De retour dans la chambre Louis XV, Flavie cherche, sans succès, son sac et ses habits.
La salle de bain ne présente aucune trace de son passage.
Baignoire impeccable...
Serviettes propres...
Elle s'étonne de voir la brosse à dents sous son plastique.
Elle revient dans la pièce immaculée.
Fatiguée, elle retire ses espadrilles.
Elle s'allonge sur le grand lit.
La tête contre un coussin de soie, elle s'endort aussitôt.
...
— Réveille-toi..., ordonne son père.
Flavie sursaute violemment.
Elle quitte un sommeil lourd, sans rêves.
Où est-elle..?
Chez elle..?
Dans sa chambre de la rue Lavoisier..?
Sa perception s'ajuste.
Elle est chez Jacqueline.
Elle se tourne vers la personne qui l'a secouée.
— Bonjour...
— Bonsoir..., répond l'étrangère.
Flavie regarde par la fenêtre.
Il fait nuit.
Le lustre est allumé.
Une très jolie jeune femme d'une vingtaine d'années est debout en bordure du lit.
Elle porte des cheveux bruns, mi-longs, tenus en arrière par un bandeau de velours noir.
Elle est habillée d'une robe en coton beige, très simple.
La jolie coupe met en valeur ses formes et ses longues jambes.
Aux pieds, elle porte une paire d'escarpins noirs vernis.
— Qui êtes-vous, madame..?
— Je suis une demoiselle... Mon prénom est Églantine...
— Je suis…
— Flavie… Je sais... Toutes les filles du haras connaissent déjà ton prénom...
— Pourquoi..?
— Tu portes le ruban rouge...
Flavie effleure de ses doigts le tissu fin autour de sa gorge.
— Allez, debout Flavie... Je suis venue pour te préparer...
— Me préparer..?
— Tu vas aller souper... Alors, tu dois être belle pour l'occasion... J'ai tout ce qu'il faut avec moi...
Flavie se redresse, en pivotant.
Elle reste assise sur le bord du lit.
Inquiète, elle demande...
— Je cherche mes affaires... Mon sac… Vous… Tu n'as rien vu..?
— Je ne travaille pas ici, d'habitude... Les duègnes ont dû s'en occuper...
— Les duègnes..?
— Le personnel de la maison… Elles portent ce nom parce qu'elles sont âgées et parce qu'elles aiment garder un œil sur les jeunes demoiselles.
— Je n'ai vu personne, à part Jacqueline...
— Elles sont là… Ce n'est pas parce que nous ne les voyons pas, qu'elles n'existent pas...
— Il y a des gens, ici, tout le temps..?
— Oui... Mais, ne t'en tracasse pas pour le moment... Allons, debout Flavie… Nous avons à faire... Si tu veux, on parlera pendant que je te coiffe...
— Je voudrais prendre une douche... Me laver les dents...
Églantine soulève le menton de Flavie, d'un geste complice.
— Ce n'est pas nécessaire… Par contre, retire tes habits... Allez... Du nerf...
Malgré le discours sur la pudeur et la scène au bar du grand château, Flavie hésite devant cette inconnue.
Elle soupire avant de se mettre debout.
Elle se déshabille à contrecœur.
Ceci fait, Églantine lui prend la main.
Elle la dirige vers la coiffeuse.
Flavie s'installe, nue, sur le tabouret.
— Tu es mignonne à croquer, tu sais... Si tu ne portais pas le ruban, je ne suis pas certaine que je pourrais me contrôler...
— C'est quoi ce ruban..?
— Tu es la favorite de madame… Le ruban prévient les autres filles qu'elles peuvent regarder mais pas toucher... Mais, sache que nous sommes toutes très heureuses de te voir le porter... Cela faisait trop longtemps…
Églantine verse une huile épaisse sur les cheveux de Flavie.
Elle les masse puis commence à les brosser pour leur donner du volume et du brillant.
— Quelle belle petite catin, tu fais...
— Je ne suis pas une catin..! se défend aussitôt Flavie, choquée par l'expression.
— Je ne le disais pas à mal… Ici, c'est plutôt un compliment... Tu n'as pas à avoir peur des mots, tu sais... Tu peux aussi m'appeler catin, putain, salope, pute, garce, traînée, autant que tu veux… Je n'en serais jamais offensée...
Flavie se laisse coiffer en pensant aux étranges attitudes dans cette étrange propriété.
A-t-elle dit oui, trop vite..?
L'alternative serait quoi..?
Rentrer chez elle…
La maison...
Debout devant le portail d'entrée...
Sonner...
Subir le courroux de Clémence...
La fureur de son père...
Les railleries de sa demi-sœur...
Les vacheries de ses camarades...
Les moqueries de sa meilleure amie...
Une fugueuse qui rentre à la maison d'elle-même…
Quel échec...
Quelle avanie...
Par contre, ici...
Elle est favorite.
Elle est princesse.
Elle habite un magnifique château.
Elle a une servante pour la coiffer.
...
Flavie se trouve belle.
Églantine l'a coiffée de deux tresses fines croisées qui se rejoignent et retiennent sa chevelure en arrière.
Un style romantique, à souhait…
Ensuite, usant du nécessaire dans sa petite sacoche, elle attaque le maquillage.
— Où es-tu née Églantine..?
— Ici...
— Ici, où..? Au haras..?
— Oui, à la clinique...
— C'est quoi cette clinique..?
— Une clinique, comme les autres... Elle est située de l'autre côté de la propriété...
— Tes parents sont de la ville..?
— Je n'ai pas de parents... Je suis orpheline... Les demoiselles, que tu vas rencontrer au haras, le sont également... Nous sommes toutes des orphelines...
— L'orphelinat est en ville..?
— Il est ici, aussi... Aux Ormes Rouges… Demande à madame de te le montrer, si vous trouvez le temps...
Le ton de sa remarque est clairement narquois.
Flavie n'insiste pas.
Le maquillage est léger, juste assez pour accentuer la jeunesse de Flavie.
Coiffée et maquillée, fine et gracieuse, elle fait très innocente.
— Mets-toi debout, Flavie… Avant de t'habiller, je vais te mettre un peu de pommade.
— Où ça..?
— Sur le trou de ton cul... Penche-toi en avant, s'il te plaît… Écarte bien les fesses de tes mains...
Flavie hésite.
— C'est pour ton bien... Je t'assure, insiste Églantine. Tu me remercieras demain...
Usant d'un peu de force, Églantine incite Flavie à se courber.
L'adolescente accepte l'indécence.
Elle écarte un peu ses fesses.
Délicatement, Églantine applique une pommade autour et sur son sphincter.
— Bien, tu peux te redresser... Je te parfume et après, je vais t'habiller... Lève les bras, s'il te plaît...
Églantine utilise un vaporisateur partout sur son corps.
Elle favorise les aisselles et son entrejambe.
— Je ne sens rien...
— Ce n'est pas un parfum de cocotte mais un savant mélange de phéromones... Celui-ci est très puissant... Rien que de te sentir, petite catin... J'ai le con qui coule en fontaine...
Flavie inspire fortement.
En effet, une émotion la traverse.
L'envie...
Fermer les yeux...
Sous sa couette...
Dans son petit lit...
Un doigt explore...
Les mondes interdits...
...
De retour à la réalité, Flavie bat des cils.
Intriguée par les préparatifs, elle n'a pas remarqué combien Églantine est belle.
De grands yeux bruns...
Un teint d'une blancheur laiteuse...
Des joues hautes, fardées de rouge...
Des lèvres invitantes…
Elle n'ose pas se l'avouer mais elle aussi a le con éveillé.
Humide...
Gourmand...
À genoux devant l'adolescente, Églantine est si proche...
Elle habille Flavie d'une paire de bas opaques.
Ils sont blancs et soyeux.
Ils tiennent sur le haut des cuisses par des élastiques dissimulés dans les broderies.
À l'arrière de chaque talon, Églantine noue de charmants petits nœuds.
— Je ne porte pas de culotte..?
— C'est un souper, ma chérie... Ce n'est pas du tout nécessaire...
Après cette vague réponse, Églantine s'éloigne un moment.
Elle revient avec une robe en mousseline blanche ornée de passementerie dorée.
Flavie la porte à même la peau.
Ce n'est pas une coupe moderne.
La robe de style Empire n'a pas la ceinture aux hanches.
Cintrée à partir du buste, elle tombe jusqu'aux pieds.
Le décolleté est coupé en angles droits.
Les manchettes des épaules sont légèrement bouffantes.
Églantine fixe l'habit dans le dos grâce à une rangée de petits boutons nacrés.
La robe est bien serrée ce qui met en valeur la poitrine avenante de Flavie.
Églantine orne le devant d'un beau nœud doré qui encercle son torse.
— Je n'ai pas de chaussures..?
— Tu n'en as pas besoin...
Églantine entraîne Flavie vers le miroir de pied.
L'adolescente est ravie en découvrant son reflet.
Elle ressemble à une héroïne d'un roman de Jane Austen.
Lydia Bennet, très certainement…
— Voilà, c'est parfait... Es-tu prête pour aller souper..?
Églantine s'approche très près de Flavie.
— Et puis, tant pis..., murmure l'habilleuse.
Églantine pose ses lèvres contre celles de l'adolescente.
Leurs souffles se mêlent un petit moment.
Églantine éloigne vite son visage.
De nouveau sérieuse, elle applique la touche finale, en rougissant les lèvres.
— Tu es superbe, Flavie... Tu ne sais pas comme j'aimerais être à ta place… Ou bien, être la grande sœur qui te consolera, après...
Flavie retourne vers le miroir.
De sa vie, elle n'a jamais porté une robe si fine et si élégante.
Elle ressemble à une actrice dans un d'un grand film romantique à costumes.
— Merci, Églantine...
La jeune femme lui répond d'une caresse sur le sein.
...
Elles quittent la pièce.
À marcher en bas soyeux, Flavie glisse un peu sur le sol.
Elle a envie de s'élancer et de patiner, mais se retient.
Elles suivent le couloir jusqu'à une porte du fond.
Églantine frappe timidement.
— Entrez, mademoiselle..., invite une voix rauque, de l'autre côté.
— Fais tout ce qu'il te commande… Tout ira bien...
Flavie ne comprend plus.
Il...
Un homme serait-il présent..?
Églantine lui serre les mains avec tendresse.
Elle ouvre ensuite la porte et pousse gentiment Flavie à l'intérieur.
...
L'adolescente entre dans une pièce très sombre.
Ses yeux ont besoin de s'habituer.
La porte se referme derrière elle.
Un bruit de serrure…
Les talons hauts d'Églantine s'éloignent.
Flavie hésite avant de faire un pas en avant.
La chambre est éclairée par des bougies.
Un chandelier à trois branches est posé sur une table dans un coin.
Deux bougeoirs brûlent sur les tables de chevet qui encadrent le grand lit défait.
Flavie avance timidement.
De l'ombre, Jacqueline apparaît.
D’abord assise derrière la table couverte d'une variété de mets, elle se lève pour l'accueillir.
— Ma douce chérie... Approche… Viens dans la lumière...
Jacqueline prend Flavie par la main.
Elle la tire vers la table.
Elle l'examine.
Elle est ravie par l'allure de l'adolescente.
L'éclairage doux accentue sa pureté.
— Tu es ravissante... La beauté incarnée… Un plaisir pour les yeux...
Flavie est déconcertée par le costume de Jacqueline.
Elle est habillée en homme.
Pas un homme moderne, mais un homme d'une autre époque...
Ses lunettes sont petites et rondes.
Ses cheveux longs sont tirés en arrière, retenus par un nœud de velours noir.
Sa chemise blanche est large et bouffante, notamment le col et les manches.
Un pantalon brun moule ses hanches.
Elle porte des bottes de cavalier.
Jacqueline prend les mains de Flavie.
Elle les baise à répétition.
— Viens, amour… Beauté... Splendeur... Magnifique enfant... Viens souper avec moi...
Jacqueline installe Flavie sur un large fauteuil recouvert d'un tissu foncé.
Elle fait toute petite dans la robe empire qui moule son buste naissant.
Jacqueline s'installe en face d'elle.
— Tu vois, ma petite chérie… Plutôt que de voyager dans les îles, je préfère voyager dans le temps... À l'étage de ma maison, j'ai sept chambres à coucher... Sept thèmes… Sept époques... Louis XV, Louis XVI, Empire… Nous y sommes, pour la nuit... Quand je dis Empire, je veux dire l'époque de Napoléon Bonaparte, certainement l'un des plus illustres hommes de notre pays... J'adore ce moment de notre histoire… Sais-tu que l'une de mes meilleures amies habitait la Malmaison..? Un lieu enchanté... Par contre, le Second Empire ne m'était pas favorable... Je saute volontiers cette catastrophe… Ensuite, j'ai une chambre Restauration... Une époque merveilleuse, elle aussi… Et enfin, les temps modernes... Mille neuf cent... Mille neuf cent trente et mille neuf cent soixante... Il n'y a plus rien d'intéressant après mille neuf cent soixante-huit... Je me répète, je sais… Mais, que veux-tu, le monde est devenu affreusement laid à partir de cette année-là... Aujourd'hui, nous atteignons des sommets... Oublions tout ça… Avant de parler de mille choses et autres, nous allons souper... Après ce préambule, entrons en scène… Imagine que tu sois la petite dernière d'un riche bourgeois de province... Innocente et pure, tu n'as que quinze ans... Tu as vécu, protégée, derrière les murs de la propriété familiale... Ingénue, tu es néanmoins pleine de fougue, de curiosité et d'élan... Ton esprit est rempli de romantisme… Un jeune homme séduisant, mais rogue… Ça, c'est mon personnage... Cet homme t'a conviée chez lui... Ton père, ce Janus Bifrons, t'y a mené en calèche… Il est reparti, penaud... Une jeune fille de bonne famille n'accepterait jamais pareille invitation... Que se passe-t-il..? Tu es anxieuse… Tu ne sais pas encore ce qui t'attend... Tu es timide, hésitante et, surtout, très inexpérimentée… Pour te délier la langue, le suborneur te sert un verre de vin rouge...
Jacqueline entre dans son personnage.
Usant d'une gestuelle de l'époque, elle s'empare du carafon.
Elle remplit deux grands verres à pied.
À l'instant, un courant d'air fait danser les flammes des bougies.
L'adolescente entend la pluie qui frappe derrière les carreaux.
Elle ne peut retenir un frisson.