De toutes les filles de chambre, Colette est la plus âgée.
Semblable à Clotilde aux écuries, Colette est une jeune femme de vingt ans.
Bien entendu, elle ne se promène pas avec une cravache à la main.
Rien ne la différencie des autres filles de chambre, si ce n'est une médaille épinglée sur sa poitrine gauche.
Florentine scrute le détail.
La médaille représente la lettre grecque phi.
ϕ...
— Mesdemoiselles… Asseyez-vous..., invite Colette.
Elle écarte les mains.
Toutes prennent place.
Colette reste debout.
Les filles de chambre écoutent attentivement.
— Premier point… Vous l'avez déjà remarquée, très certainement… Nous avons une nouvelle dans nos rangs... Elle s'appelle Florentine… Nous avons toutes entendu parler de ses exploits... Peut-être qu'elle en fera de nouveaux, ici… Pour nous amuser...
Petits rires étouffés du groupe...
Toutes regardent Florentine, qui salue en retour silencieusement.
Les gestes…
Les manières...
Tout est différent...
Les filles du château, plus gracieuses, font attention à leur maintien.
Elles semblent plus douces ce qui, après la correction douloureuse de Florentine, est apprécié.
— Deuxième point… L'hiver est arrivé... Le château est fermé aux invités... Nous devons en profiter pour faire tout ce que nous ne faisons pas d'habitude... Il y a un énorme travail d'argenterie… Sans compter les bronzes et les autres objets qui ont besoin d'être polis... De la poussière s'est accumulée dans les recoins cachés... Nous allons nous en occuper… Sans compter tous les parquets à cirer… Les tentures à brosser… Les tapis à battre... Et, surtout, les carreaux... Je vais organiser le travail... Vous opérerez par équipes de deux… Je veux de la gaieté pendant les corvées, mesdemoiselles… Je veux entendre rire... Je veux entendre chanter... Bien… Alors, Émilie… Tu peux servir la soupe...
Émilie, numéro XII, se déplace jusqu'à la grande soupière.
Les demoiselles se lèvent discrètement.
Elles s'alignent sagement.
Colette est la première.
Florentine sera la dernière.
Chacune reçoit une grande louche de soupe dans une assiette creuse.
Le déjeuner est silencieux.
Les filles ont trop faim pour parler.
La soupe claire est tiède.
Elle n'est pas salée.
Florentine n'a pas de petits morceaux de légumes comme ses voisines.
Affamée, elle est néanmoins contente de remplir un peu son estomac de bouillon.
Toutes les assiettes sont rapidement vidées.
Pas de serviettes pour s'essuyer les lèvres.
Florentine observe qu'un coup de langue d'une voisine suffit à cela.
Elle se tourne vers Benoîte qui lui lèche discrètement les babines.
Florentine retour la faveur sans hésitation.
Émilie présente ensuite à Colette le premier plateau.
Il circule selon l'ordre croissant.
Chacune prend un pâté en croûte.
Florentine reçoit le plus petit, le moins beau.
Émilie, qui s'est servie au passage, lui prend le plateau vide des mains.
Les filles de chambre ne le mangent pas immédiatement mais patientent.
Le rituel se poursuit jusqu'à ce que la nourriture soit entièrement distribuée.
Florentine regarde le contenu final de son assiette.
Un bout de pâté de campagne...
Un bout de pâté de foie...
Une demie tige de céleri...
Une carotte crue...
Lorsque Colette commence à manger, les autres font de même.
Elles usent de leurs mains mais dignement.
Lorsque toutes les assiettes sont vides et que les doigts sont bien léchés, Colette se lève.
Elle quitte la salle noblement.
Aussitôt, les langues des filles de chambre se délient.
Florentine se tourne vers Benoîte.
— A-t-on le droit à une sieste..? demande-t-elle.
— Oui... Une heure… Ici, ou dans le dortoir...
— Et, pour pisser..? J'ai très envie...
— Tu as ton pot de chambre ou les chaises percées des offices... Mais, elles sont loin… Les pots sont vidés, par l'une de nous, matin et soir… Tu veux bien que je te montre..? On va dans le dortoir..?
— Oui, s'il te plaît...
Émilie regroupe les assiettes.
Comme il ne reste pas une seule miette, un seau d'eau dans un coin suffit à les rincer.
Elle les sèche d'un coup de torchon blanc.
Florentine suit Benoîte vers le dortoir.
Les espaces sous les toits sont étroits.
Les poutres de la charpente obligent parfois à baisser la tête.
Florentine retrouve le petit espace avec son lit.
Pas de fenêtre, juste un châssis étroit dans la toiture.
Des parois de bois séparent les espaces réservés aux filles de chambre.
Pas de porte pour préserver son intimité...
Pas de rideaux...
Sous le regard de Benoîte, Florentine prend son pot, déjà bien rempli.
Elle cherche à se soulager comme Hortense le lui a montré.
Ce n'est pas si aisé avec cette robe qui lui tombe aux chevilles.
— Je vais tenir ton pot..., propose Benoîte qui vient l'aider. Vas-y…
Florentine hésite.
Elle a déjà pissé en compagnie de filles mais jamais avec une spectatrice si proche d'elle.
Benoîte est très intéressée.
Pour s'aider, elle ferme les yeux puis finit par se laisser aller.
Lorsque Florentine a terminé, la jeune fille propose...
— Je peux t'essuyer..?
— Oui, merci...
Plutôt que d'user d'un tissu, Benoîte colle ses lèvres contre le con de Florentine.
Elle lèche l'urine avec délectation, ce qui provoque en elle un frisson.
— Ton pot est presque plein… Je vais te montrer où le vider..., propose Benoîte.
Florentine baisse le pied.
Elle suit sa petite amie.
Au bout du dortoir, une vasque blanche jaillit du mur.
La bonde est large.
— Les pots sont vidés dans ce conduit..., informe Benoîte. Si tu es de corvée, tu les videras tous, ici... S'il y a des étrons, tu as le droit de les manger… Si tu en as envie, je veux dire… T'es pas obligée...
— Les manger..? s'affole Florentine.
— Souvent, le déjeuner ne suffit pas… On a tellement faim... Un peu de merde, ça fait du bien… Tu ne l'as jamais fait..? lui demande Benoîte, de sa petite voix innocente.
— Non…
Florentine est horrifiée par le sujet et le ton désinvolte de sa petite amie qui lui sourit d'un air chafouin.
Elles retournent vers le lit de Florentine pour y ranger le pot de chambre.
Florentine remarque que quelques filles dorment paisiblement sur le dos avec les doigts croisés sur leurs ventres.
— Tu connais le grand château...? demande Benoîte, à voix basse.
— Non… Pas vraiment...
— Je ne suis pas fatiguée, aujourd'hui... Je suis même un peu excitée parce que je suis avec toi… Si tu veux, je peux te faire faire un petit tour... C'est assez endormi, après le déjeuner… Surtout en cette saison...
Florentine suit sa guide.
Les escaliers de service sont très étroits.
Les marches sont peu profondes.
Pour ne pas tomber avec cette robe longue, Florentine doit la trousser et faire attention où elle met les pieds.
L'escalier, après la salle commune, descend vers un corridor mince qui part dans les deux directions.
Il est éclairé par de petites lucarnes dans les parois.
— Nos corvées, c'est surtout du ménage..., explique Benoîte. C'est grand, ici… Il y a beaucoup de monde, surtout pendant la saison... Les visiteurs…
— Les hommes...
— Oui, tu verras… Il y a plein de règles à respecter... Pas le droit de leur parler... Pas le droit de les regarder… Filles de chambre, nous sommes comparables à des petites souris... Rapides… Discrètes... Invisibles... Nous intervenons pour nettoyer les dégâts... Mais, en général, ils ne nous embêtent pas...
Par une porte dérobée, les deux jeunes filles arrivent dans une immense salle, vide de mobilier.
— Nous sommes au rez-de-chaussée du bâtiment principal, côté jardin… Je ne parle pas du jardin à la française... Côté jardin, c'est un terme de théâtre…
— Oui, je sais ce que c'est... On dit la même chose pour les écuries...
— Je l'ai dit parce que tu n'es pas orpheline… Je ne voulais pas t'offenser...
— Je ne suis pas offensée, Benoîte.
Florentine admire l'espace.
Les dorures…
Les boiseries peintes...
Au plafond, une fresque spectaculaire présente un passé colonial avec des indigènes, des colons et les grands espaces naturels de la Nouvelle-France.
— Ici, c'est la salle de bal..., informe Benoîte. C'est la plus grande salle du château… Pour les spectacles... Théâtre, musique, danse et opéra…
Florentine suit Benoîte.
La jeune fille ne traverse jamais une pièce par le milieu.
Elle longe toujours une paroi.
Derrière les grandes fenêtres, Florentine entraperçoit les pelouses de l'entrée et le début de l'allée des ormes rouges.
Elle pense à Hydrogène.
Qui s'occupe de lui..?
A-t-elle perdu ses droits envers son étalon..?
En bout de salle, Benoîte et Florentine passent la grande porte à double battants.
Elles entrent dans la grande salle à manger.
— Ici, les invités et leurs compagnes soupent... Tu verras, de nuit, c'est magnifique… Parce qu'il y a des chandeliers partout... Ils sont tous bien habillés... Des belles robes… Des coiffures... Le rêve...
— Il n'y a pas d'électricité ?
— Non... Le grand château n'est pas électrifié.
— Pas de chauffage..?
Florentine sent le froid dans ces grandes salles vides.
— Je ne crois pas... Les chambres à l'étage ont des cheminées... Mais, pas au rez-de-chaussée...
Florentine n'insiste pas.
La salle à manger débouche ensuite dans le hall de l'entrée.
Florentine se souvient.
Elle est déjà venue.
Elle était Flavie, en compagnie de Jacqueline.
Un souvenir confus...
— Ici, c'est l'accueil, avec les escaliers…, explique Benoîte. Il n'y a personne, en ce moment...
— Oui, je connais.
— Tu es déjà venue, alors..?
— Je crois… Juste ici et le bar à côté...
— Tu m'étonnes, franchement… Mais bon, si tu le dis... Tu as raison, après c'est le salon... On ne dit pas le bar… La pièce s'appelle le Salon des Messieurs... Ils y vont pour fumer du tabac… Boire de l'alcool... Et d'autres choses, aussi...
Florentine prend l'initiative de jeter un coup d'œil dans la pièce à côté.
Florentine lève le nez.
L'endroit n'a pas changé.
Durant l'hiver, les meubles sont couverts de draps blancs.
Les bouteilles d'alcool derrière le comptoir ont été stockées.
— Après, si tu continues, tu vas tomber sur les deux Cabinets des Curiosités, la salle de jeux et, tout au bout, la grande bibliothèque... Mais, pour le moment, l'aile côté cour est fermée… Viens, je vais te montrer l'étage...
D'un pas hâtif, Benoîte et Florentine grimpent d'un côté de l'opulent escalier de marbre, à double montant.
Le palier à l'étage forme une rotonde qui suit l'arrondi de la façade sud.
Des tapisseries anciennes décorent quelques pans de murs.
Des miroirs sont encastrés dans les boiseries peintes.
Benoîte ne montre que le couloir.
— De chaque côté... Les chambres pour les invités… Il y en a vingt-et-une, en tout... Dix de chaque côté de l'escalier et la suite royale, devant nous… Je ne peux pas te les montrer, c'est Colette qui a les clés... Le château est organisé par droit d'accès... Filles de chambre, nous sommes au bas de l'échelle... Ensuite, viennent les filles de cuisine… Puis, les Valets... On les appelle les hécates parce que, naturellement, ce sont toutes des femmes... Elles portent des livrées vertes, rouges ou noires... Selon leurs fonctions… Elles font le service à table... Elles apportent les repas en chambre... Elles aident à habiller les invités… Tu dois toujours saluer les hécates... Tu ne leur parles que si elles te parlent en premier... Ensuite, il y a les Reynes… Ce sont les dames de compagnie... Les aphrodites... Mais, entre nous, on les appelle les filles de joie… Elles ne sont pas au château, en ce moment...
— Elles sont où..?
— Je ne sais pas.
— Tu ne les verras pas souvent… Tu ne dois absolument pas leur parler... Ni les saluer… Ni même les regarder... Si tu devines qu'il y en a une dans les parages, tu t'enfuies par la première issue possible… Pour elles, tu n'existes pas...
— Comment je sais que c'en est une..?
Benoîte rigole.
— C'est facile, elles sont soit trop habillées ou toutes nues… Tu verras, quand elles seront de retour… Mais, discrètement...
— C'est tout..?
— Non, en dernier, il y a les Roys… Les messieurs… Les clients... Tu vois, c'est comme un jeu de cartes à jouer... Rois, reines, cavaliers, valets…
— Et les duègnes..?
— Les quoi..?
— Les vieilles femmes qui habitent dans les murs...
Benoîte ouvre de grands yeux étonnés.
— Je ne sais pas de quoi tu parles...
Les deux jeunes filles retournent à la salle commune en empruntant un nouveau chemin.
Quelques filles de chambre dorment, leurs têtes posées sur leurs bras croisés, à même la table à manger.
D'autres lisent des livres.
— On a le droit d'utiliser la bibliothèque..? demande Florentine.
— Les livres sont très précieux… Si tu en veux un, tu dois le demander à Colette...
— Merci, Benoîte… Dis, demain, tu me montreras les installations sportives..? Je suis curieuse de voir la piscine...
— J'ai oublié de te dire, Florentine… Nous n'avons absolument pas le droit de sortir du grand château.
— Jamais..?
— Jamais..!