La passion retombe.
Flavie et Jacqueline sont enlacées sur le grand lit défait.
— Allons prendre un peu l'air… J'ai beaucoup de choses à te montrer.
— Où sont mes habits..?
— Mon service de laverie les a pris... Ils sont passés de bonne heure, ce matin.
— Et mon sac..?
— Quel sac..?
— Un sac de toile...
— Je ne me souviens pas d'en avoir vu un… Où l'as-tu vu la dernière fois..?
— Je ne sais plus.
— Tu ne l'aurais pas laissé à la gare..?
— Je ne me souviens pas trop d'hier… Mais, il y avait un objet que je ne voulais pas perdre.
— Lequel..?
— Un médaillon… Le seul souvenir que j'avais de ma mère...
— Une femme qui t'a abandonnée… Allons, sûrement, qu'il n'était pas si important... Tu sais, les parents… Il faut s'en séparer le plus vite possible... Tu ne leur dois rien... Tu n'as pas d'obligation à avoir vis-à-vis d'eux...
— Ils m'ont élevée...
— Que t'ont-ils appris..? Les conventions sottes d'une société qui brime... Une société qui nous enferme dans une pensée sociale réductrice... Une société qui nie la moindre liberté... Viens, on va s'habiller…
— On ne se lave pas..?
— Tu te sens sale, après ce qu'on a fait..?
— Non.
— Alors, ce n'est pas nécessaire... Allez, suis-moi...
Flavie descend du lit.
Elle contemple les dégâts.
Les draps souillés...
Le pot de chambre...
...
Nue, Jacqueline quitte la chambre.
Hésitante, Flavie la suit.
Elle marche sur la pointe des pieds car le sol carrelé de la rotonde est glacé.
Elles entrent dans une pièce qui s'illumine instantanément.
Flavie est émerveillée par la garde-robe immense.
Des centaines de chaussures, d'habits et de chapeaux...
— C'est fou..! s'enchante l'adolescente.
— Oui, je sais, c'est un peu fou… Je ne jette jamais rien... Avec le temps, ça s'accumule, forcément...
Sur une console près de l'entrée, deux petits habits sont préparés.
— Ceux-là sont pour toi… Enfile-les et attends-moi ici...
Jacqueline s'éloigne vers un coin dérobé de la garde-robe.
Flavie déplie le survêtement gris.
Elle ne trouve pas de sous-vêtements.
Elle enfile le pantalon à même la peau.
Idem pour le haut...
Celui-ci est brodé sur la poitrine gauche, de trois lettres superposées et entremêlées.
H, O et R...
Elle remonte la fermeture à glissière.
Elle se chausse de la paire d'espadrilles grises.
Tout est parfaitement à sa taille.
Jacqueline revient.
Elle est vêtue d'un jean blanc et d'un chemisier blanc, bouffant aux épaules et aux manches.
Des bijoux en or, boucles d'oreilles, pendentifs et bracelets...
Aux pieds, des escarpins blancs...
Elle s'est coiffée d'un bandeau noir qui garde ses cheveux blonds plaqués en arrière.
Elle porte à nouveau sa paire de lunettes.
— Allons-y...
— On va où..?
— Faire un tour de la propriété… Mais, j'y pense… Tu dois avoir faim ou soif...
— Oui. Très…
— Passons par la cuisine...
...
Elles descendent le grand escalier.
Dans la cuisine, Jacqueline ouvre le réfrigérateur.
Elle en sort une assiette identique à la veille.
Trois tranches de jambon rose...
Elle la pose sur la table haute.
Jacqueline prend un verre qu'elle remplit d'eau du robinet.
Elle l'offre à Flavie.
— Vous n'avez rien d'autre à manger..?
— Prends-toi un fruit, si tu veux… Ils sont du verger...
Sur le comptoir, un grand bol rempli de pommes rouges.
Flavie en prend une.
— Merci...
L'adolescente s'installe sur le siège élevé.
Elle boit de l'eau.
Elle regarde la pomme dans sa main.
Elle hésite.
— Tu peux mordre dedans, elles ne sont pas traitées… Le verger est cent pour cent bio...
Flavie mord dans la belle pomme.
Adossée contre le comptoir, Jacqueline regarde l'adolescente manger.
— Vous ne prenez rien..?
— Ma foi, puisqu'on y est…
Jacqueline ouvre le réfrigérateur.
Elle en sort un réceptacle en plastique transparent, fermé hermétiquement.
Le contenu est rouge foncé.
Jacqueline le secoue énergiquement.
— C'est un smoothie..., s'enchante Flavie. Je peux en avoir un..?
— Ils ne sont pas pour toi… Tu n'aimerais pas...
Jacqueline perfore la protection plastifiée avec la pointe d'une paille en verre.
Elle aspire le liquide.
Flavie mange un peu de jambon froid, sans grand appétit pour la viande.
— C'est un mélange à la fraise..? demande Flavie.
— Si tu veux vraiment tout savoir, petite curieuse… C'est essentiellement du jus de fœtus...
— Du quoi..?!
— Je t'ai dit que tu n'aimerais pas...
Flavie est choquée mais l'attitude désinvolte de Jacqueline lui fait penser à une provocation.
— Et puis, du haut de tes quinze ans… Tu n'en as vraiment pas besoin..., ajoute Jacqueline avant d'aspirer sa boisson jusqu'à la fin.
La femme jette le réceptacle dans une poubelle en inox.
— Bon, t'as terminé..? demande Jacqueline sur un ton impatient.
Flavie regarde son assiette.
Une pomme croquée, une seule fois...
Une tranche de jambon, à peine entamée...
Elle ne veut pas retarder Jacqueline.
— Oui...
— Allons-y...
Elles laissent tout en plan.
...
Jacqueline et Flavie retournent vers la grande entrée.
Sur la table ronde en marbre, ornée d'un magnifique bouquet de fleurs fraîches, la boîte métallique de la veille n'est plus là.
À la place, Jacqueline trouve une chemise à documents.
Elle s'en empare.
Elle l'ouvre et commence à lire.
— C'est quoi..? demande Flavie.
— Ma parole, tu es curieuse comme un petit chat… Ce sont les résultats d'une analyse de sang...
— Vous êtes malade..?
— Elle n'est pas de moi… Tout va bien, ma chérie...
Jacqueline repose le document.
Subitement, elle tire Flavie vers elle.
Elle pose ses lèvres contre les siennes.
Elle force l'ouverture de la bouche de l'adolescente.
Elles s'embrassent profondément.
Flavie découvre le goût amer du smoothie, très particulier.
— Nous allons faire de belles choses, aujourd'hui... Attends, j'avais presque oublié… Ne bouge pas, mon petit chaton...
Jacqueline s'éloigne.
Flavie patiente.
Elle tourne sur elle-même.
Elle est époustouflée par l'endroit.
Perturbée par tout ce qui vient de se passer.
Elle pense à la gare.
Le contraste s'entrechoque dans son esprit.
Le souvenir...
Une fuite hasardeuse en train...
Gares tristes, sièges sales, voyageurs indifférents...
Elle s'éveille dans ce château au luxe inouï.
Transformée...
L'amour physique l'a chavirée.
Son corps est chargé de dopamine.
Elle se sent nouvelle.
Excitée...
Agitée...
Frénétique...
Aller si loin...
Si vite...
Sans préparation...
Indifférente aux rochers, aux rouleaux et aux remous, Flavie s'est jetée d'une falaise pour plonger dans une mer houleuse.
Un chant de sirène...
L'adolescence…
La sexualité est un thème constant à l'école ou entre amies.
Une excitation culturelle, renforcée par les attitudes modernes...
Trop d'écrans...
Trop d'images...
Trop d'imagination...
Flavie sait tout de tout.
Flavie ne sait rien de rien.
D'un coup, elle remonte à la surface agitée.
Elle respire.
Elle lève le nez vers le haut de la falaise.
Elle n'en est pas morte.
Mais, bien incapable de remonter...
...
Jacqueline revient du salon mitoyen avec un bout de ruban à la main.
Un ruban rouge soyeux...
— Lève tes cheveux...
Usant de ses deux mains, Flavie écarte ses cheveux blonds du haut de ses épaules.
Jacqueline noue le ruban rouge autour de son cou.
Elle s'applique à faire un joli nœud.
— Voilà, c'est mieux...
Flavie laisse retomber ses cheveux.
Elle se regarde dans un des grands miroirs de l'entrée.
Elle apprécie la petite touche de couleur.
— Qu'est-ce que ça représente..?
— C'est pour les autres demoiselles du domaine... Cela veut dire que tu es à moi… Tu es soumise à mes caprices... Tu es ma propriété... Alors, pas toucher...
Jacqueline pose un baiser sur ses lèvres.
Inquiète des paroles de la femme, Flavie ne dit rien.
Elle se demande intérieurement qui sont les autres demoiselles.
— Allez, viens…
Jacqueline pousse la lourde porte de verre et de fer forgé.
...
Dehors, le temps est ensoleillé.
Flavie lève le nez au ciel.
Elle devine qu'il doit être midi passé.
Elle aimerait savoir l'heure mais elle n'a pas vu d'horloge dans la maison.
Jacqueline ne porte pas de montre.
Elles descendent les marches du perron.
— Quelle belle journée..., s'enchante Jacqueline. Comme l'air est frais… C'est absolument divin... La nature est notre seule et unique divinité, Flavie... Je l'admire tellement... Nous devons être, tous les matins, éternellement reconnaissantes d'être en vie...
Flavie ne dit rien.
Elle est surprise de constater que la magnifique voiture de sport de la veille n'est plus là.
Elle a été remplacée par un petit véhicule électrique pour terrain de golf.
Jacqueline monte à bord.
Flavie prend le siège à ses côtés.
Jacqueline appuie sur la petite pédale de l'accélérateur.
Le véhicule se met en mouvement.
— Où sommes-nous exactement..?
— Chez moi… Les initiales sont brodées sur ton vêtement... H-O-R... Le Haras des Ormes Rouges...
— C'est un lotissement sécurisé..?
— Non, ma petite chérie… Tout ici… Tout ce que tu vas voir aujourd'hui, est à moi... C'est ma propriété privée... Le terrain fait un peu plus de sept cents hectares... Imagine un grand rectangle, avec un des côtés qui fait deux kilomètres et l'autre, qui fait trois kilomètres et demi... La maison où j'habite s'appelle le petit château… Le grand château, c'est aussi le haras... On y élève des chevaux... Des étalons pour la reproduction… On les fait saillir pour vendre leur semence... Mais, il y a aussi des chevaux de manège... Tu as déjà fait de l'équitation..?
— Non.
— Si tu restes ici un peu plus longtemps, tu pourras apprendre... C'est agréable de galoper le long des allées lorsqu'il fait beau comme aujourd'hui...
— Vous êtes riche, alors..?
— Très riche, Flavie... Mais, pas à vendre de la semence d'étalon... Le haras, c'est plutôt un passe-temps… De l'autre côté de la propriété, en bordure de la ville, il y a les Laboratoires Moreau... Ils sont à moi, aussi... Je m'appelle Jacqueline Moreau... Tu as peut-être déjà entendu parler de nos produits..?
— Non.
— C'est essentiellement de la pharmacie... Nous sommes spécialisés dans la contraception... La pilule combinée… La pilule progestative... La pilule du lendemain... Mais, aussi des produits annexes… Les stérilets... Les implants... Les spermicides... Les préservatifs... Et même des produits cosmétiques et des sex-toys… Tu sais, des gadgets sexuels... Les usines de fabrication sont dans plusieurs pays... Ici, on fait surtout de la recherche et du développement…
— Tout est vraiment à vous..?
— Oui.
— Alors, vous êtes très, très, très riche..!
— Je suis immensément riche, ma petite Flavie... Ma fortune personnelle se compte en milliards d'euros... Avec cet argent, et tous les privilèges qu'il me donne… Je peux faire absolument tout ce que je veux...
— Vous avez un avion privé..?
— Non, Flavie... J'en ai deux..!
La jeune fille est époustouflée.
— Vous avez tout créé, toute seule..?
— C'est un peu compliqué… Les Laboratoires Moreau, c'est surtout ma mère... Avant son époque, il n'y avait pas de pilule en vente libre… Moi, je continue de développer sa vision...
— Vous êtes mariée..?
— Non, surtout pas..! Quelle horreur… Des femmes, comme nous, tu n'y penses pas... Nous aimons trop la vie... Nous ne devons jamais nous marier...
— Vous n'avez pas d'enfants..?
— J'ai des filles qui dirigent les différentes filiales... Elles s'occupent de la gestion au quotidien... Comme ça, j'ai plus de temps pour les petites fées, comme toi…
Jacqueline pose une main sur le haut de la cuisse de Flavie.
...
Sur le chemin bordé d'arbres centenaires, deux cavalières apparaissent.
Elles sont montées sur de grands destriers.
Bottes noires...
Pantalons blancs...
Vestes rouges sur des chemisiers blancs...
Cravates blanches...
Lorsque le petit véhicule de Jacqueline approche, elles soulèvent, à l'unisson, leurs bombes noires, pour les saluer.
Deux belles jeunes femmes coiffées de tresses foncées...
Jacqueline leur répond d'un petit signe.
Impressionnée par la taille des montures, Flavie se retourne pour les voir passer.
Elle note que, dans leurs dos, les cavalières ont des armes en bandoulière.
Ce ne sont pas des fusils de chasse mais des armes puissantes, de catégorie militaire.
— Si tu vois une veste rouge, c'est la sécurité… C'est très important ici... Nous avons beaucoup de belles choses à protéger...
Jacqueline avance sa main plus haut sur la cuisse de Flavie.
— Je suis folle de toi, tu sais..., ajoute Jacqueline avant de s'engager sur le chemin de droite.
...
Au détour d'un bosquet, elles découvrent le grand château, encore distant.
Jacqueline roule jusqu'au centre de la perspective, légèrement surélevée.
Elle stoppe le véhicule.
— Voici le grand château… Le Haras des Ormes Rouges...
— C'est immense..!
Flavie admire le point de vue.
Le magnifique château du dix-huitième siècle a une façade principale de près de cent mètres.
De ce côté, il donne sur le vaste jardin à la française, parfaitement entretenu.
Dans leurs dos, les allées cavalières longent, de part et d'autre, un mausolée distant, bâti au sommet d'une colline.
De forme circulaire, ce dernier est coiffé d’un toit pyramidal doré, qui reflète le soleil.
— Ça te plaît..?
— Tout ça, c'est vraiment à vous..? demande Flavie, émerveillée.
— Ce n'est qu'un petit bout… Il y a les communs... Les écuries... Un manège équin... Une piste de course pour les chevaux... Des potagers pour les légumes... Des jardins pour les fleurs... Une animalerie... Un pigeonnier... La grande ferme... Le moulin... Les vergers... Les étangs... Sans compter, la très grande forêt pour la chasse… La propriété n'a pas changé de main depuis mille sept cent quarante et un... Tu vois, c'est mon petit paradis sur terre… Et maintenant, tu y es...
Jacqueline se penche vers Flavie.
Elle approche sa bouche.
Cette fois-ci, elle ne résiste pas.
Elle glisse sa main gauche dans le bas du survêtement de l'adolescente pour lui caresser le con.
— Si… Si quelqu'un nous voit..., rougit Flavie.
— Tu ne réalises pas encore, mon amour… Tout est à moi, ici... Je fais tout ce que je veux... Je pourrais te gamahucher immédiatement, sans que personne n'y trouve à redire...
— Mais, que penseraient les gens de nous..?
— Les opinions des autres ne m'intéressent pas… Chacune, dans ce monde, doit être libre de faire comme bon lui semble... La réputation n'a pas d'intérêt... Ce qui compte, c'est ce que tu réalises... La beauté de tes constructions... La grandeur de tes œuvres...La puissance de tes inventions... Le comment de l'art n'entre pas en ligne de compte... Le comportement de l'artiste, encore moins... Prenons un peintre, par exemple… Si pour créer sa toile, il a besoin d'une petite fille toute nue sur un divan, les jambes bien écartées, avec son petit chien qui lui lèche le con… Ma foi, quelle importance..? C'est le résultat qui importe… Le tableau final, exposé dans une galerie à la vue de tous... Si tu veux rester ici, mon petit chaton, tu dois te libérer des opinions que tu portes sur toi-même... Te libérer de celles que tu as imaginé, que les gens portaient sur toi... De nos jours, la moralité est chaque jour diminuée... Je m'en réjouis, tu sais... Autrefois, nous avons longtemps combattu la religion chrétienne… Bien heureusement, nous en sommes venues à bout... Un prêtre est devenu un personnage ridicule… Nous voyons ces tartuffes pour les malfaisants qu'ils sont... Cela ne veut pas dire que nos combats sont terminés... La religion a pris une autre forme... Elle n'a fait que changer de nom... Autrefois, l'ennemi de la France était le catholicisme... Aujourd'hui, c'est l'étatisme… Les pontifes sont politiques... Les évêques se nomment ministres... Nous aurons toujours des ennemis, Flavie... Le plus important est qu'ils restent derrière nos murs... Qu'ils nous laissent en paix...
Jacqueline retire la main du pantalon de l'adolescente.
Elle lèche ses doigts.
— Ton foutre est délicieux...
— Vous ne croyez pas en Dieu..?
— Comme je disais, il n'existe qu'un seul Dieu, ma petite chérie… Pas l'invention ridicule que le Pape et ses sbires pédérastes continuent de vénérer, à genoux, en se branlant mutuellement... Notre Dieu, c'est la nature… Nous sommes sur terre pour la défendre...
— L'écologie..?
— La nature de l'Univers... La nature humaine… L'écologie n'est pas une mauvaise chose tant qu'on ne la pratique pas au nom des masses grouillantes et misérables... Sache que je ne combats pas la pollution secondaire, produite par les humains... Je combats la pollution primaire, celle de l'homme... L'homme au masculin, j'entends… Cet homme qui ignore la nature... Cet homme qui devra, un jour, j'espère... Retrouver la compréhension de ce qu'il est véritablement... L'homme, vois-tu, n'est pas le maître de toutes choses… Il n'est nullement divin... Il fait partie d'un système naturel... Alors, détruisons les mythes qui asservissent..! Déchirons les lois qui protègent..! Qui garantissent un revenu universel... Qui œuvrent au bonheur illusoire... L'homme est une bête sauvage… Une créature de la seule nature... Qu'il soit donc confronté à son véritable état... Qu'on remette la nature au centre de son intérêt...
— Comment..?
— En détruisant autant de mâles qu'on le pourra..! Tout simplement...
...
Jacqueline met le petit véhicule en mouvement.
Elles longent l'allée cavalière en bordure des jardins pour se diriger vers l'imposant château.
— Je ne comprends pas..., déclare Flavie. Pourquoi construire tout ça, alors..? Pourquoi posséder un château plein de trésors si ce n'est pas pour le partager..?
— Le partager..?! Quelle horreur..! Surtout pas… Ce que tu vois, c'est la finalité du maître... Le maître doit laisser son empreinte sur la terre... Il n'a pas à se justifier... Prends l’Égypte antique… Le pharaon, avec tout son pouvoir et tous ses esclaves... Il aurait pu se contenter de jouir de son état de souverain... De toutes les façons imaginables… Mais non, il décide de bâtir des pyramides... D'user, à la tâche, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, pour réaliser sa vision... Seule la vision compte..! J'utilise le mot Providence... Une providence naturelle… Qui n'a rien à voir avec la définition religieuse... Je te parle d'un mécanisme beaucoup plus compliqué… Car, il ne suffit pas de dominer bêtement... Il faut laisser la preuve de sa domination... Par la création… Ou l'invention... Seuls quelques êtres font avancer l'humanité... Seuls quelques êtres laissent une empreinte éternelle... Voilà l'inspiration… Et, la question qui t'est posée, à toi personnellement, est… Qui suis-je dans cet ordre des âges..? Suis-je maître ou esclave..? C'est la question essentielle… Si je suis maître, alors ma tâche est de bâtir... Du magnifique..! Du prestigieux..! Sans arrêt... Quel qu'en soit le coût humain..! Si je suis un esclave, par contre, ma tâche est d'obéir... Accepter mes chaînes pour la grandeur de mon maître… Toi, qui est encore très jeune, Flavie… Tu ne sais encore rien de la vie, mais tu peux comprendre cette simple leçon... C'est la question... Qui seras-tu demain..? Maître ou esclave..? Regarde-toi, aujourd'hui, à travers l'œil de la Providence...
Flavie écoute attentivement mais la compréhension profonde lui échappe.
La femme poursuit...
— Les jeunes enfants, où qu'ils soient, où qu'ils naissent, commencent toujours en position d'esclaves... Ils sont la propriété de leurs parents ou d'un tuteur ou de je ne sais quelle institution… Ils ont très peu de droits... Les quelques-uns qu'ils pourraient obtenir sont facilement bafoués... Exploitation... Abus... Inceste… C'est notre lot... Moi aussi, à ton âge, j'ai commencé comme toi... C'est absolument naturel… Parfaitement juste... Ensuite, ils peuvent grandir ou demeurer dans cet état... Regarde nos sociétés modernes, elles sont devenues des sociétés d'enfants... Des enfants qui vivent au dépend du parent commun qu'on nomme État... D'affreux mouflets qui pleurent constamment… Ils vivent les mains tendues comme des mendiants... Toute leur existence est dictée... Chaque étape est organisée... École... Travail... Retraite... L'étatisme, nouvelle religion collectiviste, dirigiste et altruiste, refuse à l'homme sa maturité... Son émancipation…
— Nous ne pouvons pas tous être des maîtres.
— Nous pouvons tous être maître de nous-même... Corps et esprit… Ensuite, à chacun de descendre dans l'arène afin de distinguer les gagnants...
— La loi du plus fort..?
— C'est une des trois lois fondamentales… La loi du plus fort, c'est la loi du corps... Du monde physique… La loi du plus intelligent, c'est la loi que j'appelle du corps-esprit... De la matière grise, en somme... L'intelligence, si tu préfères… Enfin, la troisième, c'est la loi du plus créatif... La loi du pur esprit... L'invention… Certains parlent de l'âme... Peu importe... Sache que c'est la combinaison des trois qui fait, d'un être humain, un Alpha… Une déesse... Un apollon... Des êtres développés seulement en partie, on en rencontre suffisamment… Deux composantes... Une seule... Ce n'est pas assez..! La femme dominante doit posséder les trois... Force... Intelligence... Esprit... Elle devient maîtresse… Elle bâtit un château... Elle invente un médicament... Elle crée une œuvre d'art impérissable...
Flavie grimace.
Elle est débordée par le flot de paroles.
Elle ne comprend plus.
Jacqueline poursuit sa pensée.
— L'étatisme, dont j'ai parlé, c'est exactement l'inverse… Faiblesse physique... Idiotie... Pensée unique… C'est la source de tout ce qui est laid et mauvais dans ce monde... Mais, je m'éloigne du sujet… Lorsqu'on est une jeune fille, comme toi, on ne peut pas maîtriser les trois forces, sans éducation... À quinze ans, à vivre comme tu l'as fait, tu as pris énormément de retard... Mais, rien n'est perdu… Il est encore possible d'arracher à ta personne tous les travers enseignés... Mais, tu dois bien choisir ton professeur… Est-ce que tu choisis la société actuelle..? Avec ses trois grandes sources d'abrutissement... Parents, enseignement scolaire et système étatique... C'est-à-dire, une vie de mort-vivant… Soumise à des centaines de règles inventées... Ils te disent qui tu dois être... Que penser… Que faire... Ou bien, choisis-tu un professeur qui va former en toi les trois forces individuelles..? C'est-à-dire, révéler ta véritable nature... Pour te rendre forte, intelligente et inventive… Et ensuite, armée de ces qualités, te lâcher dans le monde pour oser l'impossible… La liberté de tout faire... Tout expérimenter... Tout inventer... Sans égard pour aucune forme de moralité...
— Je…
— En partant de chez toi, Flavie, tu as déjà fait un premier choix... Tu t'es dit, je préfère ne rien posséder plutôt que d'avoir ce qui m'est offert... Je t'applaudis..! Je t'admire, Flavie..! Si tu es aujourd'hui, chez moi… Dans mon paradis… C'est parce que tu as fait ce grand pas... Je te regarde et je me dis… Voilà, une jeune fille que la nature a gâtée... Physiquement, tu es très belle… C'est très important pour moi... Alors, pourquoi jeter cette belle fleur à la poubelle..? Pourquoi ne pas lui donner une chance de s'épanouir..? Si tu veux grandir avec moi, il faut oublier tout ce qu'on t'a appris... Tu effaces tout..! Tu n'y penses même plus..! Ouvre ta vie à l'absolu que t'a offert la nature... Ce n'est pas l'écologie, comme tu disais… Mais bien la vraie nature qui est en toi... Force..! Intelligence..! Invention..! Phi… J'utilise le symbole phi… ϕ... La lettre grecque… La vingt-et-unième lettre de l'alphabet antique...
Flavie est troublée.
Elle pense à son médaillon.
Sa mère...
Elle ne dit rien.
Elles viennent d'arriver de l'autre côté du château.
Jacqueline ralentit le véhicule.
Flavie découvre, de part et d'autre de l'allée pavée qui mène à la bâtisse somptueuse, les deux écuries construites dans le même esprit que le bâtiment principal.
Quelques silhouettes distantes s'occupent de chevaux.
— Voici l'entrée principale..., précise Jaqueline… D'ici, la route départementale est à un kilomètre, en ligne droite... L'allée est entièrement pavée... Elle est bordée des fameux ormes rouges qui donnent le nom à la propriété... Ils ont été ramenés du Canada, tu sais… De la ville de Yarmouth... Mais, autrefois, c'était l'Acadie, un morceau du royaume de France… Yarmouth s'appelait Sainte-Anne-du-Ruisseau... On pouvait y poser l'ancre, une fois passé le Cap-fourchu...
Le regard porté sur les magnifiques arbres centenaires parfaitement alignés, Jacqueline reste en contemplation intérieure, comme si elle évoquait un souvenir plutôt qu'une leçon d'histoire.
— J'ai soif d'avoir tant parlé… Viens, mon petit chaton, que je te montre un peu l'intérieur...