Pieds nus, Flavie descend le grand escalier.
Elle cherche à s'orienter.
Après la grande salle à manger, elle trouve le chemin de la cuisine.
Derrière la table haute, Jacqueline est perchée sur un tabouret élevé.
Elle boit du vin blanc avec distinction.
— Tu n'as pas froid aux pieds..?
— Non...
— Viens manger, un peu... Tu dois être affamée...
— Oui, merci.
— J'espère que tu manges de la viande parce que c'est tout ce qui me reste.
— Oui.
— Bien...
Serrant l'échancrure de son peignoir, Flavie escalade le tabouret qui fait face à Jacqueline, en essayant de ne pas trop se montrer.
Jacqueline soulève la bouteille.
— Je te sers un peu de vin blanc..? Je pense que tu l'as bien mérité...
Elle n'attend pas la réponse et remplit le verre de Flavie.
— Ça fait combien de temps que tu es partie..?
— Deux jours.
— Tu viens de quelle ville..?
Flavie ne répond pas.
Elle voit les trois tranches de jambon sur son assiette.
C'est tout...
Pas de pain...
Pas de couverts...
Pas de serviette...
Affamée, Flavie salive.
— Vas-y, ma chérie… Mange... Prends-les avec tes doigts...
Flavie saisit une tranche de jambon.
Elle l'avale goulûment.
— Ce n'est pas la peine de me dire d'où tu viens… Je t'assure, Flavie, que je ne vais pas appeler les gendarmes...
La jeune fille termine sa tranche de jambon.
Pour la faire passer, elle avale une gorgée de vin frais.
Elle déglutit difficilement.
Elle tousse un peu.
Elle prend une seconde tranche.
— Dis moi au moins, pourquoi tu es partie de chez tes parents... Ils étaient méchants avec toi..?
— Oui.
— Comment..?
— C'est surtout ma belle-mère… Elle ne m'aime pas... Elle ne m'a jamais aimée...
— Et ta vraie mère..?
— Elle est partie… Elle m'a laissée toute seule avec mon père... Il y a longtemps...
— Elle est partie où..?
— On ne sait pas.
— Eh bien, si on ne veut pas d'enfant, il faut se laisser avorter..., commente Jacqueline, sans ambages.
Choquée par la remarque en aparté, Flavie continue néanmoins de mâcher.
Elle boit une deuxième gorgée.
— Vous n'avez pas un peu de pain..?
— Non… Je n'en mange jamais... Alors, dis-moi… Qu'a fait cette affreuse belle-mère pour te faire partir, comme ça..?
— Elle a confisqué mon journal secret... Elle m'a insultée... Elle a dit que j'étais…
— Que tu étais quoi..?
— Que... J'étais une... Une femme prostituée...
Flavie baisse un peu le nez.
— Je devine le terme employé… Et ton papa dans tout ça, il ne te défend pas..?
— Il préfère ma petite sœur...
— La fille qu'il a eu avec ta belle-mère, je parie… Schéma classique... Rejet de l'échec... Mutation de l'ego... Transsubstantiation régressive de l'or en étain… Je crois que tu as bien fait de partir, ma petite chérie... Ce ne sont plus des gens pour toi...
— Vraiment..? Vous pensez..?
— Il ne faut jamais rester chez des personnes qui ne nous apprécient pas... Partir, c'est se libérer...
Manger trop vite fait tourner la tête de Flavie.
Comme prise d'un malaise, elle s'arrête net.
Elle se tient au bord de la table.
— Ça va, ma douce..?
— J'ai la tête qui tourne un peu...
— C'est la fatigue...
Jacqueline descend vite de son tabouret.
Elle se positionne contre Flavie de crainte de la voir tomber.
L'adolescente a déjà les yeux lourds.
Une irrésistible envie de dormir...
— Viens, ma chérie… Viens t'allonger...
Démontrant une solide force physique, Jacqueline soulève la jeune fille pour la prendre dans ses bras.
Quelques secondes après, Flavie est endormie.
Jacqueline porte l'adolescente vers l'étage.
Malgré l'effort de grimper le grand escalier, elle y parvient sans faire de pause.
Elle ne la transporte pas vers la chambre d'amis mais dans une pièce mitoyenne.
...
La nouvelle chambre à dominante rouge, tout aussi magnifique que la première, est décorée dans un style du XVIIIe.
Des antiquités...
Des portraits de femmes de l'époque...
Beaucoup d'étoffes aux murs...
Le grand lit est recouvert de nombreux coussins en soie...
Jacqueline allonge Flavie sur un divan.
Elle défait le lit.
Elle ouvre le drap-couverture, à l'ancienne.
Elle revient vers le sofa.
Elle dénoue la ceinture du peignoir blanc de Flavie.
Elle prend un moment pour admirer la beauté de l'adolescente.
Ses seins...
Son ventre plat...
Le duvet doré de son pubis...
Jacqueline soulève le corps nu de Flavie, complètement inerte.
Elle la dépose délicatement sur le drap du grand lit.
Elle remonte un peu la couverture.
Elle quitte la pièce en laissant le lustre allumé.
...
Jacqueline se dirige vers la chambre d'avant.
Elle entre.
Dans la salle de bain en désordre, elle examine la pile d'affaires.
Elle s'intéresse au sac de toile de l'adolescente.
Elle renverse le contenu sur le sol carrelé.
Un fatras sans intérêt...
Des tampons hygiéniques...
Des lingettes humides...
Des bricoles d'enfant...
Pas d'électronique...
L'objet qui attire son attention est la petite chaîne en or.
Un médaillon, gravé de la lettre grecque phi...
ϕ
Sur le dos, en demi-cercle, la formule en latin...
Memento Mori...
Jacqueline dépose le médaillon dans la poche de son cardigan blanc.
Elle fouille mieux les recoins de la besace.
Elle trouve la carte d'identité de Flavie.
Elle lit son nom complet.
Sa date de naissance...
Jacqueline compte mentalement...
Elle groupe ensuite toutes les affaires.
Elle les dépose sur le hoodie noir pour en faire un petit baluchon.
...
Les bras chargés, Jacqueline redescend au rez-de-chaussée.
Elle dépose les affaires de Flavie sur la grande table ronde de l'entrée.
Elle retourne dans la cuisine.
La pièce est rangée.
Ni assiette, ni bouteille, ni verres...
Elle ouvre un placard.
Elle attrape une boîte métallique rectangulaire en inox.
Elle remonte à l'étage.
Elle entre dans la chambre où Flavie dort lourdement.
Elle pose la boîte métallique sur la table de nuit.
Elle s'empare alors du peignoir blanc abandonné sur le divan.
...
Jacqueline revient dans la chambre Louis XV avec le peignoir à la main.
Elle le replace au crochet contre la porte de la salle de bain.
La baignoire est vide.
La pièce est rangée.
Tout est en ordre comme si personne ne l'avait utilisée.
La brosse à dents est sous son plastique de protection.
Elle ouvre un tiroir pour y prendre une paire de ciseaux dorés.
...
Jacqueline retourne vers Flavie.
Elle écarte la couverture.
Elle coupe les bracelets tissés qui ceignent les poignets de l'adolescente.
Elle les dépose sur la table de chevet.
Elle ouvre la boîte métallique.
Un matériel de prise de sang...
Elle enfonce une canule dans une veine du bras droit de Flavie.
Elle fixe un premier tube de prélèvement qui se remplit rapidement.
Elle recommence avec un second.
Elle écarte ensuite les cuisses de l'adolescente.
Elle enduit le bout de son index d'un lubrifiant transparent.
Elle insère très délicatement son doigt dans le vagin.
Complètement assommée par le somnifère, Flavie ne bronche pas.
Satisfaite de son examen, Jacqueline range les tubes de prélèvement, le lubrifiant, les ciseaux et les bracelets dans la boîte métallique.
Elle tourne Flavie sur le ventre.
Elle examine chaque recoin de sa peau.
Elle écarte légèrement les fesses pour inspecter son anus.
Satisfaite, elle repositionne Flavie comme avant.
Elle tire le drap et la couverture sur elle.
...
Jacqueline redescend au rez-de-chaussée.
Elle approche de la table de marbre de l'entrée.
Le baluchon avec les affaires de Flavie n'est plus là.
Jacqueline dépose la boîte métallique.
Elle remonte à l'étage.
...
Dans la chambre où dort Flavie, Jacqueline approche d'une commode.
Elle tire de la poche de son cardigan le médaillon doré.
Elle ouvre le coffret à bijoux vide.
Elle soulève une petite étagère matelassée.
Elle cache l'objet dans un pli.
Elle remet tout en place.
Jacqueline entre ensuite dans la salle de bain mitoyenne.
Devant le lavabo, elle retire le bandeau noir de ses cheveux.
Elle s'approche du miroir pour examiner les quelques rides et les défauts de son visage.
Elle soupire.
Elle pose ses lunettes momentanément de côté.
Armée d'un coton hydrophile et d'une crème, elle se démaquille rapidement.
...
De retour, debout devant l'armoire, Jacqueline dépose soigneusement ses habits sur un valet de chambre.
Son cardigan blanc...
Son chemisier blanc...
Sa jupe plissée blanche...
Elle retire ses escarpins noirs.
En culotte et soutien-gorge, blancs également, on découvre, dans le reflet du miroir de plein pied, son âge véritable.
Elle n'est pas si jeune.
Bien plus âgée qu'il y a un moment…
Ses jambes sont striées de veines épaisses.
Son ventre est flasque.
Elle retire son soutien-gorge.
Ses seins lourds et ridés tombent bas.
Les grosses aréoles sont fripées.
Elle ôte sa culotte.
Son pubis est grisonnant.
Les petites lèvres charnues de son sexe dépassent de sa vulve.
Nue, elle traverse la pièce.
...
De retour dans la salle de bain, Jacqueline soulève le couvercle des toilettes.
Elle s'assoit.
Sous la lumière forte des halogènes, sans fards ni artifices, elle ne fait plus cinquante ans.
Soixante-dix, au moins…
Ou plus, encore...
Elle se soulage.
Il y a un rouleau de papier mais elle ne l'utilise pas.
Elle n'appuie pas sur la commande de la chasse-d'eau.
Elle retourne vers la chambre après avoir éteint la lumière.
Jacqueline se dirige vers le lit.
Elle soulève le drap.
Elle vient s'allonger à côté de Flavie.
Elle retire ses lunettes qu'elle dépose sur la table de chevet.
Elle appuie sur un interrupteur proche du lit.
Le lustre s'éteint.
La nuit.