vient la lécher délicatement.
Angeline rigole.
— N'aie pas peur, Florentine… Viens le caresser... Cobalt, je te présente Florentine, c'est la nouvelle dont je t'ai parlé... Elle n'est pas orpheline mais petite étoile, tout de même… Elle a même porté le ruban... Elle vient du monde...
L'immense étalon se tourne vers Florentine, encore terrifiée.
Il penche la tête en avant comme s'il la saluait.
Angeline se place derrière Florentine.
Elle la pousse gentiment en avant.
Le cheval renifle fortement.
Son museau descend un peu plus bas.
Il effleure l'entrejambe de l'adolescente.
— Il veut sentir ton con… C'est comme ça qu'il t'identifie... À l'odeur... Maintenant, il te connaît... Viens, nous n'avons pas beaucoup de temps.
Angeline pousse Florentine plus loin dans la stalle.
Elle ferme le battant derrière elle.
Elle entraîne sa nouvelle amie vers le coin où la paille est plus épaisse.
— Viens, t'allonger… C'est l'heure de la sieste...
— Mais, le cheval… Il va nous marcher dessus.
— Tu rigoles..! Il nous aime trop… Il adore qu'on dorme avec lui. Viens…
Angeline s'allonge.
Elle tend la main pour inviter Florentine à s'installer près d'elle.
L'adolescente est à peine couchée dans la paille qu'Angeline se penche au-dessus d'elle.
Elle pose un baiser sur ses lèvres.
— Ferme les yeux, Florentine… C'est repos maintenant...
Angeline se positionne contre elle pour dormir.
Elle utilise son tricorne pour couvrir le haut de sa tête.
Florentine contemple l'immense animal qui semble la fixer.
Elle n'ose pas fermer un œil.
L'étalon secoue sa tête.
Il hennit gentiment, comme pour lui dire...
— Dors, ma petite chérie. Je te surveille…
Après quelques minutes, Florentine s'endort d'un sommeil profond.
Angeline la secoue.
— Faut se lever, maintenant… Le travail n'attend pas.
Florentine ouvre un œil.
Elle est surprise de voir sa camarade baisser son haut-de-chausses.
Elle s’accroupit à deux pas du cheval.
Elle pisse sur la paille, sans se gêner.
Le jet est dru et sonore.
— Vas-y… T'as sûrement envie... Ne te gêne pas pour Cobalt, il adore les filles qui pissent...
Florentine hésite.
— Allons, pas de pudeur, la nouvelle… On voit bien que t'es pas une orpheline...
Florentine se déplace vers le coin opposé tandis qu'Angeline remonte son habit et ajuste sa ceinture.
Florentine se dépêche d'uriner le plus discrètement possible.
Elle le fait si vite qu'elle est encore toute mouillée lorsqu'elle remonte sa culotte.
Pendant ce temps, Angeline caresse le cheval.
— Je reviens tout à l'heure, mon amour… Je dois d'abord mettre Florentine au travail... Après, je te ferai faire tes exercices.
Angeline tire sa camarade par la main.
Elles quittent le box.
Les autres filles d'écurie sont de retour.
Elles s'activent.
Certaines tirent des montures par leurs harnais.
— Notre travail, c'est de nous occuper de tous les chevaux... Pour apprendre, tu vas d'abord rester côté cour... C'est ici… Au maximum, il y a vingt-et-un chevaux dans chaque écurie… Ils ont tous des noms d'éléments... J'espère que tu connais bien ta table périodique... Sinon, il faudra l'apprendre par cœur... Chaque box a un numéro amovible sur la porte... Tu vois... C'est facile... Cobalt c'est le vingt-sept...
Florentine n'est pas très sûre de saisir le principe.
— Tu comprendras vite... Filles d'écurie, nous nous occupons de tous les chevaux du château... Les dianes ne touchent à rien... Ni Clotilde, d'ailleurs... Alors, on se répartit la tâche, selon un ordre défini... Par exemple, moi, j'ai Cobalt et Fluor... Trois fois neuf... Vingt-sept... Vingt et sept... Toi, tu es vingt et un, ce qui donne vingt-huit... Comme c'est un doublé, alors ça te donne Hélium et Silicium... Mais, ils ne sont pas compatibles... Alors, tu auras Nickel et...
— Et quoi..?
— Tu verras...
Florentine n'y comprend rien.
Angeline écarte son interrogation d'un geste de la main.
— Peu importe le système... L'important c'est que tu sois là... La fille qu'avait ton numéro est partie depuis longtemps... Alors, maintenant, le compte est bon... Nous sommes au complet...
— Elle est partie où..?
— Soline..? Je n'en ai aucune idée… Je ne l'ai jamais revue... Même pas à la ferme... Les filles vont et viennent, tu sais... On ne sait jamais tout... On ne sait que ce qu'on doit faire...
— Ça fait longtemps que tu es fille d'écurie..?
— Non... Depuis l'anniversaire… Mais, comme toutes les orphelines, je monte à cheval depuis toujours...
— Je ne sais pas monter.
— Je sais… Tu ne sais rien faire..., déclare Angeline, en rigolant. On va t'apprendre… C'est pas sorcier parce que les entiers comme Cobalt nous adorent. Ce n'est pas toujours le cas des juments qui sont jalouses... Tu verras… Elles mordent, parfois...
— Les entiers..?
— Ce sont les mâles non castrés... Il n'y a pas de hongres aux Ormes Rouges... Seuls sept sont des purs étalons, capables d'une saillie... Mais, pas Cobalt… Tu comprends..?
— Un peu…
— Dans l'autre écurie, tu n'as que des juments... Là-bas, c'est le plus... Le jardin... Ici, c'est le moins... La cour... Ah oui, il y a aussi la poulinière mais ça c'est du côté de la ferme… On ne s'en occupe pas...
Angeline et Florentine remontent le couloir entre les boxes lorsqu'une diane noire apparaît.
Angeline se décoiffe aussitôt.
Elle place son tricorne sur son torse et penche légèrement la tête.
Florentine la voit faire.
Après un temps de réaction, elle l'imite et salue celle qui s'approche.
— Florentine…, dit l'inconnue.
La jeune femme de vingt ans porte des bottes de cavalier noires.
Un pantalon de cheval blanc...
Une veste d'équitation noire sur une chemise blanche à jabot...
Ses cheveux noirs sont tenus par un grand nœud de velours rouge.
Elle a des yeux gris, très froids…
Elle est d'une beauté bouleversante.
— Oui, mademoiselle..., répond Florentine timidement, en levant le nez.
— Je voulais voir ta petite bouille… Angeline, si tu bougeais ton cul ailleurs, le temps que je parle à notre petite chérie...
— Oui, mademoiselle.
Angeline s'éloigne après s'être recoiffée de son tricorne.
La diane noire inspecte l'adolescente.
Elle a une cravache à la main.
— T'as quel âge..?
— Quinze ans.
La cravache siffle contre le haut des cuisses de Florentine qui réagit de douleur.
— Mademoiselle..! Tu réponds avec mademoiselle...
— Quinze ans, mademoiselle...
— Bien… Je m'appelle Pauline... Je suis responsable du bon fonctionnement des écuries... Je m'assure que le travail est fait correctement… Donc, écoute-bien ce que te disent Angeline et Clotilde... Je veux que tu saches que tu n'as aucun privilège... Tu seras traitée comme les autres… Et, je te préviens que si je ne suis pas contente, tu vas le sentir... Si tu as une plainte à faire, tu dois l'adresser à Clotilde, la cravache des filles d'écurie... Elle m'en parlera ensuite… Compris..?
— Oui, mademoiselle.
— Tu peux remettre ton tricorne. Tu le retires juste pour saluer...
— Oui, mademoiselle.
Florentine le remet sur le haut de sa tête.
Pauline l'aide à l'ajuster.
— Ne te laisse pas impressionner par les autres filles d'écurie... Elles pensent être plus rustres que toutes les autres... Ouvre ta bouche…
— Pardon..?
La cravache cingle l'avant-bras de Florentine qui laisse échapper un cri.
— Quand je te parle, tu obéis..., gronde Pauline. Ouvre ta bouche…
— Oui, mademoiselle.
Terrifiée par le ton autoritaire de Pauline, l'adolescente ouvre une bouche tremblante.
— Plus grand…
Florentine obéit.
De sa main droite gantée de cuir, Pauline presse sur ses joues.
Elle inspecte les dents.
— Tes canines sont encore petites… Mais, il est vrai que tu as un joli minois de catin...
Elle relâche le visage.
— Va retrouver Angeline… N'oublie jamais que je te surveille... Tout le temps…
— Oui, mademoiselle.
Pauline tourne des talons de façon quasi militaire.
Elle quitte l'écurie.
Florentine porte la main à sa mâchoire.
Elle sent encore la prise ferme de la diane noire.
Elle reste figée un court instant.
La terreur que lui inspire ce endroit ne la quitte pas.
Elle essuie une larme d'émotion avant de partir retrouver Angeline.