Flavie entre dans la chambre à coucher.
Clémence est à genoux au centre de la pièce.
Elle est nue sur la belle moquette blanche.
Ses bras sont tirés en arrière.
Ses poignets sont liés à ses chevilles.
Ses jambes sont écartées.
Elle est ligotée de la tête aux pieds.
Les cordes qui l'enserrent sont similaires à un shibari japonais.
Ses seins, encerclés par le cordage, sont vulgairement proéminents.
Sa vulve est ouverte.
Un bâillon-boule rouge à lanières de cuir noir obstrue sa bouche.
Clémence ouvre de grands yeux terrifiés.
Flavie est figée devant le spectacle inattendu.
La prisonnière s'agite.
Le bâillon ne lui permet qu'un faible gémissement.
L'adolescente sourit.
Elle comprend la situation.
Le jour de ses seize ans…
Le cadeau promis par Jacqueline...
Sa belle-mère, offerte sur un plateau d'argent…
La torture promise...
Le supplice anticipé...
Flavie rit de joie.
Tout n'a été qu'un savant stratagème pour l'amener ici.
Jouer avec son esprit…
Lui ôter son libre arbitre...
Rodilardus, jouant avec ses souris...
Madame, impératrice des machinations…
Flavie admire la mise en scène.
Elle est soufflée par le coût de cette réalisation complexe.
La minutie des détails…
Du décor...
Des interprétations...
Clémence arrête de s'agiter.
Flavie observe le corps de la femme de trente-sept ans, offert pour sa vengeance.
Elle voit les veines saillantes le long de son cou.
Les rides d'angoisse autour de ses yeux...
Une faim terrible s’empare d’elle.
Finalement, une source de sang frais...
Fortune lui sourit.
Flavie se tourne vers le miroir de plein pied, juste à côté.
Elle découvre son reflet.
Elle ne se reconnaît plus.
Qui est-elle..?
Elle n'est pas Flavie.
Elle n'est pas Florentine.
Elle est tellement différente.
Transformée…
Transmutée dans le corps d'une fille d'à peine treize ans, plutôt épaisse...
Plutôt moche…
Plutôt ordinaire...
Où est Florence Rousselle..?
Qu'a-t-on fait d'elle..?
Vit-elle dans le reflet d'un miroir..?
Elle laisse échapper un cri de colère.
Engoncée dans des habits qui la serrent, Florence se déshabille.
Elle retire ses Converse.
Ses socquettes blanches…
Le hoodie noir...
La paire de jeans troués...
Le t-shirt noir…
Le petit soutien-gorge de coton...
La culotte blanche...
La voici, nue…
Sans artifices…
Sans déguisement...
Le corps replet d'une adolescente châtain, informe et sans intérêt...
Une fille que personne ne remarque jamais.
Ignorée…
Oubliée...
Perdue...
Elle touche la médaille autour de son cou.
Ce n'est plus la lettre ϕ, mais une simple petite croix dorée.
Mon père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié.
Florence l’arrache.
Elle la jette à terre puis crache dessus.
Clémence la regarde faire.
Deux grands yeux bleus, affolés et étonnés…
Florence se reprend.
Sa rage est passée.
Elle observe le décor de la chambre si familière.
Les beaux meubles, copies d'anciens…
Le grand lit à baldaquin...
La belle commode…
La coiffeuse...
Quelques tableaux de brocante...
Le portrait d'une marquise, bien en chair, vêtue d'une robe carmin...
Sur l'autre pan du mur, une série de grandes photos encadrées...
Florence s'en approche.
Clémence tourne la tête pour suivre son avancée.
L'adolescente observe les photographies.
Elle fronce des sourcils.
— Que des photos de toi… Pas une seule de moi..!
Clémence, en vacances, sur une plage...
Jeune…
Belle...
Blonde...
Toute bronzée dans son maillot de bain sexy...
Clémence à la montagne, enveloppée de sa doudoune orange, exhibant un sourire étincelant...
Clémence sur son cheval…
Bottes noires...
Pantalon blanc...
Habit noir...
Une cascade de cheveux blonds sous sa bombe d'équitation...
Le magnifique destrier noir attire son attention.
Un H majuscule est brodé sur le tapis de selle...
Florence grimace de colère.
Les gémissements plaintifs de la femme ligotée l'indiffèrent.
Sa mère est bien comme elle la souhaitait.
Prisonnière...
Offerte…
Soumise...
Comme dans le grand livre de photos du petit château...
Cent vingt journées de plaisirs illimités…
Elle a tout son temps.
Florence poursuit son exploration.
Elle se déplace vers le petit bureau.
Du beau papier…
Des stylos à plumes...
Des encriers...
Les cartes empilées d'un tarot de Marseille...
Sur le dessus, le XX…
Un ange annonce le jugement dernier.
Florence ouvre le coffret à bijoux.
Il est rempli de bracelets, de pendentifs et de boucles d'oreille.
De la bijouterie fantaisie dorée…
Elle soulève l'étagère.
Florence trouve dans le creux du pli, le médaillon recherché.
C’est bien lui.
Le symbole de sa philosophie...
De sa croyance hérétique...
ϕ
Elle passe la petite chaîne autour de son cou.
Elle clôt le fermoir de l’objet convoité.
Elle referme le couvercle du coffret.
Un coin de lettre dépasse sous l'agenda de cuir.
Une enveloppe décachetée…
Elle lit l'adresse, écrite à la main...
Madame Constance Rousselle
20 rue Lavoisier
…
Frustrée par sa découverte, Florence déchire le courrier et jette les morceaux dans la petite corbeille à papiers.
Elle se déplace en bordure du lit.
Sur la table de chevet, un gros livre épais...
La photo d'une jeune femme en couverture...
Le titre, un prénom...
Jacqueline...
Elle l'ignore.
Elle préfère ouvrir le tiroir.
Elle écarte des foulards de soie pour révéler des revues érotiques féminines.
Des hommes nus en couverture...
Mais, aussi...
Des préservatifs…
Des jouets sexuels féminins...
Elle cherche plus loin.
Elle le trouve dans le fond, mélangé au fouillis.
— Il est là..! s'exclame l'adolescente, ouvrant la bouche pour la seconde fois.
Furieuse, Florence exhibe le petit cahier rose.
— Tu n'avais pas le droit de le prendre..! Tout ça, c'est à cause de ça, tu sais… C'était privé..! Tu n'avais pas le droit..! C'est pas parce que c'est écrit que c'est la vérité…
Florence jette le cahier en direction de sa mère.
Constance gémit de plus belle.
Florence revient vers la femme ligotée.
Elle voit en bordure de sa nuque la boucle qui maintient le bâillon attaché.
Elle la défait.
Aussitôt, Constance tousse violemment.
Elle se reprend.
Elle respire plus facilement.
Florence se place devant elle.
— Où est Lothaire..?
Constance fronce des sourcils.
Elle ne comprend pas.
— Où est mon père..? Pourquoi l'as-tu chassé..? Pourquoi..? Pour être en paix..? Et puis, c'est qui ces hommes qui t'écrivent tout le temps..? Tes amants... Les hommes… Que j'entends dans la nuit...
Constance secoue la tête négativement.
— Tu ne peux pas parler..?
Constance déglutit difficilement.
Après l'effort, les seuls mots qui sortent de sa bouche sont...
— C'est elle…
— Qui..? Qu'est-ce que tu dis..?
— Sainte Anne…
— Sainte qui..?
Constance articule difficilement.
— Travée…
Les paroles incompréhensibles énervent tellement Florence qu'elle gifle sa mère de toutes ses forces.
Constance accuse le coup.
Elle ne crie pas.
Elle ajoute...
— Agneau…
— Je ne comprends pas... Je ne te comprends pas..! Je ne sais pas ce que tu veux me dire...
— Huis… Tiens…
Constance respire lourdement.
Chaque parole est difficile à formuler.
— Où est Florence..? Où est-elle, bon sang..? enrage la fille.
— Suissesse…
L’adolescente exprime une incompréhension totale en entendant les élucubrations maternelles.
— Où est Florence..? Dis-le moi…
— Capri…
Furieuse, Florence gifle sa mère une seconde fois.
— C'est tout ce que tu sais dire..? Du n’importe quoi, comme d’habitude… T’es très bête, tu sais… Rien dans la tête... Jolie, mais conne comme ses pieds…
— Des œufs…
Constance secoue la tête de gauche à droite.
— Mais, ça veut dire quoi, à la fin..? T'as perdu la tête..?
— Neuvaine…
Furibonde, Florence la gifle une troisième fois.
La joue de sa mère est cramoisie.
La femme pleure mais ne crie pas.
La fille s'éloigne.
Elle tourne en rond.
Elle ne sait plus quoi faire.
— Tu n’es plus ma mère… Tu es indigne... Je te déteste..!
Florence quitte la chambre.
Elle fonce vers l'escalier.
Elle descend à toute vitesse.
Elle entre dans la cuisine.
Elle ouvre le premier tiroir.
Elle voit le sécateur pour tailler les rosiers.
Elle s'en empare.
Elle remonte à l'étage à toute vitesse.
Dans la chambre de sa mère, rien n'a changé.
Constance est horrifiée lorsqu'elle voit sa fille revenir avec le sécateur à la main.
Florence la menace en actionnant les lames dans le vide.
Constance veut hurler mais pas un son ne sort de sa bouche.
Un cri muet...
Perdant son sang froid, l’adolescente éclate en sanglots.
— Tout ça, c'est de ta faute, maman… C'est toi qui m'a abandonné... C'était ton devoir de me protéger...
Constance ferme les yeux.
Elle serre la mâchoire.
La culpabilité la transperce.
— Tu as fait partir, papa... Il m'aimait beaucoup, lui… Tu sais que je n'ai même pas de souvenir de son visage...
Constance répond d'un non de la tête.
— Tu ne t'es pas bien occupée de moi… Tu es trop égoïste... Tu es une mauvaise mère... La pire des mamans..!
Constance se mord les lèvres.
— Tout ça ne devait jamais m'arriver…
Muette, Constance pleure en silence.
Des larmes épaisses coulent le long de ses joues.
— C'est de ta faute..., insiste Florence.
Constance fait non de la tête.
— Tout est de ta faute, maman....
À son tour, l'adolescente est submergée par ses sanglots.
— Je vais m'en aller… Je ne reviendrai plus jamais... Plus jamais, tu entends..!
Constance pleure à arracher son âme.
— Adieu, maman…
Constance penche la tête en avant de soumission.
Elle présente sa nuque.
Ses longs cheveux blonds lui cachent le visage.
Florence laisse tomber le sécateur sur la moquette blanche.
Sa mère s'est transformée en statut de sel.
Elle tourne des talons.
Elle quitte la chambre à coucher.
Elle longe le couloir de l'étage.
Elle emprunte les escaliers.
Arrivée au rez-de-chaussée, elle avance vers la porte d'entrée.
Elle défait le verrou.
Elle ouvre la lourde porte.
La lumière du jour l'aveugle.
Elle cligne des yeux.
Elle avance vers la rue.
Sa nudité l'indiffère.
Elle sent le vent frais entre ses cuisses.
Elle avance jusqu'au portail.
La rue est aussi déserte qu'avant.
Sur le trottoir, elle s'arrête brutalement.
Elle la voit pour la première fois.
La maison d'en face…
Une grande maison blanche, bien plus imposante que celle de sa mère...
Un toit noir...
Un saule pleureur…
Un gazon bien entretenu...
Des roses rouges...
Une habitation calme...
Une maison tranquille…
Paisible...
Derrière la grande baie vitrée, les rideaux fins sont tirés.
Un détail la trouble.
Sur le rebord de la vitre, un renard empaillé la fixe avec angoisse.
Flavie fait un pas vers l'animal lorsqu'une voiture bloque son passage.
Le véhicule freine dans un crissement de pneus retentissant.
Flavie la reconnaît.
La voiture de Jacqueline...
La Bentley Continental GT blanche...
La portière côté passager s'ouvre automatiquement.
Flavie entre dans le véhicule.
Derrière le volant, Jacqueline…
Blonde...
Belle...
Élégante...
Elle lui sourit de toutes ses belles dents blanches.
— Ça va, ma chérie..? Ça s'est bien passé..? Tu as fait tout ce que tu voulais faire..?
Flavie ne répond pas.
Elle appuie sur la commande de la lourde portière qui se referme ensuite d'elle-même.
L'habitacle est feutré.
Les bruits extérieurs sont étouffés.
Jacqueline démarre lentement.
Pour faire demi-tour, elle tourne le véhicule une fois vers le trottoir opposé.
Elle engage ensuite la marche arrière, jusqu'au trottoir précédent.
Elle a maintenant assez de place pour repartir.
Flavie tourne la tête précisément à cet instant.
La maison d'en face…
Le numéro vingt-et-un...
Une plaque de cuivre...
Flavie a juste le temps de lire…
Docteur Gilles Moreau
Gynécologue Obstétricien
Sur rendez-vous uniquement.
Jacqueline accélère.
Elle conduit calmement.
Derrière ses lunettes, ses yeux ne quittent pas la route.
Flavie réalise qu'elle est toute nue.
— Tu as une couverture de cachemire sur le siège arrière...
Flavie se retourne.
Elle voit la belle couverture à portée de main.
Elle s'en empare.
Elle se couvre.
Jacqueline lui sourit.
Elle appuie sur une touche en bordure de la console.
Le siège de Flavie s'allonge de lui-même.
— Repose-toi, ma petite chérie… Nous serons vite à la maison...
Flavie se détend.
Le siège enveloppant est chauffant.
Il est très confortable.
La couverture est douce sur sa peau.
Elle se sent mieux.
Elle ne veut pas penser à la femme ligotée dans sa chambre à coucher.
Elle ne veut plus jamais penser à cette rue lugubre.
Il n'existe que le Haras des Ormes Rouges pour la rendre heureuse.
C'est tout ce qu'il lui reste, à présent.
La voiture berce Flavie.
Elle se tourne vers Jacqueline.
Cette femme est si belle.
Si rayonnante de vie...
Flavie ferme les yeux.
Un crissement de pneus sur les graviers...
Flavie ouvre un œil.
Son sommeil était tellement profond qu'elle ne s'est même pas rendu compte des kilomètres parcourus.
Elle regarde par la fenêtre.
Le petit château de madame…
Elle est de retour chez elle.
La joie revient.
Elle ouvre la portière.
— J'ai mis tes habits dans la chambre Louis XV..., l'informe Jacqueline.
Enveloppée de la couverture, Flavie l'écoute à peine.
Elle sautille vers l'entrée.
Les graviers lui font mal aux pieds.
Elle grimpe les marches du perron.
Elle pousse la lourde porte de fer.
Tout est aussi somptueux qu'avant.
Le grand bouquet de fleurs fraîches sent bon.
Flavie monte le grand escalier à toute vitesse.
Elle entre dans la chambre Louis XV.
Elle lance la couverture de cachemire sur le divan.
Elle entre dans la salle de bain.
Elle se soulage dans les toilettes.
Elle avait très envie.
Elle lève le visage, en demandant...
— Je voudrais une assiette de viande et un verre d'eau...
Flavie se lève.
Elle n'actionne pas la chasse d'eau.
— S'il vous plaît..., ajoute-t-elle, à l'intention des duègnes, en souriant.
Elle tourne les robinets dorés de la baignoire pour se couler un bon bain chaud.
Elle allume les lumières.
Elle ferme la porte.
Elle se regarde dans le miroir.
Elle est elle-même.
Flavie…
Blonde avec les yeux bleus...
Tous les traits de sa mère, en mieux...
Quinze ans...
Sexuellement épanouie...
Non…
Seize ans, maintenant..!
Elle avait presque oublié.
Elle dégage la brosse à dents de son emballage.
Elle applique un peu de dentifrice.
Elle brosse vigoureusement sa dentition.
Tout en continuant à le faire, elle se glisse dans le bain chaud.
Dans la cuisine, Jacqueline sourit en voyant, sur grand écran, sa fille en train de s'amuser dans le bain moussant.
Elle ouvre le réfrigérateur.
Elle sort un récipient en plastique rempli d'un liquide rougeâtre.
Elle le secoue vigoureusement.
Elle perfore la protection en plastique avec la paille de verre.
Elle aspire longuement.