Le tombeau est humide et glacé.
La nuit est longue et ténébreuse.
À un moment ou à un autre, on finit toujours par se réveiller...
La jeune fille bat des cils.
Elle découvre une chambre blanche.
Un lit d'hôpital…
Des appareils de surveillance des signaux vitaux...
Une infirmière, vêtue de blanc, équipée de gants en latex, est penchée au dessus de la malade qui cligne des yeux.
— Ce sera mieux quand il sera parti... Laisse-toi faire…
L'infirmière retire doucement l'intubation de la gorge de la patiente.
Elle pose la sonde sur un plateau à ses côtés.
La jeune fille hoquette et tousse violemment.
— C'est mieux, non..? Je vais te donner un peu d'eau... Mais, n'essaie pas de parler pour le moment... Il faut que ta gorge se repose... T'es restée entubée très longtemps...
L'infirmière lui propose un gobelet en plastique à bec.
Elle lui tient la tête.
La malade boit un peu.
— Vas-y doucement, pour commencer...
La jeune fille ajuste sa vision.
L’infirmière lui sourit.
Elle affiche un visage plaisant.
Son badge porte-nom indique qu'elle s'appelle Rosalie.
— Bon, j'emmène ça… Je vais revenir avec un fortifiant... Après, on verra si tu peux bouger un peu.
La patiente remue un peu.
Elle ouvre la bouche pour parler mais aucun son n'en sort.
— Tes cordes vocales vont se détendre... N'essaie pas de parler… Je reviens...
L'infirmière quitte la chambre.
L'adolescente tourne son visage sur la droite.
Dans le lit voisin, entouré de nombreux appareils médicaux, une jeune fille inconnue dort profondément.
Le reste du décor est banal.
Aux murs, des photos en noir et blanc de châteaux en ruine...
Les stores vénitiens sont baissés.
La jeune patiente veut se redresser mais elle n'en a pas la force.
À son bras gauche, un cathéter remonte vers un sac de perfusion.
Au poignet droit, elle porte un bracelet à papier sécurisé.
Elle peut lire, un code administratif...
Sa date de naissance...
Son nom...
Florentine Moreau.
L'adolescente s'agite nerveusement.
La porte s'ouvre en grand.
Jacqueline fait son apparition.
Elle est vêtue de pantalons moulants beige, de bottes noires et d'une veste de tweed sur un chemisier blanc.
Un sac à main à l'épaule, elle tient dans ses mains gantées de cuir, un journal replié.
Elle ajuste ses lunettes à monture en acier.
— Rosalie m'a informée qu'elle t'avait retiré cet affreux tube... Mais, que tu ne pouvais pas encore parler… Comment vas-tu, aujourd'hui, ma petite chérie..?
La femme approche.
Elle vient serrer la jeune malade affectueusement.
Elle dégage une odeur d'écurie.
Elle se tourne ensuite pour prendre une chaise qu'elle place en bordure de lit.
La malade est affolée par sa présence.
Elle en est presque terrorisée.
— Allons, calme-toi, ma chérie… Prends un peu d'eau...
Jacqueline lui offre le gobelet.
L'adolescente refuse.
— J'étais dans la salle d'attente et j'ai vu ton médecin... Elle m'a dit que tout allait bien... Tu vas pouvoir sortir, aujourd'hui...
La jeune fille se démène.
— Ne t'agite pas trop, ma chérie... Tu vas gêner ta sonde vésicale...
Jacqueline se penche.
En bordure de lit, un sac en plastique est rempli d'urine.
Elle le tâte de ses gants de cuir.
Elle pose son sac à main en bandoulière sur le lit.
Elle dépose le quotidien, juste à côté.
Elle ôte lentement les gants fins qui lui moulaient les doigts.
Le journal présente la photo d'une adolescente blonde, souriante.
La patiente s'agite de nouveau en la voyant.
— Qu'as-tu..? Calme-toi, Florentine… Qu'est-ce que tu as, comme ça..?
Jacqueline penche le nez vers le journal.
— Ah, c'est ça..? Je le lisais, en attendant…
Elle déplie la première page du quotidien.
Deux grandes photos...
Une jeune fille de quinze ans, blonde, pétillante et très jolie...
Une petite fille de sept ans, morne, brune et empâtée...
Le gros titre...
INSOUTENABLE
— Une histoire absolument épouvantable… Tu veux que je te lise..?
La patiente hoche la tête.
Jacqueline lui tend le petit gobelet d'eau qu'elle accepte à présent.
Elle commence à lire le long article.
La jeune patiente écoute attentivement le récit qui débute par la fugue de Flavie Anvers, une adolescente de quinze ans.
Fuyant le domicile familial, la jeune fille est montée, au hasard, dans un train pour terminer dans une petite ville du centre de la France.
Elle a été séduite, puis hébergée, par un certain Gilles Tillé, un informaticien divorcé, qui vient d'être arrêté.
Enfermée dans la cave de sa maison, Flavie est droguée, affamée et violée à répétition.
Le monstre pervers apprend que Flavie a une jeune sœur, Constance, âgée de sept ans.
Il décide de l'enlever, elle aussi.
Usant de Flavie comme appât, il parvient à piéger la petite fille à la sortie de l'école primaire.
Elle accepte de suivre sa sœur dans la voiture.
Toutes les deux se retrouvent enfermées dans la cave de l'horreur.
Elles tentent de s'échapper, sans succès.
Gilles Tillé viole, torture puis tue la petite Constance.
Paniqué, sachant qu'il est allé trop loin, il tue ensuite Flavie.
Il enterre les corps dans une forêt.
La gendarmerie n'aurait peut-être pas soupçonné ce double meurtre abominable si une voisine attentionnée, demeurée anonyme, n'avait pas prévenu les autorités de son comportement suspect.
La police a trouvé chez l'homme quantité de preuves accablantes.
Traces de sang...
Relevés d'ADN...
Des habits des jeunes victimes...
Après avoir commencé par nier, malgré la quantité de pornographie enfantine retrouvée sur son ordinateur, Gilles Tillé a fini par tout avouer, indiquant même aux enquêteurs où il pensait avoir enterré ses jeunes victimes.
— Dire qu'on a supprimé l'échafaud..., s'insurge Jacqueline. Des monstres pareils méritent dix fois la guillotine... Maintenant, il va passer à peine une vingtaine d'années derrière les barreaux, à se faire dorloter et à se la couler douce aux frais de la communauté... Pauvres petites… Quelle fin horrible...
Jacqueline replie le quotidien.
Elle se lève.
Elle le jette dans la poubelle.
— Fl… Flav…
— Ne parle pas, Florentine…
Rosalie entre, toujours aussi guillerette.
— Bonjour, madame... Vous allez bien aujourd'hui..?
— Très bien… Merci Rosalie... Est-ce que Florentine peut sortir..?
— Oui... Le médecin a signé la fiche... Je vais lui ôter sa sonde urinaire...
— Dois-je sortir de la pièce..?
— Non, restez madame… C'est vite fait... Et puis, votre fille n'a pas de secrets pour vous...
Rosalie écarte le drap.
Dans sa robe d'hôpital, l'adolescente se démène sans pouvoir beaucoup bouger.
Jacqueline pose une main sur son épaule.
— Détends-toi, Florentine… C'est juste le petit tube dans ton méat urinaire... Tu seras mieux quand il sera parti...
La jeune fille accepte.
Elle ferme les yeux.
L'infirmière lève délicatement la robe.
Elle s'applique entre les jambes de l'adolescente qui serre des lèvres en sentant les attouchements.
L'opération est vite terminée.
Rosalie récupère la sonde, les tubes et le sac à urine.
Jacqueline rabaisse la robe.
Elle tire le drap.
— C'est déjà mieux, non..?
Gentiment, Jacqueline caresse sa fille qui la regarde, pleine d'appréhension et d'incompréhension.
— Tu dois être contente de pouvoir rentrer à la maison... Comme les grandes vacances vont commencer, je t'ai trouvé un stage d'équitation, comme tu voulais…
Rosalie revient.
Elle a dans la main une seringue, sans aiguille, pleine d'un liquide jaune pâle.
— Avec ça, tu vas retrouver des forces..., commente l'infirmière.
Rosalie retire le capuchon.
Elle utilise le cathéter déjà inséré dans le bras pour injecter le produit.
L'effet est presque immédiat.
L'adolescente ressent un vertige.
Elle se cramponne au drap.
Elle laisse échapper un faible râle.
Elle ferme les yeux.
— Elle peut marcher..? demande Jacqueline.
— Oui… Donnez lui juste quelques minutes... Je retire la perfusion...
— Merci...
Rosalie s'occupe d'enlever le cathéter qui a laissé un hématome.
— Te voici libérée, Florentine..., se réjouit l'infirmière. Tu vas pouvoir rentrer chez toi... Ses habits sont dans le tiroir de la commode, madame... Vous pouvez partir quand vous voulez.
— Merci, Rosalie... Merci de t'être si bien occupé de ma petite chérie.
Jacqueline caresse de nouveau le haut de la tête de l'adolescente.
— C'est bien normal, madame... Bonne journée à vous deux...
— Au revoir...
— Au revoir, madame... Au revoir, Florentine...
Rosalie fait un petit signe de la main avant de quitter la chambre.
Jacqueline se lève.
— Comment te sens-tu, ma chérie..? Si tu essayais de te lever…
Jacqueline écarte le drap.
La patiente est dans un état de confusion mentale totale.
— Essaie au moins de te redresser...
Jacqueline approche.
Elle aide sa fille d'une main dans le dos.
Pliée en deux, l'adolescente ressent une vive douleur dans le bas du ventre.
Elle ferme les yeux un moment.
— T'es toute décoiffée… Attends...
Jacqueline ouvre son sac à main.
Elle en sort une brosse à cheveux.
Elle brosse sa fille qui se laisse faire.
Satisfaite, Jacqueline la range.
Elle se déplace jusqu'à la commode.
Elle s'empare d'un petit miroir.
Elle le présente.
— Regarde, c'est mieux tout de même…
La jeune fille découvre alors un visage qui n'est plus le sien.
Cheveux châtains...
Pommettes hautes...
Oreilles décollées...
Menton fin...
Il ne reste que les yeux bleus…
Où est son visage..?
Où est le visage de Flavie..?
L'adolescente veut crier de toutes ses forces mais pas un son ne sort de sa bouche.
Elle touche son cou.
Elle porte le ruban de soie rouge.
— Calme-toi, Florentine... Voyons… On dirait que tu viens de voir un fantôme... Allez, cesse tes enfantillages... Il est temps de te lever...