Seule dans la chambre, Florentine ne sait trop quoi faire.
Se coucher dans le grand lit..?
Profiter du luxe..?
Elle est subitement fatiguée.
Elle pourrait s'endormir immédiatement.
Caroline entre en coup de vent.
— Je te ramène à ta cellule… Le mien aussi est parti faire dodo... T’as bien baisé..?
Florentine ne sait que répondre.
— Ça pue chez toi... Toujours la même chose avec ces vieux... Ils laissent de la merde partout où ils vont... Allez, il est temps de filer...
Devant la confusion mentale de Florentine, Caroline ajoute en lui tendant la main...
— Chaque fois, c’est un peu plus facile, tu verras… Viens...
Florentine se laisse guider.
Le château est endormi.
Elles ne croisent personne en chemin.
L'adolescente est trop fourbue pour parler de son expérience à son amie.
Elle est contente de retrouver sa cellule.
Elle allume une bougie au briquet.
Elle va se coucher.
La serrure s'enclenche.
Florentine ne veut pas s'endormir en pensant à l'expérience.
Le vieil homme affreux qui l'encule sans affection.
Elle se sent usée.
Semblable à un jouet…
Vidée de son humanité...
Elle pourrait aussi bien être remplacée par une poupée mécanique inventée par les Laboratoires Moreau.
A-t-elle encore une âme après cette expérience abjecte..?
Une innocence..?
Les soupers avec Jacqueline n'avaient rien de comparable.
Plus violents, ils étaient irréels puisqu'ils touchaient un être qui n'existait plus.
Les enculades de Pauline étaient une passion partagée.
Elle était volontairement offerte à la diane qu'elle aimait de tout son être.
À l'opposé, ce que lui a fait cet homme représente le viol ignoble de son intimité.
Le plus étrange est qu'elle s'est laissée faire.
Elle n'a pas bronché.
Elle s'est laissée avilir de la pire façon sans s'y opposer.
Pourquoi ce consentement..?
Jusqu'où pouvait-elle tomber..?
Désemparée par ces pensées, Florentine s'empare du livre de chevet.
Pour ne plus y penser, elle se concentre à déchiffrer les aventures de Jeanne en Nouvelle-France.
Jeanne naît une seconde fois sous le wigwam d'un indigène micmac, une tribu des indigènes Algonquins.
Du nom de Oumahrami, il campe non loin du lieu où elle est morte de froid.
Jeanne se demandera longtemps si c'était un hasard.
Le côté fortuit de la découverte…
Pourquoi est-ce que Fortune l'a sauvée..?
Jeanne ouvre un œil sous une pile de peaux de bêtes.
Encore oie blanche, elle pense être au paradis des religieux de son pays.
Des histoires de curés, entendues dans les églises de Loudun…
Le visage de l'homme qui la toise est peint en blanc, orné de triangles noirs et rouges.
Il a des cornes qui dépassent de sa coiffe.
Jeanne croit voir le diable.
Elle se croit en enfer.
Pour quelle raison..?
N'est-elle pas victime..?
N'a-t-elle point le droit à la compassion chrétienne..?
Ne portait-elle pas sa petite croix autour du cou..?
Jeanne ouvre les yeux pour de bon.
Elle comprend où elle se trouve.
Ayant déjà vu des indigènes micmacs à Québec et en Gaspésie, elle reconnaît un homme de ces tribus.
Dans le wigwam enfumé, elle passe du délire à la réalité.
Elle est incapable de bouger.
Pour l'alimenter, l’homme introduit de la viande saignante dans sa bouche.
Il la mâche.
Il force chaque bouchée dans la sienne.
Le sang épais l'aide à avaler.
Jeanne est consciente mais elle est incapable de faire autre chose que de respirer, boire et manger.
Elle pisse et chie sur elle-même.
Elle dort sans arrêt.
Elle rêve qu'elle est un renard ou un caribou.
Elle marche en animal, à travers la forêt, de jour et de nuit.
En renard, elle retourne au camp des pirates.
Elle voit deux hommes se battre au couteau.
L'un d'eux meurt poignardé.
Ils ont faim.
Leurs vivres sont épuisées.
À la vue de l'animal, le meurtrier se met à la chasser.
Elle s'échappe de justesse.
Elle se jure de ne plus y retourner.
Éveillée, Jeanne écoute les incantations et les chants du sorcier.
Il est seul avec elle.
Elle a toujours faim.
Il revient de la chasse avec le foie des animaux tués.
Il mâche des morceaux.
Il l'aide à les avaler.
Il la lave en chantant des mélodies magiques.
Lentement, Jeanne sent ses forces revenir.
Elle ne sait pas combien de temps elle demeure dans cet état de mort-vivant.
Après ce qui lui semble être une éternité, elle peut bouger un peu.
Les mains...
Les pieds...
L'indigène enlève des couvertures de la pile qui la recouvre.
Périodiquement, il approche sa verge de son visage.
Il se pollue au-dessus de sa bouche ouverte.
Elle avale sa sève.
Lorsque Jeanne revient au monde, elle est maigre et chétive.
Elle n'a presque plus que la peau sur les os.
Les femmes de Oumahrami viennent s'occuper d'elle.
Elle apprend à les connaître.
Elles sont sept.
Âgées ou jeunes...
Les femmes micmacs, qui allaitent leurs bébés, lui offrent leurs seins.
Elles la nourrissent de lait humain.
Lentement, Jeanne retrouve assez de force pour tenir sur ses jambes.
Après un temps, l'homme-médecine déclare qu'elle est à nouveau un être vivant.
Jeanne se nourrit de gibier.
Elle boit de l'eau de rivière.
Le temps est chaud.
Les neiges ont fondu.
Lorsqu'elle se voit dans les eaux du lac, elle n'est plus blonde.
Ses cheveux sont aussi noirs que ceux des indiens.
Ses traits ont changé.
Les indigènes plient le camp.
En colonne à travers les bois, Oumahrami les mène loin.
La marche aide à la guérison de Jeanne.
Après des mois de voyage à travers le Canada, elle est aussi vive et forte qu'autrefois.
Elle est coiffée et habillée en indigène.
Elle fait partie intégrante du groupe des femmes.
Dorénavant, elles sont huit.
Jeanne se sent acceptée.
Elle se sent protégée.
Oumahrami est un excellent chasseur.
Il possède un savoir immense.
La nature sauvage est son domaine.
Jeanne apprend la langue algonquine.
Elle apprend que cet homme n'est plus un membre de sa tribu.
Il a été chassé.
Il évite tout contact avec les autres micmacs.
Il évite surtout le contact avec les quelques blancs qu'ils peuvent croiser.
Jeanne découvre des lieux merveilleux.
Forêts...
Lacs...
Rivières...
Une nature immaculée qu'elle décrit en détail, pages après pages.
Jeanne apprend à chasser et à pêcher.
Les viandes sont parfois mangées crues.
Les foies sanglants sont partagés.
Ceux des gros gibiers tels que l'orignal sont particulièrement appréciés.
Elle adore le sang frais.
Jeanne s'est habituée à porter des peaux directement sur le corps.
Elle marche avec des mocassins.
Certaines nuits, elle dort dans le wigwam de Oumahrami.
Elle apprend la copulation des êtres humains.
Elle apprend l'orgasme mystique.
Avec les femmes, elle explore les plaisirs féminins.
Jeanne aime Oumahrami passionnément.
Elle le voit comme son mari.
Il n'est pas un micmac ordinaire.
Il est grand sorcier.
Il a été exilé de sa tribu à cause de sa magie surnaturelle.
Il refuse de croire dans les esprits communs.
Il préfère les rites interdits…
En effet, dès qu’elles sont en âge, ses femmes récoltent sa semence pour faire des bébés.
Lorsque le bébé est prêt à naître, toutes les femmes viennent aider.
Jeanne assiste à sa première naissance.
Si le bébé est un garçon, l'indigène le sacrifie aussitôt à la nature.
Il le tue de son poignard.
Son sang est bu rituellement.
Si c'est une fille, elle vivra.
Elle se joindra au groupe.
Elle prendra la place de la plus âgée qui devra offrir sa vie, en retour.
La cérémonie du sacrifice est particulièrement excitante.
Un rituel de sexe et de mort...
Jeanne apprend le secret du sorcier.
Toutes les femmes de l’indigène sont ses filles.
Toutes ses filles sont ses femmes.
Jeanne est la seule étrangère.
Elle se demande bien pourquoi il l'a sauvée.
Dans l'obscurité de la cellule, Caroline secoue Florentine gentiment.
L'adolescente ouvre les yeux.
Son sommeil lui a semblé plus apaisant que d'habitude.
Elle pense à Jeanne, perdue dans les forêts du Canada à découvrir la nature.
Des indigènes…
Du sang...
Du sperme...
Des sacrifices humains sous une pleine lune…
De la viande rouge…
Florentine a très faim.
Elle n'a jamais eu aussi faim de sa vie.
Elle accompagne Caroline jusqu'à la salle commune.
Les autres aphrodites commencent à arriver.
Le lieu obscur est rassurant.
Les ténèbres sont accueillantes.
Florentine se jette sur les viandes.
Elle mange en bête sauvage.
Elle déchire les chairs saignantes de ses dents.
Un peu de plaisir, enfin…
— Combien..? lui demande Apolline, après un moment.
— Combien quoi..?
— De capotes, avec ton client…
— Une seule.
— C'est maigre, dis moi… Tu as des progrès à faire... Le mien, c'était cinq fois… Deux fois, le cou… Une fois, le con… Deux fois, le cul...
— Le mien est très bavard… C'est le plus âgé...
— Alors ceci explique certainement cela...
Le vin redonne un peu de couleur à Florentine, devenue très pâle depuis son entrée dans la nuit.
Apolline lui parle technique.
Elle instruit Florentine sur les méthodes à employer.
Relâcher son fondement pour mieux laisser la verge entrer…
Respirer par le nez, sans s’étouffer, lorsqu'elle se fait encouer...
Ou bien, serrer les muscles du vagin pour accélérer la pollution...
Le bain commun dans la fontaine est très apprécié.
Les douleurs s'éloignent.
Apolline se frotte longtemps le con.
— Comme cela fait du bien..., commente-t-elle. Fortune ne m'a pas gâtée... Cet homme m'a déchirée… Sa verge est terriblement épaisse. Tu me lécheras bien, après..?
— Avec plaisir..., promet Florentine.
— Merci.
Elles s'embrassent tendrement.
Florentine en profite pour demander...
— Le premier prix... La petite Flavie… Pourquoi est-ce qu'elle n'est pas avec nous..?
— Elle reste à l'écart. Encore un peu…
— Pourquoi..?
— Elle n'a pas réalisé sa transformation. Elle est chrysalide… Tu es papillon... Cette nuit, elle…
— Tu parles trop..., la corrige Caroline qui les écoutait d'une oreille. Florentine n'est pas comme nous… Elle est d'ailleurs... Elle n'a pas besoin de tout savoir.
— Tu viens d'où..? demande Apolline, un peu vexée.
Florentine est confuse.
— D'où je viens..? Je ne sais plus…
— Le passé n'existe pas..., déclare Caroline, avec autorité. C'est une règle très importante de notre secte… Il est inutile d'y chercher quoi que ce soit. Ce qui compte, c'est de vivre l'instant... Savourons ce bain de jouvence qui répare nos corps... Savourons notre toilette qui répare nos esprits... Ce qui s'est passé la nuit dernière, en compagnie de ces monstres, n'existe déjà plus… Sommes-nous toutes d'accord..?
— Oui..., répondent-elles, en chœur.
— Le plaisir des aphrodites est celui d'être unies.
Florentine savoure la toilette commune.
Elle se demande pourquoi tout est si dur dans ce souterrain.
Ce serait plus agréable de se lécher sur des coussins moelleux plutôt qu’un sol dallé.
Florentine se sent particulièrement éveillée.
Elle est chargée d'une nouvelle énergie.
L'outrage de la veille est oublié.
Les soins…
Les massages...
Les coiffures...
Les baisers...
Les caresses...
Tout contribue à gommer ces pénibles moments.
Elle aime passionnément les filles qui partagent sa vie.
Elle le voit bien.
Une femme est belle.
Le monde lui appartient.
Les hommes sont des larves.
Des asticots…
La femme est papillon.
L'homme est mouche à merde.
Tout est dit.
Florentine pense aux mots d'Apolline.
— Flavie est chrysalide… Tu es papillon...
Elle se souvient vaguement d'un cours de sciences naturelles à l'école.
La chrysalide était l'étape intermédiaire entre la chenille et le papillon.
Le phénomène l'avait fascinée.
Florentine réalise qu'elle a effectué sa transformation comme Jeanne autrefois.
Elle n'est plus Flavie.
Elle n'est plus blonde.
Jacqueline l’a tuée.
Ensuite, elle l'a ramenée à la vie.
Comment..?
Qu'a-t-elle appris du sorcier micmac..?
La résurrection de la chair…
L'insignifiance du temps...
L'immortalité…
Comment faire..?
Le livre de chevet raconte l'histoire.
Il ne détaille pas les secrets.
Pourquoi l'avoir sauvée..?
Qu'est-ce qui a encouragé Jacqueline à la gare..?
Un prénom…
Flavie...
Un prénom qui serait aussi son ticket d'entrée.
Une chevelure blonde…
Le premier prix…
Un hasard..?
Sous les mains habiles de Caroline, Flavie pense à sa mère.
Blonde…
Jolie...
Aimée...
Disparue à jamais...
Pourquoi est-elle partie..?
Florentine ne croit pas à ces histoires de mère indigne.
Au contraire…
Sa vraie mère l’aimait plus que tout au monde.
Est-ce qu'un jour, elle finira par la retrouver..?
Pour lui dire quoi..?
Pourquoi elle l'avait abandonnée.
Pourquoi elle n'était pas là, pour la sauver.
Maman…
Maman…
Au secours, maman...
J'ai tant besoin de toi.
Tout en massant Caroline à son tour, Florentine demande spontanément...
— Si nous ne sortons que la nuit… Qui sont les compagnes des hommes que j'ai vu quand j'étais fille d'écurie..?
— Ce sont les femmes de jour… Nous sommes les filles de la nuit...
— Les femmes de jour..?
— Elles viennent du laboratoire ou de la clinique... Pour se divertir… Pour profiter du château… Elles peuvent utiliser les installations sportives... Mais, elles ne font rien avec les hommes... Peut-être juste un baiser ou une caresse chaste… Tu n'as pas à être jalouse... C'est juste un divertissement... Un tour en calèche… Un bon déjeuner...
— Et nous, alors..?
— Nous sommes la nuit... Le contraire du jour… L'autre côté de la médaille... Le pile du denier que tu lances pour jouer... Je pense que pour apprécier l'un, il faut avoir l'autre… Si tout n'était que luxure, alors il n'y aurait jamais de luxure... Tu comprends..?
— Je crois...
— Chaque nouvelle aventure, nous apprend quelque chose… Pour nous, orphelines, tout ceci n'est qu'un apprentissage... Cela fait partie de notre programme d'éducation jusqu'à notre majorité...
— Se prostituer..?
— C'est très important de le faire… Ainsi, nous savons comment les hommes fonctionnent... Ce qu'ils ont vraiment dans la tête… Après, ce sera plus facile pour nous de les tromper, de les voler et surtout… De les tuer..!
Les préparatifs des aphrodites se poursuivent.
Elles répètent le menuet qui, d'après certaines, était loin d'être parfait.
Elles s'amusent.
Elles se moquent des hommes rencontrés, sans entrer dans les détails de leurs personnalités.
Bien plus tard, le moment est venu de s'habiller.
Florentine pense retrouver sa belle robe de courtisane.
Il n'en est rien.
Le thème de la semaine est plus sombre.
Plus gothique...
Églantine habille Florentine d'un corset noir, à même la peau, qu'elle sert très fort.
Un jupon de tulle noir...
Une paire d'escarpins vernis à talons hauts...
L'adolescente garde la poitrine nue.
Le collier de chien est serré autour de son cou.
Une étoile pend à l'anneau.
Un pentacle, à cinq branches...
Le maquillage est sombre.
Ongles noirs...
Lèvres noires...
Fard à paupière charbonneux…
Une fois le maquillage terminé, Églantine lui souffle à l'oreille...
— Florentine… Pour toi, ce sera particulier...
— Quoi..?
— Dans la chambre… Il y aura un moment... Ouvre bien les yeux… Je ne peux rien te dire de plus... Sois bien attentive et tu comprendras…