Blandine et Florentine arrivent à l'étage.
Elles longent le grand couloir, côté cour, jusqu'à la dernière porte de chambre.
— C'est la tienne..., déclare Blandine.
— La mienne..?
— Tu sais maintenant que le château n'est pas un hôtel... C'est une maison close… Tout y est organisé pour recevoir des hommes... Lorsque ton client veut monter, c'est-à-dire te baiser… Tu l'amènes ici...
Elles entrent dans la chambre, très haute de plafond.
Les grandes fenêtres donnent sur l'allée bordée des ormes rouges.
Les tissus de la décoration intérieure sont à dominante vert foncé.
Des dorures...
Des boiseries claires...
Des miroirs...
Un immense lit à baldaquin…
Un coin salon...
Des commodes...
Des placards...
Une cheminée...
Florentine note qu'il n'y a pas de tableaux ou de gravures aux murs.
Les miroirs sont partout.
Par le jeu des reflets, ils permettent, à chaque endroit de la pièce, de se contempler à volonté.
Blandine approche de Florentine.
Elle lui retire son collier de chien qu'elle garde à la main.
Florentine reste debout, au pied du lit, les bras ballants.
Sans poils sur le pubis, elle se sent encore plus exposée.
Elle se sent écrasée par le bel espace comme si elle n'avait rien à y faire.
Elle n'arrive pas à concevoir ce qui pourrait s'y dérouler.
Blandine inspecte le lieu de ses gants blancs pour voir si les filles de chambre ont bien fait leur travail.
Elle parle sur un ton nonchalant.
— La chambre est conçue pour t'aider à faire ce que tu as à faire… Je vais te surprendre en disant que… Le plus important n'est pas la satisfaction de ton client... La première chose que tu dois comprendre, c'est que… Au Haras des Ormes Rouges, nous ne sommes pas intéressées par l'argent… Les hommes qui viennent au château ne payent pas pour leur séjour... Tout est gratuit… Tout est pris en charge, entre le moment où ils garent leurs véhicules à l'entrée de la propriété et le moment où ils repartent...
Satisfaite de la propreté, Blandine s'installe dans un fauteuil Empire.
Elle contemple Florentine comme si elle faisait partie de l'ameublement.
— Ce qui donne à ces hommes le droit de venir dans cette maison..., poursuit Blandine. C'est la qualité de leur sperme… Tu as travaillé aux écuries... Eh bien, c'est la même idée… Les hommes, invités par madame, viennent pour des saillies… Notre travail est de les faire éjaculer... Par tous les moyens possibles… Le plus grand nombre de fois... Ta tâche essentielle est de récolter les semences…
— Comment..?
— Tu sais ce que c'est qu'une capote..?
— Oui.
— Soulève le couvercle de la bonbonnière sur la table…
Florentine obéit.
Le bel objet de porcelaine, décoré de motifs floraux, est rempli de préservatifs dans leurs emballages plastifiés.
— Ton client peut faire tout ce qu'il veut de toi… Du sang… De la merde... On s'en fiche... Mais, s'il veut t'encouer, t'enconner ou t'enculer, il doit obligatoirement porter une capote sur sa verge… Ton travail consiste… Lorsqu'il se présente à toi avec sa verge bien bandée, à l'habiller du préservatif… Tu auras accès à des capotes partout dans le château... Tu en auras dans tes poches si tu es habillée... Si tu es nue, tu devras les trouver… Les boîtes et les récipients avec des couvercles en contiennent presque toujours... Lorsque l'homme a pollué… La capote est pleine… À toi, de la lui retirer... La technique est la suivante... La verge se dégonfle un peu... Tu pinces gentiment le bout du réservoir et tu tires doucement... Tu peux le nettoyer vite fait avec la bouche… Ils apprécient... Ensuite, avec le préservatif dans la main, tu te diriges vers la cheminée. Vas-y…
Blandine la montre de la main.
Florentine se déplace vers l'âtre.
— Les cheminées du château ont toutes des conduits supplémentaires… Le panneau se trouve toujours à droite du manteau... Tu devras les connaître pour les trouver facilement, même dans l'obscurité… L'ergot de bois est révélateur... Tu le vois, maintenant..?
Florentine remarque le relief.
— Oui...
— Coulisse le panneau vers le haut, il va s'ouvrir facilement...
Florentine obéit.
Elle découvre un espace creux.
— À l'intérieur, il y aura un petit tube métallique en inox… Dans ta chambre, tu ne peux pas te tromper… Les tubes sont gravés de ton chiffre, le vingt-et-un... Si tu es dans une salle commune, comme la salle à manger… Tu devras vérifier que tu utilises le bon réceptacle... Cela permet au laboratoire de bien identifier ton client... Donc, tu glisses la capote pleine à l'intérieur du tube… Tu refermes le bouchon... Tu le jettes dans le trou du conduit... Tu refermes le panneau... Et, c'est terminé… Si ton client te demande ce que tu fais, tu lui dis que c'est une poubelle… Ils s'en fichent de toutes façons... As-tu compris..?
— Oui...
— Pense que la chambre est parfois dans le noir complet... Tu dois te familiariser avec le lieu… Mais, tu verras que ça sera très facile, après un moment...
— Pour se laver..?
— Comme tu sais, le grand château n'a pas l'eau courante... Pas de salles de bain… Pas de bidets... Pour pisser, tu as les pots de chambre et les bourdalous... Tu peux utiliser les draps du lit pour t'essuyer... Quoi d'autre..? Ah, oui… Les commodes des chambres sont pleines de jouets... Des martinets… Des godemichés... Des ceintures... Des lanières… Des bâillons... Franchement, les clients ne les utilisent pas très souvent. Mais, on ne sait jamais… Ouvre un tiroir pour voir...
Florentine ouvre le premier tiroir d'une magnifique commode couverte d'un marbre foncé.
Elle découvre une collection de gadgets pour pimenter la sexualité.
Florentine frissonne en voyant un chat à neuf queues.
— Tu auras le temps de t'en familiariser… Le lit a un drap plastifié, recouvert d'un épais molleton absorbant... Tu peux pisser et chier dans le lit, sans arrière pensée… Évite, si tu peux, de le faire sur les fauteuils et les divans... Le sol ne craint rien... Comme tu le sais, les filles de chambre sont là pour tout nettoyer... Des questions..?
— Ça se passe comment, une journée typique..?
— Les clients arrivent le vendredi... Ils se garent au parking de l'entrée... Les dianes noires ont des attelages prêts... Ils sont amenés au Club House du côté des installations sportives... Ils logent dans des petits bungalows... C'est comme un hôtel… Ils s'installent... Ils profitent des activités... Nous venons les chercher pour le souper... Le vendredi à minuit, c'est la loterie... Tu verras… C'est un peu compliqué à expliquer... Ils restent ensuite pour jouer, boire et s'amuser avec les filles de joie... Lorsqu'ils en ont assez, ils retournent se coucher… La journée du samedi, c'est pour le sport ou la détente... Ils restent souvent au Club House... Les dianes noires et les hécates s'occupent d'eux... Le grand soir, c'est le souper du samedi… Toute une nuit de réjouissances et de débauches... Les invités partent en général, le dimanche après-midi... Mais, je ne vais pas rentrer dans tous les détails, aujourd'hui… Tu vas le vivre, alors tu verras bien... Je sais que tu n'es pas prête, Florentine… Avec toi, madame fait les choses en accéléré... Elle a certainement ses raisons… Tu vas vite t'habituer… Pense toujours que c'est une une mise en scène... Les saynètes sont plus ou moins élaborées... Toi, tu joues le jeu… Tu te laisses guider... Tu n'as vraiment que deux choses importantes à faire… Récolter le sperme, comme je te l'ai dit… Et puis... Te laisser baiser...
Florentine tremble de froid et d'appréhension.
— Viens, je vais te montrer un endroit du château que tu n'as pas encore vu…
Blandine se lève.
Elle dépose le collier de chien sur la table d'acajou.
Elle jette un regard circulaire pour s'assurer que tout est en ordre.
Blandine et Florentine quittent la belle chambre.
Elles se dirigent vers le grand escalier.
— C'est si calme… Où sont les autres filles de joie..?
— Elles sont arrivées… Madame récompense ses catins pendant la saison morte... Mais, je ne sais pas où elles vont...
— Blandine…
— Oui..?
— As-tu été fille de joie..?
Blandine soupire, avant de répondre...
— Non… Je n'ai pas eu cet honneur.
La jeune femme serre des lèvres.
Florentine médite sur l'honneur.
Elle devine un soupçon de jalousie de la part de l'hécate noire.
Les valeurs semblent inversées.
Ici, les catins ont le beau rôle.
Les autres s'estiment moindres.
Pourquoi..?
L'accès au sous-sol se fait par le hall d'entrée.
Un escalier, situé derrière le comptoir d'accueil, plonge vers les souterrains.
Au premier niveau, ce sont les cuisines.
Les offices...
Les souilles...
Les réserves...
Les caves à vin...
Florentine a déjà visité quelques-uns de ces endroits avec les filles de chambre.
La production culinaire est réalisée par l'équipe des vingt-et-une filles de cuisine.
Ce grand espace souterrain est hors limite.
Pas question pour les autres filles d'y mettre les pieds.
Très certainement pour éviter des vols de nourriture…
— Comme tu le sais déjà..., rappelle Blandine, tous les dortoirs sont au-dessus des galeries... Côté cour, les filles de chambre... Côté jardin, les filles de cuisine... Nous autres Valets, nous avons nos chambres dans le grenier du corps de bâtiment principal... L'accès se fait par une porte dérobée au bout de chaque couloir du premier étage... Alors, la question que tu te poses, peut-être, est… Où sont mes nouveaux quartiers..?
— Ce n'est pas ma chambre, là-haut..?
— Non… La belle chambre que je t'ai montrée, c'est ton lieu de travail... Tu ne peux l'utiliser que si tu es accompagnée d'un client… Dès qu'il est parti ou avant l'aube, tu reviens ici… Tu vois ce mur avec le décor en bas-relief..?
Dans le passage, Florentine découvre une fresque taillée dans la pierre qui représente une femme qui flotte dans les airs.
Elle tient dans chaque main une flèche.
Gravés à chaque coin, sont les verbes...
OSER
VOULOIR
SAVOIR
SE TAIRE
Le style lui rappelle les panneaux autour du mausolée.
— Pousse gentiment du côté droit..., l'instruit Blandine. Il va pivoter...
Florentine se positionne.
— Ici..?
— Oui...
Florentine pousse de ses mains.
La lourde paroi tourne sur un axe.
L'ouverture donne accès à un escalier secret.
Elles s'y engagent.
Blandine referme le passage derrière elles.
Elles descendent un escalier de pierres lisses.
— Bienvenue dans les ténèbres…
Le lieu est mal éclairé.
Seules des minuscules veilleuses électriques, tous les cinq mètres environ, projettent un peu de clarté.
C'est à peine suffisant pour voir où l'on met les pieds.
— C'est l'envers du décor..., explique Blandine. C'est ici que vous vous préparez…
Elles arrivent à un palier.
Malgré qu'elles soient deux niveaux sous terre, le lieu n'est pas étouffant.
Florentine ressent un léger courant d'air sur sa peau nue.
Blandine emprunte le passage de gauche, bas et voûté.
— En haut, comme en bas..., précise Blandine. Le grand château est un pavé droit , à demi-enterré, de quatre-vingt-dix mètres de côtés et trente mètres de hauteur... Imagine, tous les espaces que l'on ne voit pas... Même moi, je n'en connais pas la moitié...
Les yeux de Florentine commencent à s'habituer à l'obscurité.
Elle découvre un long couloir aligné de petites portes de fer, très proches les unes des autres.
Elles sont toutes fermées.
L'hécate noire ralentit le pas.
— On les appelle, les cellules..., précise Blandine. Le vingt-et-un, c'est la dernière... C'est la tienne...
— Je vais dormir ici..?
— Oui.
Florentine est fébrile, angoissée par les ténèbres et l'étroitesse de ce lieu oppressant.
En fin de couloir, Blandine tire la lourde porte marquée XXI.
La pièce révélée est très basse de plafond.
Juste assez grande pour accommoder un petit lit étroit...
Une table de chevet...
Un bougeoir...
Rien d'autre…
Pas de fenêtre...
Pas d'aération...
Florentine pense à une tombe.
— La chandelle s'allume au briquet dans le couloir..., précise Blandine. Tu as de la chance, tu en es la plus proche…
Blandine s'empare du bougeoir pour lui montrer.
Dans le couloir, le briquet, au mécanisme ancien, est fixé contre la paroi qui termine le passage.
Blandine allume la mèche de la bougie qui étincelle.
Elles se voient enfin correctement.
Blandine lui tend le bougeoir.
Florentine entre dans la pièce réduite qu'elle découvre mieux.
Les parois, le sol et le plafond sont recouverts d'un marbre sombre et lisse.
Un caveau…
Elle pose le bougeoir sur la table de chevet.
Elle s'enlace comme si elle avait froid.
— Il fait toujours chaud ici..., commente Blandine, en la voyant faire. Tu verras…
— Je n'ai pas de chemise pour dormir..? s'inquiète Florentine.
— Non.
Blandine pose une main sur la poignée extérieure de la porte, avant d'ajouter froidement...
— Je te souhaite bien du plaisir, catin…
Blandine pousse la porte qui se referme lourdement.
Florentine entend un bruit métallique de l'extérieur.
Elle veut ouvrir la porte.
Il n'y a pas de poignée de son côté.
— Blandine… Blandine…
Elle frappe de son poing contre le métal épais.
Rien à faire…
Elle est enfermée.